Le monde a été bouleversé par le bombardement de l’Institut des communications à Poltava, qui a fait 58 morts et 328 blessés graves. Mais ce n’est pas la première fois que Poltava était ciblée par des frappes de missiles russes. Au cours des six derniers mois, il y a eu environ cinq frappes massives dans la région. Depuis le 24 février 2022, l’alarme aérienne s’est fait entendre près de trois mille fois dans la région de Poltava. Faisons le point sur les frappes les plus violentes sur la région.
Le 3 septembre 2024
Neuf heures du matin. Chaque minute, les secouristes sortaient des victimes des décombres et les médecins tentaient de les sauver. Des cris de détresse, des corps, du sang et de la douleur. Le bruit des missiles au-dessus de la ville. Une explosion. Puis une autre, plus forte. La fumée monte au-dessus de Poltava, les ambulances se précipitent les unes après les autres pour porter secours aux victimes. Deux missiles balistiques ont atteint l’Institut des communications et un hôpital. L’explosion a eu lieu deux minutes après le déclenchement de l’alerte aérienne. Il ne restait que 2 à 3 minutes pour se diriger à l’abri. Les secouristes sont arrivés immédiatement sur le lieu de l’attaque.
Pendant l’heure suivant la tragédie, les alertes ont retenti à plusieurs reprises. Les nouveaux bombardements empêchaient le sauvetage des personnes qui se trouvaient sous les décombres des bâtiments.
Photo : Service national d’urgence de l’Ukraine. Institut des communications. Établissement d’enseignement endommagé
Des médecins et des volontaires du bataillon « Hospitaliers » étaient sur les lieux. « J’étais en train de rouler vers la fumée. J’ai compris son origine. Je me suis tourné vers le portail et j’ai vu un grand nombre de corps allongés. En état de choc, j’oublie de mettre le frein à main. Je sors de la voiture, elle continue à rouler. Je la stoppe. Nous marchons et nous voyons de plus en plus de blessés. On avait dû poser trois tourniquets sur une personne », raconte Igor Chafarchuk, un volontaire du bataillon des « Hospitaliers ».
Il y a des corps partout, des cris de souffrances et l’odeur de la mort. Ensuite, c’est comme si le temps s’était arrêté, parce que chaque minute est une chance de sauver une vie. « Les sauveteurs du service de secours de l’État et les militaires ont évacué les corps de l’immeuble disloqué et de la cour. Le poste de sélection s’est organisé spontanément sous les arbres. Chaque minute, ils amenaient quelqu’un de vivant, chaque minute, nous nous précipitions de l’un à l’autre et nous posions des tourniquets. Certaines personnes ont subi trois amputations, ce qui représente 3 à 4 tourniquets par personne », a écrit Igor Tkachev, un médecin du bataillon « Hospitaliers » sur sa page Instagram.
Photo : Nadiya Tkatchenko. Institut de la communication. Point d’aide
Au milieu de ce chaos et des cris, j’ai réussi à capter une image touchante : une fille court en direction du site de la frappe, en panique : « Mon père est-il vivant ? » Elle voit son père, elle le serre dans ses bras et se met à pleurer. Les ambulances n’ont pas pu aider tout le monde, on sortait constamment des blessés de sous les décombres.
Selon le médecin Igor Tkachev, les blessés ont été placés dans un énorme et vétuste camion et transportés vers les différents hôpitaux de la ville. Certains sont morts en route. En une heure, les hôpitaux étaient bondés, et tous les médecins présents en ville furent invités à venir aider. Au cours des premières 24 heures, 14 personnes sont décédées dans les hôpitaux.
Les infirmières de bloc pleuraient à la vue de tant de victimes. Il y eut beaucoup de compassion, mais pas de panique : tout le monde savait ce qu’il fallait faire. Tout cela s’est fait sous le regard des résidents de maisons voisines, situées tout près de l’Institut des communications.
Photo: Nadiya Tkatchenko
« J’arrosais mes fleurs et j’ai entendu un bourdonnement ou un sifflement. Il y eut d’abord la première explosion, puis la seconde : l’une était plus faible, la seconde était plus puissante. Après la première, j’ai compris que je devais me sauver, alors, je me suis cachée dans un coin, me protégeant la tête avec mes mains. Les bouts de verre ont plu sur mon dos, mes épaules, ma tête. Beaucoup de gens ont pleuré. Les premiers morts étaient placés dans une voiture. Je me suis sentie très mal et j’ai eu de la peine pour les jeunes gens. Je n’ai pas eu peur lorsque le verre est tombé sur mon dos nu, mais lorsque je suis sortie de la cour et que j’ai vu ce qui se passait sur le site du bombardement », raconte Nina Orlean, une habitante du voisinage.
Le lendemain matin, les rues étaient presque vides, des morceaux de verre brisé jonchaient le sol sous les fenêtres. Des balcons étaient sans fenêtres, des fenêtres sans vitres, et les habitants tentaient de colmater les trous avec de l’adhésif. « J’étais dans ma chambre. Ma mère était dans la cuisine, à côté, là où l’explosion a eu lieu. Nous avions mis des bocaux avec des légumes marinés sur notre fenêtre. Ce sont eux qui ont sauvé maman, lorsqu’ils ont commencé à tomber », raconte Igor Pchelkin, un habitant du quartier.
Photo: Nadiya Tkatchenko
Vers midi, les gens se sont rassemblés pour recevoir l’aide des bénévoles. Plusieurs tentes ont été installées près du site du bombardement, où les gens pouvaient se procurer de la nourriture. Des entreprises de Poltava ont apporté divers plats emballés dans des boites en plastique. C’était un fort élan de la solidarité. De jeunes bénévoles, sans dormir pendant plus de 24 heures, ont préparé du café et du thé pour les victimes. Non loin de là, quelques sauveteurs tentaient de se reposer.
Les secours se sont affairés pendant trois jours. Le premier jour, le nombre de blessés et de morts augmentait à chaque heure. Les sauveteurs ont travaillé jour et nuit, et lorsqu’ils avaient quelques heures de sommeil, ils se couchaient à même le sol, près des décombres.
Le 7 septembre 2024
Quelques jours plus tard, l’armée russe a bombardé des logements à Poltava. Plusieurs d’entre eux furent presque entièrement détruits. « Tout a été démoli. La salle de bain a été la moins touchée. Je m’y cachais. Si j’étais resté devant la télé, j’aurais été couvert de verre. J’entends mal, l’explosion a été soudaine. Mon mari était assis dans la pièce, couvert de sang, blessé au côté droit du visage et à la jambe », a raconté une habitante dont la maison a été endommagée, se souvenant de cette terrible nuit. « Nous y avons vécu si longtemps, et maintenant nous n’avons plus rien pour nos vieux jours », pleure la vieille dame.
Photos : Nadiya Tkatchenko : maisons privées détruites le 7 septembre
Le 17 juin 2024
Plus tôt en été, le 17 juin à 14h00, les Russes ont lancé une attaque de missiles sur Poltava. Un missile Kh-59 a touché le quartier de Braïlky. L’onde de choc de l’explosion a détruit un millier fenêtres et les fragments du missile ont endommagé des centaines d’appartements. Une école maternelle a également été touchée. Il y avait une énorme colonne de fumée. Des garages et des voitures ont été pris dans les flammes. A peine les gens s’étaient-ils remis du choc et étaient sortis dans la rue, la sirène aérienne avait de nouveau retenti.
Photo : Nadiya Tkatchenko: Braïlky. Nettoyage des débris
22 personnes ont été blessées, dont 9 enfants. Les portes d’entrées ont été brisées, les fenêtres et les balcons ont également été démolis. L’attaque a détruit les lignes électriques, et 53000 habitants ont été privé d’électricité et de gaz.
Le 9 juin 2024
Le 9 juin, les Russes ont attaqué un quartier résidentiel à Poltava. En un instant, il ne restait plus que des fragments de plafond noircis d’une maison d’habitation. Une heure plus tard, les sauveteurs ont sorti des décombres une femme qui se trouvait dans un état grave. Elle faisait une sieste quand la maison s’est effondrée. Les médecins ont lutté pour sa vie jusqu’à la dernière minute, mais elle est décédée le lendemain de la frappe.
Photo : Nadiya Tkatchenko
Le 8 avril 2024
Le 8 avril, à environ 21 heures, les Russes ont attaqué le village de Suprounivka avec un missile de croisière. Le résultat fut identique : des monceaux de verre brisé, des objets détruits et des personnes désorientées qui se remettaient d’un cauchemar. L’armée russe a frappé un immeuble de deux étages. Une trentaine de personnes vivaient là-bas. L’attaque a fait un mort et seize blessés.
Photo : Nadiya Tkatchenko. Les épaves. Suprounivka
La sirène aérienne n’est pas seulement le fond sonore de la vie pour les résidents de Poltava. C’est un son qui rappelle que les Russes sont résolus à nous détruire en tant que nation, qu’ils ne veulent pas de l’Ukraine sur la carte de l’Europe. On entend une alerte au raid aérien et on ne sait pas si on aura la chance d’en réchapper aujourd’hui, si ce maudit missile détruira notre maison, où tout sent le souvenir, on ne sait pas si nos proches répondront au téléphone après le bruit dévastateur de l’explosion. On court vers le lieu de l’explosion pour aider. Et là, en constatant tant de solidarité et de courage, on se dit, encore et encore, qu’on tiendra. Qu’on ne se laissera pas effacer de la carte du monde. Il faut que l’Ukraine gagne cette guerre. Il ne peut pas en être autrement.