Figure féminine de l’époque baroque

Histoire
20 mars 2023, 13:55

Quand on pense à une personne baroque, diverses figures viennent à l’esprit : des hetmans renommés, des chevaliers nobles, des magnats et leur clientèle, la noblesse seigneuriale, les cosaques de la ville et la population, les plus hauts hiérarques de l’Eglise, des trésoriers respectés, des chantres (dyaks en ukrainien) itinérants. Il semble que les principaux acteurs de l’époque baroque ukrainienne aient été exclusivement des hommes. Selon l’historien Oleksandr Kryvoshya, on a l’impression que les femmes n’ont jamais vécu sur les rives du Dnipro, enveloppées de gloire cosaque, ou qu’elles étaient si peu nombreuses qu’elles n’ont pas laissé de trace historique suffisante pour reproduire l’image de l’activité féminine.

Les participants à la conférence « Les femmes dans la société moderne sur le territoire de la Rzeczpospolita, » (littéralement, la chose publique, nom de l’Etat polonais à partir de l’adoption du régime parlementaire – ndlr) qui a eu lieu en octobre 2022 sur la base de l’Université catholique ukrainienne, ont décidé de changer la donne. Les chercheuses ont essayé de regarder l’histoire moderne ukrainienne sous un nouvel angle, afin de créer une image plus complète du développement de la société ukrainienne à l’époque baroque.

Dimension familiale

Les documents conservés dans les archives offrent beaucoup d’espace pour l’analyse de la situation juridique des femmes dans la première société moderne. Tout d’abord, il s’agit de la question de l’âge, c’est-à-dire du moment où une fillette obtient le statut de jeune fille et n’est plus perçue comme une enfant, mais comme une personne adulte et pleinement capable. Les limites de l’âge adulte féminin peuvent différer quelque peu pour les nobles et les roturiers, entre les femmes des villes et celles des campagnes, entre les habitants des régions occidentales et orientales de la Rzeczpospolita. Cependant, le système juridique développé à cette époque fixait l’âge du mariage, et le droit coutumier réglementait le cycle de vie d’une femme de la naissance à la mort, principalement dans le cadre des relations familiales.

En rapport avec cela, il y avait des idées sur la norme et les « déviations » féminines. En utilisant la terminologie de l’anthropologue Oksana Kis, une cohorte de rôles féminins « ordinaires » peut être distinguée dans la culture traditionnelle : épouse, femme au foyer, mère, grand-mère ; ainsi que « d’autres » femmes comme mères-filles, veuves et sorcières. Le contexte familial mêle étroitement les idées sur la corporéité des femmes, les valeurs morales et de beauté inhérentes à la société de l’époque. Le facteur religieux influençait considérablement le choix d’un couple marié et il n’était pas rare que des femmes (et parfois des hommes) se convertissent à une autre religion avant le mariage. Parallèlement, le couple élevait souvent ses filles dans la foi de sa mère et ses fils dans celle de son père.

Parfois, le conflit entre les conjoints était résolu en privé, les pertes de réputation n’étaient pas moins importantes à l’époque qu’elles ne le sont aujourd’hui, de sorte que la pression sociale obligeait souvent à taire le problème des agressions fondées sur le sexe. Toutefois, des plaintes déposées devant les tribunaux ont également permis de mettre la violence sur la place publique. Comme le note Natalia Starchenko, chercheuse spécialisée dans la noblesse polono-lituanienne, la femme et ses proches, recourant à la manifestation du conflit, ont dû faire appel à certaines normes de cohabitation violées par le mari.

Mise en œuvre professionnelle

A une époque où l’émancipation de la femme moderne était encore éloigné, certaines femmes parvenaient encore à se retrouver dans la vie professionnelle. L’historien Andrzej Karpiński cite des exemples de service d’une femme en tant que greffier municipal au Royaume de Pologne dans la ville de Jelenia Góra, le dossier est daté de 1370, dans la ville de Szczegolin en 1390.

Les ateliers constituaient une partie importante de l’économie de la Rzeczpospolita et de l’Hétmanat, et les femmes jouaient un rôle de premier plan dans les communautés d’ateliers. Oksana Kovalenko, spécialiste de la céramique, note que plus une ville était grande et développée économiquement, plus les femmes étaient impliquées dans les ateliers d’artisanat, depuis les apprenties jusqu’aux veuves qui dirigeaient leur propre ménage. Il existait des ateliers exclusivement féminins, des ateliers mixtes avec des artisans hommes et femmes, d’autres qui acceptaient les parents d’artisans décédés, et d’autres encore où les femmes n’étaient pas membres de l’atelier mais étaient embauchées comme ouvrières pour nettoyer et préparer les fêtes.

Les spécialisations les plus courantes des femmes étaient le tissage, la couture, la poterie et la pâtisserie. Les dispositions légales relatives à l’appartenance des femmes aux ateliers variaient également. Par exemple, à Borzna, dans la région de Tchernihiv, il existait un atelier de femmes fabriquant des beignets, dont les responsables étaient élus parmi les maris des artisanes.

Le monachisme est une autre option de carrière féminine, accessible à tous les âges et à tous les statuts sociaux. L’historien Lavrentii Pokhilevitch écrit sur la tradition consistant à installer des couvents de femmes à côté de ceux des hommes, de sorte que les couples âgés qui ont décidé de consacrer le reste de leur vie au service de Dieu puissent vivre dans des cellules séparées, mais non loin les une des autres. Ainsi, le couvent de Sainte-Irène était situé à côté du monastère masculin de Sainte-Sophie ; celui de l’Épiphanie était situé près du monastère masculin de Saint-Michel ; et le couvent de l’Ascension était situé non loin de la Laure des grottes de Petchersk.
Le couvent de l’Ascension à Kyiv a existé du XVIe siècle jusqu’en 1712. Il a été liquidé par ordre de Pierre Ier

Les nonnes de ces couvents possédaient un niveau d’instruction et un statut social élevés. Mykola Zakrevskyi dans sa « Description de Kyiv » mentionne une gravure datée de 1627, avec l’inscription mentionnant qu’elle avait été commandée par « Akilyna Fedorivna, une nonne du couvent de Pechersk. » Les moniales du couvent de l’Ascension maîtrisaient une forme complexe d’art appliqué : la broderie d’or au point sec. Selon Guillaume Levasseur de Beauplan (ingénieur, architecte et cartographe français – ndlr), elles confectionnaient d’élégants châles et des épitaphes, qu’elles vendaient aux pèlerins. Le couvent connut sa plus grande prospérité sous le règne de l’abbesse Maria Magdalena, mère de l’hetman Ivan Mazepa.

Cependant, au début du XVIIIe siècle, pour la même raison, le couvent de l’Ascension fut liquidé, les locaux furent partiellement démantelés et les moniales furent transférées à Podil (un autre quartier de Kyiv – ndlr) , au couvent Florivsky, qui hérita de la technologie de la broderie d’or. L’héritage de Maria-Magdalena Mazepa comprend des lettres attestant de sa participation active à la vie spirituelle et étatique de l’époque et des broderies d’or, conservées dans la sacristie de la cathédrale de l’Assomption pendant l’ère soviétique et qui ont miraculeusement survécu en partie au bombardement de l’édifice en 1941.

Piété et charité

Traditionnellement, ce sont les femmes qui s’occupaient des rituels familiaux et organisaient les sacrements, du baptême au caveau. De plus, les femmes ukrainiennes bénéficiant des statuts sociaux les plus élevés défendaient activement la foi de leurs parents sur un pied d’égalité avec les hommes, tenaient les cercles intellectuels, créaient les conditions de la diffusion de l’éducation et des connaissances scientifiques et encourageaient l’édition de livres.

La famille princière de Volyn, les Golchansky, est connue pour ses projets de publication initiés par des femmes. En 1453, la princesse Sophia de la maison Golchansky, épouse du roi Władysław II Jagiełło, (Ladislav II Jagellon en français – ndlr) initia et commandita la première traduction de la Bible en polonais. Un siècle plus tard, l’une des filles du prince Yuriy Golchansky, Anastasia, qui avait épousé Kouzma Zaslavsky des princes Ostroh, prononça ses vœux après la mort de son mari et devint abbesse d’un couvent à Zaslavl. C’est avec son aide et sa bénédiction que débuta en 1556 la traduction du vieil évangile ukrainien, aujourd’hui connu sous le nom d’évangile de Peresopnytsia.

L’évangile de Peresopnytsia

L’histoire a conservé la trace d’un autre projet d’édition qui n’aurait pas vu le jour sans l’intervention des femmes. En 1623, la princesse Théodora Tchartoryska-Bohovytynova persuada l`hiérarque d’Ostroh Cyprien, célèbre pour son érudition et son ascétisme, de traduire les Discours de saint Jean Chrysostome sur les épîtres de saint Paul, ce qu’il fit. Cet ouvrage théologique fondamental a été traduit pour la première fois du grec vers le slavon liturgique, et ce projet d’édition est devenu une étape importante pour l’imprimerie de la Laure des Grottes nouvellement fondée à Kyiv.

Les témoignages des femmes du début de l’époque moderne révèlent leur culture matérielle et le monde des choses aux XVIe et XVIIe siècles. Le fait que les femmes rédigeaient elles-mêmes leur testament indique un certain degré d’indépendance économique et la capacité de gérer leurs propres finances. En effet, pour pouvoir faire don d’objets et de biens de valeur à des œuvres caritatives, les femmes devaient posséder et gérer elles-mêmes ces biens.

Les femmes étaient souvent les donatrices des couvents. Il existait une division tacite entre les couvents « riches, » qui étaient censés faire des dons de valeur que les femmes nobles pouvaient s’offrir, et les couvents « pauvres, » qui se contentaient de n’importe quel don. Certains souverains ukrainiens, en fonction de leur statut, étaient autorisés à faire des dons non seulement à des monastères nationaux, mais aussi à des monastères étrangers : le Ruskyi Zohrafskyi Pomiannyk, découvert lors d’une expédition scientifique au Mont Athos, contient des références à des dons de la famille Kotchoubey en 1686 : Vassyl, Lioubov et leurs enfants.

Les mécènes de l’éducation

C’était une pratique courante pour les femmes ukrainiennes de financer des écoles et des collèges afin que les jeunes orthodoxes puissent suivre une éducation dans des établissements d’enseignement nationaux. Par exemple, le propriétaire de la ville de Gostcha à Volyn, la princesse de Smolensk Raina Solomyretska, a fondé un monastère d’hommes et une école « pour l’enseignement des sciences libérales aux enfants de la noblesse et du peuple » à l’église de l’Archange Michael. Le Collège orthodoxe de Gotstcha a été fondé peu de temps auparavant en opposition à l’établissement d’enseignement fermé, dans lequel, soit dit en passant, Gryhoriy Otrepiev a étudié, qui revendiquerait plus tard le trône de Moscou et deviendrait connu sous le nom de Faux Dmitri le Premier.

Dans son testament, la princesse déclare « Moi, Irène de Gostcha, princesse Nikolaieva Solomoretskaya, princesse de Smolensk, déclare par cet acte volontaire, qui doit être connu maintenant et toujours, qu’étant l’héritière du domaine de mon grand-père, du château et de la ville de Gostcha, par amour particulier pour le Seigneur Dieu et pour accroître sa sainte louange, je le fournis et l’enregistre au père Ignace Oksenovitch, abbé et recteur du monastère de Gostcha, épris de liberté, à tous les moines de la religion grecque et à leurs successeurs, en obéissance au saint père du patriarche de Constantinople, de ne pas s’unir à l’Église de Rome dans le monastère de Gostcha, que j’ai fondé dans la ville et les faubourgs de Gostcha, afin que le culte de la foi grecque dans le monastère et l’église que j’ai construits puisse y demeurer dans le confort et sans aucun obstacle et de toute hérésie, et que les sciences puissent être répandues dans les écoles que j’ai fondées. » Le collège Gostcha devint un établissement d’enseignement réputé et couronné de succès. Cependant, malgré le commandement de la princesse, au XVIIe siècle, le monastère a encore appartenu pendant un certain temps aux pères Basiliens.

Un cas intéressant est le don de Galchka Goulevitchivna, la fondatrice de l’école fraternelle de Kyiv à Podol, qui devint plus tard l’Académie Mohyla à Kyiv. Les historiens débattent encore de l’authenticité de ce document, car l’original n’a pas survécu. Le chercheur de l’éducation moderne précoce, Maksym Yaremenko, note que jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, le personnage clé pour comprendre l’histoire de l’établissement d’enseignement était « le fondateur », à savoir le métropolite Petro Mohyla (1596-1647). Cependant, après avoir reçu un décret du Consistoire spirituel de Kyiv pour fournir des informations sur la création du monastère fraternel, l’Académie a envoyé en 1766 un certificat signé par le recteur de l’époque, Samuel Myslavsky, concernant le monastère et l’établissement d’enseignement, avec l’ajout des « extraits des livres authentiques du gouvernement Zemsky Kyiv, qui sont disponibles au monastère de l’école fraternelle de Kyiv ».

La déclaration faisait spécifiquement référence à la charité de Galchka Goulevitchivna. Selon Maksym Yaremenko, à l’époque, l’Académie Mohyla cherchait activement ses propres racines, et le résultat de ce regard vers le passé pouvait être à la fois la découverte de nouveaux matériaux inconnus sur les origines et leur fabrication. Quoi qu’il en soit, l’inclusion dans l’histoire de l’éducation de la noble de Kyiv Galchka et la tradition subséquente de l’honorer en tant que fondatrice témoignent de la prise de conscience contemporaine du rôle des femmes dans les activités culturelles et éducatives.

Puissance et mémoire

Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, les femmes ont commencé à influencer de manière significative le monde politique masculin dans la Rzeczpospolita. Le début de cette tendance avait une origine étrangère : elle avait été l’œuvre de la princesse milanaise Bona Sforza d’Aragona, épouse du roi Sigismond Ier, et Louis Maria Gonzaga de Nevers, qui était particulièrement impliquée dans la politique, fille d’un duc français et épouse des derniers rois de la dynastie Vasa, Władysław IV et Jan II Casimir.

Les histoires de familles cosaques fournissent un matériel fructueux pour mettre en lumière le facteur féminin dans la formation de l’élite ukrainienne des XVIIe et XVIIIe siècles. En particulier, dans la famille du juge général Vassyl Leontiovytch Kotchoubey, il est facile de retracer le rôle des femmes dans le soutien de l’activité sociale et politique de cette famille dans l’environnement de l’élite de l’Hétmanat.

Vassyl Kochubey

L’épouse du juge général, Liubov Kotchoubey, est décrite comme une femme volontaire, énergique et ambitieuse. Elle est même tenue pour responsable du conflit entre son mari et l’hetman Ivan Mazepa (homme d’Etat ukrainien qui s’est opposé à la domination russe – ndlr) et considérée comme une sorte de Lady Macbeth ukrainienne. Dans une lettre adressée à Kotchoubey, Mazepa a fait remarquer à son destinataire qu’il était dirigé par sa femme. Au contraire, le confesseur de Vassyl Kochubey, le hiérarque Varlaam (Yasynskyi), a comparé dans une lettre cette femme, à la seconde sainte Sarah et aux courageuses Judith et Phael.

D’une manière ou d’une autre, au cours de l’enquête ouverte après la dénonciation de Vassyl Kotchoubey, son épouse Lioubov Kotchoubey a veillé au bien-être de la famille. Grâce à ses liens familiaux, elle a défendu activement ses droits et ses intérêts et réussit finalement à récupérer les terres qui lui avaient été retirées sur ordre du tsar russe Pierre le Grand.

Anastasia Skoropadska, la fille du marchand Marko Markovych de Prylouky et la deuxième épouse de l’hetman Ivan Skoropadsky, qui, dit-on, a considérablement contribué à son élection au poste d’hetman, a acquis une réputation similaire. Leur vie conjugale et la répartition des rôles dans la famille ont été inlassablement moquées : « Ivan porte une jupe de Nastia », disaient leurs contemporains. L’histoire n’a pas gardé les témoignages précis sur l’éducation d’Anastasia, bien que des documents de l’époque maintiennent qu’elle était peu éduquée, peut-être analphabète, ce qui ne l’a cependant pas empêchée de laisser une marque notable dans l’histoire ukrainienne du XVIIIe siècle, de mener des négociations diplomatiques, de recevoir des invités de marque, et voyager à Moscou pour affaires. Elle y a reçu, entre autres, « une belle montre de la nouvelle mode et deux étoffes en or et en argent français, ainsi qu’un petit ensemble d’outils de dessin qui se trouve toujours dans la chambre. »

Il y avait aussi des dons de terres plus importants de la part des autorités russes. Après 1709, les Skoropadsky acquièrent Gamaliivka, qui appartenait à la famille noble Gamaliya précédemment réprimée. C’est là, qu’ils construisirent avec dévotion un couvent, qui devait devenir le sanctuaire familial des Skoropadsky.

Le couvent Gamaliivsky

Lecteurs, auteurs et personnages

Les femmes occupaient une place assez importante dans l’espace public et privé de l’époque baroque. En fonction de leur âge et de leur statut social, elles disposaient d’une certaine latitude pour se réaliser. Elles lisaient des livres, peut-être pas seulement la Bible, écrivaient des lettres et faisaient des dons et influençaient le cours de la pensée et l’espace culturel.

Comme le souligne l’historien polonais Jakub Niedźwiedź, il est difficile de d’estimer le niveau d’alphabétisation des hommes au début de l’ère moderne, sans parler des femmes. Mais au moins certaines sources nous parlent. Par exemple, l’historien analyse le livre des entrées de la confrérie de Sainte-Anne de l’archevêque de Vilnius. La confrérie comprenait des femmes et des hommes de confession catholique, et lors de l’adhésion, chacun devait signer le livre, qui était conservé depuis 1580. Un secrétaire s’en chargeait pour les analphabètes, mais les signatures manuscrites de nobles et de citadins cultivés ont également été conservées.

Les femmes, si elles avaient du talent, étaient éduquées à la maison. Cependant, Jakub Niedźwiedź écrit que dans la seconde moitié du XVIe siècle, il y avait une école calviniste à Vilnius, où les filles protestantes étaient probablement éduquées, et dans les années 1690, une école pour filles catholiques a aussi été fondée au couvent des Bernardines. Cependant, ils enseignaient surtout des choses pratiques : broderie, couture, filage, tissage, parfois cuisine et lessive, et parfois lecture et, dans une moindre mesure, écriture. L’éducation des femmes était si exclusive qu’il fallait parfois adresser une requête au roi : il existe une lettre de Sigismond III à l’abbesse Kuczowska concernant l’admission au noviciat de la fille du barbier Jakub Kal, qui avait été élevée auparavant au couvent de Sainte-Catherine.

La vie quotidienne des nonnes était remplie de lectures collectives et individuelles de livres. Elles ont copié et, très probablement, complété et créé des textes sur des sujets religieux ainsi que des chroniques. L’Ukraine ancienne n’avait pas sa propre Madame d’Aulnoy : la conteuse française du XVIIe siècle, qui a fondé la tradition du genre « conte de fées magique » et a été suivie par Charles Perrault. Il n’y avait pas non plus de sœur de Juana Inès de la Cruz, nonne mexicaine du XVIIe siècle et auteur d’une prose confessionnelle. Mais qui sait quelles figures se cachent sous les noms d’auteurs anonymes de traités polémiques ?

La littérature baroque ukrainienne était entièrement religieuse, marquée par le culte de la Vierge. Cependant, même ce corpus de textes écrits par des hommes pieux comprenait des personnages féminins. Dans leur registre inférieur typique, des chantres itinérants jouaient avec des histoires bibliques sur « la bonne Eve » et « la bonne Esther ». Et dans l’hagiographie est apparue l’image de la Sainte Vierge d’une beauté surnaturelle ; Juliania de Golchanska, la seule sainte de la Laure de Kyiv-Pechersk : « Elle était blanche de corps et belle, comme si elle dormait vivante, richement décorée, vêtue de soie et de robes tissées d’or, elle avait autour du cou des hryvnias (monnaie ukrainienne – ndlr) en or avec de nombreuses perles, aux mains des chaînes d’or et des anneaux précieux, » témoignent les chroniques. Sur sa tête se trouve une couronne en or avec des perles, des boucles d’oreilles sont aussi en or avec de grosses perles et des pierres précieuses. Une telle insistance sur la beauté corporelle et la richesse matérielle est tout à fait atypique pour un texte hagiographique qui est censé se concentrer sur la décoration spirituelle.

Selon Leonid Ouchkalov, les artistes baroques ukrainiens ont habillé des personnages de l’histoire sacrée avec des robes ukrainiennes, les peintres d’icônes ont représenté la Mère de Dieu et les saints martyrs sous la forme de jeunes filles ukrainiennes, et les scènes de la Nativité ont montré Rachel comme une jeune femme vêtue d’une plakhta (une sorte de jupe, élément du costume national ukrainien – ndrl). La vie d’une personne du début de l’ère moderne n’était pas facile, mais elle était brillante, pleine et riche. Et cela valait pour les deux sexes.