Comment Lviv a-t-il survécu à l’une des frappes russes les plus violentes

Société
14 octobre 2022, 08:41

Lviv n’a jamais connu une nuit aussi noire, mais comme toujours après la tombée de la nuit, un matin baigné de soleil s’est levé … accompagné de nouvelles alertes aériennes. Le 10 octobre, pour la première fois depuis ces derniers mois, la ville a ressenti le bruit des missiles ennemis et les conséquences de leur impact sur des objets de l’infrastructure critique. Pendant plusieurs heures le 10 octobre, presque toute la ville s’est retrouvée coupée de l’électricité. Le lendemain matin, les objets endommages étaient réparés, mais le 10 octobre au soir, les rues de Lviv étaient plus noires que jamais : l’éclairage ne fonctionnait plus, les tramways et les trolleybus ne quittaient plus leurs dépôts, des feux de circulation étaient hors service ci et là.

Le matin du 11 octobre, alors que la ville était presque complètement revenue à la vie normale, les troupes russes ont réussi à cibler à trois reprises les infrastructures critiques de la ville et de la région. « Hier, des missiles ont touché 4 sous-stations électriques. Après des frappes à répétition, deux sous-stations sont balayées », a dit le chef de l’administration militaire régionale de Lviv, Maxym Kozytsky lors du point presse le jour-même. Selon Kozytsky, Lviv et la région ont été visées comme l’une des principales cibles des russes : « 15 missiles ont atteint le territoire de la région de Lviv, 7 d’entre elles ont été interceptées. Aujourd’hui, trois cibles ont été touchées, ainsi que des missiles interceptées par le commandement aérien « Ouest», a-t-il expliqué. Un employé de l’une des sous-stations touchées par le missile a été blessé.

Malgré le fait que depuis le début de l’invasion de grande échelle, ce n’est pas la première fois que la ville et la région ont été ciblées par les frappes russes, au cours des derniers mois, Lviv, comme d’autres villes de l’ouest de l’Ukraine, semblait être un « havre de paix ». De nombreuses entreprises de Kharkiv et de Kyiv ont été délocalisées vers Lviv. Des déplacés internes ont également essayé de créer leur propre entreprise ici. En été, les habitants de Mariupol ont ouvert le café « 0629 » et le restaurant « BLUEFIN », les habitants de Kharkiv ont ouvert le café « Pershiy ». Serhiy et Ivan, des déplacés de la région de Kyiv, ont été parmi les premiers à ouvrir leur café-fenêtre « KIIT » en avril au centre ville : rue Ruska, 3. Serhiy est venu d’Irpen, Ivan de Borodyanka. Leur café est vite devenu populaire.

À la fin de la deuxième journée de bombardements massifs, j’ai croisé Ivan dans un autre café –fenêtre, dans la rue Lepkogo. Les amis ont réussi non seulement à démarrer leur entreprise à Lviv, mais aussi à l’étendre. En faisant du café, Ivan partageait ses réflexions sur les deux derniers jours. « Hier, j’ai ressenti des flashbacks me renvoyant en printemps », dit-il. Tout de même les bombardements qui ont frappé la ville et la région le 10 octobre sont une épreuve pas facile à vivre émotionnellement pour quelqu’un qui a fui des atrocités des Russes et venu ici, dans un endroit où c’est relativement la paix.

Une épreuve également pour les autorités locales. Lors d’un briefing mardi 11 octobre, le maire de Lviv Andriy Sadovy a déclaré qu’il faudrait « non des jours, mais des mois » pour rétablir le fonctionnement des quatre sous-stations électriques mises en hors services. En même temps, si l’on écoute les appels des propagandistes à la télévision russe, la Russie ne va pas cesser de terroriser la population civile en bombardant les infrastructures critiques des villes. « Nous avons une semaine ou deux devant nous pour nous préparer à la saison de chauffage, vue la nouvelle réalité », estime Sadovy. Auparavant, la municipalité avait acheté des générateurs diesel et le maire a expliqué que le 10 octobre, alors que près de 90% de la ville se trouvée coupée de l’électricité, c’est grâce à ces générateurs que l’approvisionnement en eau a pu être assuré dans quelques quartiers de la ville. En même temps, l’absence du réseau mobile causée par la coupure de l’électricité indique qu’il y reste beaucoup à faire afin de réduire les dégâts produits par des éventuels actes terroristes du Kremlin.

Mais aucun bombardement ne peut briser l’intrépidité des Ukrainiens. Malgré le black-out, Lviv continue de vivre sa vie et chacun fait son travail : les boulangers vendait du pain depuis leurs voitures, les secouristes nettoyaient débris causés par des missiles russes, les médecins soignaient les patients. Et bien que la ville se situe loin dans l’arrière-pays, le sentiment de la guerre était y bien présent avant même les difficiles matinées des 10 et 11 octobre. En autre, dans les centres de l’aide humanitaire. Le bâtiment de la bibliothèque municipale pour la jeune publique qui se situe tout au centre ville – sur la place Rynok – accueille un de tels centres. Les gens y tissent des filets de camouflage pour les militaires. Entourés de livres (puisque la bibliothèque n’a jamais arrêté d’y fonctionner), des femmes et des hommes trient et coupent des morceaux de tissus.

Malgré les frappes après la fin des alertes aériennes, les gens y venaient les 10 et 11 octobre. Le peintre Andriy Naboka y vient travailler, lui aussi. Il est originaire de Kyiv, venu s’installer à Lviv en mars, lorsque les Russes ont essayé d’envahir sa ville natale. Pour l’instant, il travaille ici. Des volontaires lui donnent des fragments de tissus qui ne conviennent pas d’être utilisés pour des filets de camouflage, et l’artiste en crée de véritables chefs-d’œuvre. L’un de ces chefs-d’œuvre a un nom qui vaut une prophétie, une image du pont de Crimée en flammes. « Maintenant, je veux représenter le Kremlin pris de feu », confie Andriy. L’artiste a déjà créé de nombreuses œuvres. Tous reflètent très bien notre réalité : une mère avec un enfant dans une fenêtre, recouverte d’un film, ou des portraits de combattants d’Azov.

La place Rynok est exceptionnellement désertée, mais le tramway y suit son parcours quotidien et des citadins viennent sur les terrasses des cafés quelques heures après la fin des alarmes. Une pluie fine tombe sur la ville. Parce que rien ne peut changer le temps habituel d’ici. Un immense panneau « Azovstal. Free Mariupol defenders » flotte à tous les vents sur le toit de l’Hôtel de Ville. Et juste à côté, les passants peuvent lire des brèves textes parlant des héros à qui la ville a rendu le dernier hommage récemment. Le prix de cette guerre est bien ressenti loin dans l’arrière-pays.