« Actuellement, on comprend que nous, on peut changer le monde, littéralement »
Des changements voient le jour grâce aux jeunes. Pour l’Ukraine, il s’agit d’un axiome : « Révolution sur le granit, » l’Ukraine sans Koutchma, la Révolution orange, l’Euromaïdan … C’étaient les étudiants qui étaient à l’origine de ces mouvements protestataires. Un esprit révolutionnaire et un sens aigu de l’injustice sont inhérents à la jeunesse. Aujourd’hui, les jeunes ukrainiens ont dû grandir vite. Il est peu imaginable pour eux de sortir et de faire la fête toute la nuit, sous les sirènes et les frappes de missiles. Et il y a ceux (et ils sont nombreux) qui ont quitté les salles de cours des universités pour aller défendre leur patrie, les armes à la main. Ils ont sur les épaules une responsabilité sans précédent pour leur âge : l’avenir de leur pays.
L’Ukraine après la victoire, qu’est-ce qu’elle va devenir ? « Les braves ont toujours leur chance » dit l’écrivain ukrainien Ivan Bagriany dans son roman « Chasseur de tigres. » Et c’est bien vrai. S’il n’y avait pas eu le courage et la volonté des Ukrainiens de tenir tête à un agresseur plus fort, tout serait différent aujourd’hui.
En choisissant, selon la tradition, le pays de l’année, le magazine britannique The Economist a dit que pour la première fois, il n’y avait pas eu la moindre hésitation parmi les journalistes : tous ont soutenu le choix de l’Ukraine. Tout d’abord, vu l’héroïsme des Ukrainiens, qui demandent des armes, et pas un billet pour quitter le pays. Et puis vu leur ingéniosité : des familles entières se sont engagées pour faire des cocktails Molotov, à « soigner » les occupants, d’autres se sont mis à modifier des voitures civiles pour les besoins des militaires, d’autres encore ont travaillé la mise à niveau de drones, et ont trouvé comment utiliser divers produits que leurs fabricants ne pouvaient même pas imaginer. En plus, la solidarité des Ukrainiens a joué un rôle. On a besoin de fonds pour acheter un « Bayraktar » [drone tactique]? On réunit la somme pour en acheter trois. La direction du renseignement a besoin de quelque chose dont on n’a pas le droit de prononcer le nom? Pas de souci, on lance une cagnotte anonyme.
Certes, cette force et cette ingéniosité des Ukrainiens n’ont pas émergés d’une vie heureuse. Des coachs de toute sorte s’appliquent à apprendre au public comment être plus ingénieux ou comment mieux gérer sa vie. Eh bien, nous avons maintenant tout un pays de citoyens ingénieux et aptes à bien gérer les choses. Depuis près d’un an, le gouvernement allemand hésite sur les éléments à faire prévaloir pour dépenser les 100 milliards d’euros qui sont réellement nécessaires à sa défense. Pendant ce temps, les Ukrainiens ont appris à maîtriser des dizaines de types d’armes occidentales différentes, d’une valeur de plus de 20 milliards d’euros, bien que nous aurions mérité clairement plus. Peut-être que cette guerre n’aurait pas duré aussi longtemps si l’Ukraine avait été soutenue plus activement et si nous n’avions pas dû aller chercher à grand peine les armes pour nous défendre.
Aujourd’hui, l’Ukraine donne une leçon au monde entier. Mais cette leçon s’apprend avec difficulté. A plusieurs reprises ici et là, on entend les appels adressés à l’Ukraine pour négocier la paix sans tarder, alors que cette paix ne servirait qu’à donner un temps de répit à la Russie pour réunir ses forces et engendrer le chaos sur la planète, avec une vigueur renouvelée. Dans un éditorial pour The Economist, l’historien Yuval Noah Harari dit que le sort de la démocratie mondiale se décide à l’heure actuelle en Ukraine, et que l’état des choses dans notre univers mondialisé dépend de l’aptitude des Ukrainiens à faire en sorte que l’histoire « ne se répète pas. » Il explique pourquoi le sort d’un enseignant ou d’un travailleur dans des pays situés à des milliers de kilomètres dépend désormais de la victoire ou de la défaite de l’Ukraine, et donc du soutien ou non des démocraties. Quoi qu’il en soit, la mission principale de l’Ukraine, c’est de vaincre la Russie. Mais à quoi ressemblera cette victoire ? Comment la voyons-nous ? Quand pourrons-nous dire que nous avons gagné ? Quand nous reviendrons aux frontières administratives de 1991 ou quand la menace russe aura disparu ?
Cela fait longtemps que Tyzhden dit que la conséquence inévitable de la victoire de l’Ukraine sera l’effondrement de la Russie. C’est seulement là que nous aurons la possibilité de respirer tranquillement. Mais comment voulons-nous voir l’Ukraine après la victoire ? Aujourd’hui, où, semble-t-il, il est trop dur de réfléchir sur notre avenir, c’est exactement ce qu’il faut faire. De telles réflexions nous aident à être plus résistants. C’est cette résistance que le monde entier admire.
Pour convaincre les femmes d’être plus actives, dans son livre « Lean in » (Connecte-toi), l’ancienne directrice des opérations de Facebook Sheryl Sandberg suggère de se poser la question suivante : « Qu’est-ce que je ferais si je n’avais pas peur ? » En fait, cette règle est universelle pour les femmes comme pour les hommes. Depuis longtemps, les Ukrainiens craignaient de ne pas être « comme les autres », tel était l’effet d’un complexe d’infériorité que l’empire russe nous avait inculqué durant des siècles. Aujourd’hui, nous sommes en train de réaliser que nous pouvons littéralement changer le monde, puisque nous sommes courageux, forts et que nous avons nos propres convictions, tout comme Hryhoriy Mnogogrishnyi, personnage du roman « Chasseur de tigres » d’Ivan Bagryany, qui mène sa lutte contre le régime soviétique. Ivan Bagryany n’avait probablement pas pensé que telle serait l’Ukraine, soixante-dix ans plus tard.
Cet article est écrit pour le projet conjoint de « Ukrayinsky Tyzhden » et de l’École de journalisme et de communications de l’Université catholique d’Ukraine.