La Chine soutient la Russie en se faisant passer pour un artisan de la paix

Politique
8 mars 2024, 17:02

Pékin reste le principal fournisseur de composants essentiels pour la fabrication des drones russes estimé à 67 % des livraisons, tout en multipliant les appels à cessez-le-feu.

Cette semaine, Li Hui, l’envoyé spécial du gouvernement chinois, s’est rendu en Ukraine, en Pologne puis à Bruxelles pour y évoquer principalement la paix en Ukraine. Dans le même temps, la Chine soutient la Russie en lui fournissant des composants et des biens à double usage nécessaires à la guerre et se dit prête à travailler avec le Kremlin pour « renforcer l’amitié entre deux peuples ».

« La Chine est prête à travailler avec la Russie pour créer de nouveaux moteurs de coopération et renforcer l’amitié » a déclaré le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, lors d’une conférence de presse en marge d’une session parlementaire annuelle le 7 mars à Pékin. À la veille de l’invasion totale de l’Ukraine en février 2022, les deux pays ont déclaré un partenariat « sans limites » qui donne aujourd’hui au Kremlin des ressources complémentaires pour mener la guerre.

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Le même jour, le 7 mars, une délégation chinoise conduite par Li Hui, représentant spécial du gouvernement chinois pour l’Eurasie, s’est rendue à Kyiv. Le diplomate chinois a rencontré des responsables ukrainiens, notamment le chef du bureau présidentiel, Andriy Yermak, et le ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba. Un communiqué de presse publié sur le site web du bureau présidentiel indique qu’au cours de la réunion, les représentants ukrainiens ont montré à la délégation chinoise « des échantillons de fragments d’un missile de la RPDC abattu et d’autres éléments des munitions qui ont été transférés à la Russie ».

La délégation chinoise a également été informée que la Russie « utilise des composants provenant de pays tiers pour produire des armes, notamment pour des drones d’attaque Shahed ». Auparavant, le groupe international Ermak-McFall, qui élabore des recommandations de sanctions à l’encontre de la Russie, avait indiqué que la Chine était le principal fournisseur de composants essentiels pour les drones russes, avec 67 % des livraisons. Il est donc probable que des composants chinois aient été montrés aux représentants chinois. Mais ce n’est pas la seule chose pour laquelle la Chine soutient actuellement la Russie.

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En particulier, un rapport du groupe de réflexion Atlantic Council publié en novembre 2023 indique que « les engins de terrassement fabriqués en Chine ont littéralement aidé la Russie à prendre pied sur les territoires occupés. Une augmentation significative des importations de véhicules, y compris des camions lourds, a probablement permis à l’industrie militaire russe de continuer à produire des équipements militaires, essentiels au maintien de la puissance de combat ».

La construction des fortifications russes sur la ligne de front n’aurait pas non plus été possible sans les excavatrices chinoises. Les experts notent qu’en septembre 2022, les exportations d’excavatrices chinoises vers la Russie ont plus que triplé par rapport à l’année précédente. Cet événement coïncide avec la construction de la ligne de défense dite de Surovikine.

« L’augmentation considérable des importations de roulements à billes en provenance de Chine a probablement aussi rendu possible la production de réservoirs », affirment les experts du groupe de réflexion américain. Mais ce n’est pas tout. Pékin n’a pratiquement jamais cessé de fournir des puces à Moscou – un élément clé pour la reprise de la production d’armes, qui a permis à la Russie de bombarder à la fois les civils et les militaires lors de sa contre-offensive.

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Le journal allemand Die Welt, dans son article intitulé « Operation Holding Power : How China helps Putin get out of difficult situations every day », note également que la Chine est un fournisseur de petits drones pour la Russie. À la mi-2023, Moscou avait importé pour plus de 100 millions de dollars de drones. De son côté, Pékin continue d’insister sur le fait que les échanges avec Moscou relèvent d’une « coopération économique normale » et ne sont pas dirigés contre des pays « tiers ».

De plus, ce n’est pas la première fois que la Chine a recours à des « missions de maintien de la paix » cyniques de ce type. Ainsi le 6 mars, le vice-ministre polonais des affaires étrangères Władysław Teofil Bartoszewski a rencontré à Varsovie le représentant spécial du gouvernement chinois pour l’Eurasie, Li Hui. Au cours de la réunion, l’ambassadeur Li Hui a réaffirmé que la Chine n’était pas partie prenante au conflit et que « la situation en Ukraine n’était dans l’intérêt de personne ». Il a souligné la volonté de la Chine de soutenir la recherche d’un consensus entre les parties à ce conflit et a annoncé l’intention de la Chine de poursuivre les consultations avec les partenaires internationaux. Dans le même temps, les chiffres mentionnés plus haut indiquent une tendance tout à fait différente.

Le 4 mars, le représentant spécial Li Hui s’est également rendu à Bruxelles pour s’entretenir avec les chefs du Service européen pour l’action extérieure. Le principal sujet de discussion était la guerre de la Russie contre l’Ukraine. Parmi les sujets de conversation mentionnés par l’UE figure l’exportation de biens à « double usage ». Bruxelles a réitéré sa « grave préoccupation (…) concernant les quantités importantes de biens à double usage et de technologies avancées exportées de la Chine vers le complexe militaro-industriel russe ». Dans ce contexte, l’UE a demandé à la Chine de « prendre des mesures efficaces pour limiter le flux de ces biens les plus sensibles », a déclaré le Service européen pour l’action extérieure dans son communiqué.

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Est-ce que Pékin écoutera ces recommandations ? En septembre 2023, une experte de renom, directrice du projet China Power au Center for International and Strategic Studies (CSIS), a publié un article sur Foreign Policy intitulé « The China-Russia Axis Takes Shape » (L’axe Chine-Russie prend forme), dans lequel elle note la poursuite durable du rapprochement sino-russe. Cependant, cette relation n’est pas encore « gravée dans le marbre », les deux « partenaires » autoritaires se regardent avec de la méfiance et du scepticisme. On peut donc supposer que les visites du représentant spécial Li Hui en Europe, comme celle qui a lieu actuellement, constituent un autre « test de sol » sur le terrain de la méfiance.