Trump abat ses cartes, l’Ukraine s’inquiète

13 février 2025, 11:54

Le président américain a tenu une longue conversation avec son homologue russe et pris position pour un accord de paix rapide, qui semble sacrifier les intérêts ukrainiens. En Ukraine, la société civile réagit de façon négative, tandis que le président Ukrainien tente de trouver un moyen de peser sur les discussions en cours.

Pour Donald Trump, la conversation d’1h40 qu’il a eue avec Vladimir Poutine ressemble à celle de deux vieux amis discutant au coin du feu: « Nous avons tous deux réfléchi à la grande histoire de nos nations et au fait que nous avons combattu ensemble avec tant de succès pendant la Seconde Guerre mondiale, en nous souvenant que la Russie a perdu des dizaines de millions de personnes, et que nous en avons perdu tant ! Chacun de nous a parlé des forces de nos pays et des grands avantages que nous aurons un jour à travailler ensemble », a raconté le président américain.

En Ukraine, on a immédiatement remarqué que Donald Trump n’a pas mentionné le nombre important de victimes et la participation des Ukrainiens à la Seconde Guerre mondiale. « Poutine mène une campagne d’information active depuis une décennie pour dissimuler l’agression actuelle derrière une propagande insistant sur la participation de la Russie à la victoire sur le nazisme. Et cela semble avoir fonctionné », a remarqué l’historien ukrainien, député à la Rada, Volodymyr Viatrovych.

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Selon M. Trump, M. Poutine et lui se sont mis d’accord sur le fait qu’ils voulaient mettre fin rapidement à la guerre qui a fait des millions de morts. « Le président Poutine a même utilisé la devise de ma campagne : « LE BON SENS ». Nous y croyons tous les deux beaucoup. Nous avons convenu de travailler ensemble, très étroitement, y compris en visitant nos pays respectifs. Nous avons également convenu de demander à nos équipes d’entamer immédiatement des discussions, et nous commencerons par appeler le président Zelensky pour lui faire savoir que nous parlons, ce que je vais faire dès maintenant », a ajouté le président américain.

Volodymyr Zelensky, à son tour, a partagé les détails de sa conversation avec Trump. « Une longue conversation. Sur les possibilités de parvenir à la paix. Sur notre volonté de travailler ensemble. Sur nos capacités technologiques, en particulier les drones et autres moyens de production modernes. Je suis reconnaissant au président Trump pour l’intérêt qu’il porte à ce que nous pouvons faire ensemble. Nous avons discuté de ma conversation avec Scott Bessent (nouveau secrétaire américain au trésor et en visite à Kyiv le jour même, NdR) et de la préparation de notre nouvel accord sur la sécurité et la coopération en matière d’économie et de ressources. Le président Trump m’a informé des détails de sa conversation avec Poutine », a-t-il écrit.

Les activistes de la société civile ukrainienne font également part de leurs réactions. « La première chose qui saute aux yeux quand on lit la déclaration de Trump sur sa conversation avec Poutine, c’est qu’il s’agissait d’un échange totalement inégal. Je comprends ce que Poutine a su tirer de cette conversation. Mais je ne comprends pas ce qui revient à Trump. C’est une sorte de puissante chute dans une flaque de la part de nos partenaires américains. Et personne ne les a encouragés à le faire. Trump s’est joyeusement jeté dans cette flaque boueuse tout seul » , a écrit le volontaire et recruteur Sergiy Marchenko.

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Il a également ajouté que Poutine souhaitait depuis longtemps parler au président américain, non seulement de l’Ukraine, mais aussi d’un nouveau partage du monde. M. Biden n’était pas intéressé, mais M. Trump a immédiatement accepté les conditions du dictateur russe. « Maintenant, beaucoup de gens écriront que c’est Trump qui joue si astucieusement avec Poutine. Après tout, qui suis-je pour dire ce qu’il y a dans la tête de Trump si même lui ne le sait pas ? Mais si l’Ukraine a un plan B, il est temps de passer au plan B. À partir d’aujourd’hui, les États-Unis ne sont plus un allié fiable. Il est possible qu’ils cessent d’être un allié tout court », a souligné Sergii Marchenko.

Oleksandr Kraev, expert du think tank « Prisme ukrainien » a écrit : « « Trop de mots sur la Seconde Guerre mondiale. TROP. Encore une fois, on ne mentionne que des Russes du côté soviétique, encore une fois, on revient sur une « grande histoire commune », encore une fois, on parle de la « force et la grandeur » sans aucune substance. Encore plus alarmant est le fait que Keith Kellogg est remplacé par Ratcliffe dans les négociations, et ce n’est pas bon », a ajouté l’expert. Selon lui, La tâche devient donc plus compliquée pour Kyiv. « L’Ukraine ne doit pas seulement être visible à Munich, mais elle doit être prête de la meilleure façon possible », a-t-il dit.

L’avocat ukrainien Andriy Smoliy a noté que le système dans lequel le monde a vécu au cours des 70-80 dernières années a été complètement détruit : d’abord par Poutine, maintenant par Trump. « Poutine a répété à Trump tous ses récits sur les « causes profondes » de la guerre. Et je vous rappelle que la principale cause fondamentale est l’existence des Ukrainiens et de l’Ukraine. D’une manière ou d’une autre, il est peu probable que tout cela apporte la « paix » au monde. À moins qu’on n’apaise l’agresseur, comme en 1937-1938 en Europe. Par conséquent, même si l’approche de Trump donne un effet temporaire et une paix éphémère, les développements ultérieurs pourraient conduire à des conséquences encore plus catastrophiques, et ce dans le monde entier », estime-t-il.

« Nous pouvons être scandalisés au plus haut point à ce stade de l’histoire – par exemple, quand on commente la dernière conversation de Trump avec Poutine. Mais il convient de se rappeler l’histoire récente : en 2014, Victoria Nuland s’est d’abord rendue à Moscou pour discuter avec le Kremlin, et ce n’est qu’ensuite qu’elle a insisté pour que nous – la Verkhovna Rada et l’Ukraine dans son ensemble – organisions des élections dans les territoires occupés de la RASD », rappelle Victoria Voitsitska, directrice du plaidoyer pour le Centre international pour la victoire ukrainienne (ICUV) et députée.

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Lorsque nous avons tenté d’expliquer que de telles élections étaient impossibles, Mme Nuland s’est montrée inflexible : « Soit vous êtes d’accord, soit vous restez seuls avec la Russie ». C’est ainsi que nous avons été traités pendant 11 ans, comme un objet Aujourd’hui, il est temps de se regarder sobrement dans un miroir et de répondre honnêtement aux questions douloureuses qui se posent : où avons-nous une influence sur les processus en cours? En quoi consiste-elle ? Et surtout, comment et quand devons-nous l’utiliser ?