« La liberté ou la mort » d’Arsène Sabanieev : la guerre sans dentelles

Culture
1 octobre 2024, 12:42

Nous avons choisi d’évoquer ici le récit intitulé La liberté ou la mort d’Arsène Sabanieev, jeune médecin franco-ukrainien né en 1990 à Kyiv en Ukraine et qui a séjourné à Sébastopol en Crimée annexée illégalement en 2014 par la fédération de Russie.

Arrivé en France à l’âge de 10 ans, il s’est vite intégré à son pays d’accueil et plus tard, il a embrassé la profession médicale « grâce à la méritocratie », dit-il modestement. Il a fait l’objet de nombreux articles et interviews dans la presse écrite et audiovisuelle.

Une volonté d’engagement

Ses études de médecine achevées, Arsène a été affecté à l’hôpital Saint-Vincent de Paul à Lille, un institut catholique, en tant que médecin anesthésiste-réanimateur. Devenu français, il n’en reste pas moins profondément attaché à son pays d’origine. La guerre, sournoisement baptisée « opération militaire spéciale », lancée dans le Donbass par la Russie en 2014 et celle de haute intensité déclenchée le 24 février 2022 l’ont convaincu de la nécessité de se rendre au plus près du front pour venir en aide à ses compatriotes ukrainiens. Bien que ce fut une décision difficile, il n’a pas hésité en dépit de la gêne que cela pouvait entraîner au niveau de son travail à l’hôpital. Il a pu bénéficier du soutien de ses confrères. C’est en tant que volontaire qu’il s’est engagé auprès du bataillon des Hospitaliers, des civils volontaires formés sur le tas à la médecine de guerre, s’inspirant de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il n’est pas rémunéré et ne bénéficie d’aucune assurance comme le lui a signifié son banquier. Il a déjà effectué six missions sur place à raison de deux ou trois semaines à chaque fois en 2022 et 2023 et projette d’y retourner prochainement.

Photo en provenance de réseaux sociaux

Son récit débute le 21 décembre 2022, dix mois après l’attaque russe à grande échelle. Il est à bord d’une ambulance dans la région de Donetsk. Il se rend au poste médical avancé (PMA) à Bakhmout avec Zorya, sa commandante. « Toutes les trente seconde, un obus secoue la nuit d’hiver », écrit-il. A peine une heure plus tard, « barrage d’artillerie russe et déluge de feu. Il faut se ruer vers l’abri précaire au sous-sol » pour éviter d’être frappé par un obus… Le ton est donné, « déjà il faut s’occuper d’un blessé mal en point ».

Des conditions très dures d’intervention

Le témoignage est glaçant. Arsène a choisi de décrire sans fard la réalité du terrain frappé d’incessants tirs de l’artillerie russe, tandis que roquettes et drones ennemis pleuvent sur les positions des défenseurs ukrainiens, mais aussi sur les immeubles, hôpitaux, écoles en précisant toutefois, que sa mission n’est pas de pratiquer la médecine civile, car il doit se concentrer exclusivement sur les soins à apporter aux combattants blessés.

Docteur Sabanieev évoque la peur, le manque d’hygiène, la sueur, la boue, le froid ou la canicule, « le gilet-pare-balles qui fait mal au dos », la pénurie de médicaments et de matériel médical approprié, bien qu’à chacune de ses rotations, il emporte de France ce qu’il estime nécessaire soit sur ses propres deniers soit grâce à des dons. Des associations en France se démènent pour acheminer du matériel et parmi elles, il cite AMC, Aide Médicale & Caritative France-Ukraine. Le risque encouru par les combattants n’épargne pas le personnel soignant car les Russes n’hésitent pas bombarder les ambulances. Arsène a du reste frôlé la mort à plusieurs reprises.

Photo en provenance de réseaux sociaux

La peur au ventre est constante mais « il importe de stabiliser les blessés » et « on a l’amputation facile » dit-il. Le niveau médical est très bas en Ukraine encore que l’Ukraine possède de bons médecins mais aussi de moins bons, de sorte que ses compétences acquises en France s’avèrent précieuses. Il a pu constater l’immense esprit de solidarité du peuple ukrainien, ce qui ne l’empêche pas de fustiger l’indifférence de certains à l’arrière du front ainsi que ceux fuyant la conscription, sans oublier les traîtres qui communiquent des informations aux Russes permettant de localiser et de cibler les positions ukrainiennes. Pour éviter d’être repéré, il faut éteindre la géolocalisation des portables.

Aux rares moments de répit, il en profite pour apprendre à démonter et nettoyer une kalachnikov, mais l’accalmie ne dure guère. Le désespoir est grand de voir tomber des camarades. Bien qu’à la longue on s’habitue quelque peu aux explosions, il est proscrit d’aller fumer la nuit hors de l’abri car le rougeoiement de la cigarette est une cible facile pour les snipers ennemis.

Tout au long de son récit, on découvre ainsi l’âpreté des combats et les conditions éprouvantes dans lesquelles interviennent les sauveteurs au mépris de leur propre vie. « C’est la roulette russe ». Il ajoute : « La Russie mène une guerre d’extermination du peuple ukrainien » et l’on peut évoquer Elena Volochine, journaliste franco-russe qui fut correspondante à Moscou durant 10 ans. Elle qualifie à juste titre ce conflit de « guerre d’expansion coloniale ».

Quelle issue a cette guerre que rien ne motivait ?

Quand on lui demande ce qui pourrait mettre fin à la guerre, Arsène répond « la défaite de la fédération de Russie ». A cela se heurte la peur de l’Occident face à cette perspective qui rappelle celle éprouvée par les démocraties au moment de l’effondrement de l’URSS, le même scénario se répète. Pourtant, l’accession à l’indépendance des 15 républiques soviétiques n’avait rien changé car la poigne de fer russe a empêché tout soulèvement. On se souvient de la phrase de Poutine au début de sa prise de pouvoir : « aller buter les Tchétchènes dans les chiottes ! ».

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Si la fédération de Russie éclatait, il est douteux que cela provoque un changement radical car le régime poutinien veille au grain et toute tentative de sécession serait réprimée dans le sang. Par ailleurs, on assiste à deux guerres, celle sur le terrain et l’autre qui est affaire de diplomatie, elles ne fonctionnent pas sur le même mode et dans le même temps. En outre, la menace nucléaire sans cesse brandie par Poutine en fait réfléchir plus d’un d’où les atermoiements des Etats-Unis quant à la livraison des F16 et de missiles à longue portée.

Étant français, Arsène Sabvanieev déplore le fait que la France n’ait pas fait confiance à l’Ukraine dès le départ, sans doute estimait-elle que la Russie gagnerait la guerre en quelques jours comme le laissait entendre Poutine. Bien que la position de la France ait évolué depuis, on se souvient de la petite phrase d’Emmanuel Macron : « il ne faut pas humilier la Russie ! ». Arsène se rappelle toutefois que l’ancien président François Hollande s’était montré digne en refusant de livrer les Mistral à la Russie. Toujours est-il que l’on se dirige vers la troisième année de guerre et qu’elle risque de durer encore longtemps si l’Occident n’accentue pas son aide à l’Ukraine pour laquelle c’est une lutte existentielle.

Arsène Sabvanieev a été profondément marqué par son expérience de la guerre au plus près des combats mais il y a aussi beaucoup appris. S’il a espéré une sursaut des Russes devant l’entreprise d’extermination du peuple supposé « frère », il n’en a rien été car la servilité est ancrée dans leur cœur. Il conclut toutefois son récit sur une note d’espoir : « nous vaincrons, c’est une certitude ».

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Nous ne saurions trop recommander de vous procurer le livre d’Arsène Sabanieev auquel a participé Eric Dussart, grand reporter à La voix du Nord qui est allé à plusieurs reprises en Ukraine depuis 2014.