Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Savyntsi-Zalyman. Comment deux villages d’une même communauté ont survécu aux combats, alors qu’ils se situaient de part et d’autre du front

Guerre
9 janvier 2023, 18:15

Zalyman

Le village de Zalyman ( district d’Izyum, région de Kharkiv), n’a été occupé que pendant un mois. Il s’est accroché fièrement. Pour cela, il a reçu une reconnaissance adaptée de la part des occupants – un abonnement de six mois pour un bombardement illimité. La première tentative de « libération » du village cosaque s’est terminée par une surprise désagréable pour les envahisseurs. Non seulement les habitants ne les attendaient pas, mais de plus ils sont venus à la rencontre de ces invités mal-aimés avec des cocktails Molotov.

Il y avait peu de défenseurs, mais les Russes ne le savaient pas. Le groupe avancé qui essayait de pénétrer à Zalyman était également en petit nombre et il n’y avait qu’une seule route entre les marais gelés. Par conséquent, le char, TTB un véhicule blindé de transport de troupes et un groupe de « Bouriates de combat » ont aussi décidé de battre en retraite, juste au cas où. Il n’y avait pas d’unités ukrainiennes régulières dans le village. Ils se préparaient à rencontrer les occupants dans les alentours du village de Husarivka, de sorte que le retard de plusieurs jours des soldats de Poutine n’a profité qu’aux forces armées ukrainiennes. Pendant trois jours, les soi-disant « libérateurs » russes ont piétiné, déplaçant lentement leur poste de contrôle improvisé jusqu’à Zalyman, avant de se rendre compte qu’il n’y avait personne pour leur résister et que la voie était libre. Plus loin par contre, ils ont été accueillis glorieusement à Husarivka.

– Ils sont venus chez nous avec des drapeaux, courageux et joyeux, – raconte un habitant du quartier Vasyl Ivanovych, – et ils sont repartis sans drapeaux et avec leurs pneus crevés.

Mais ce ne fut pas immédiat. Les habitants de Zalyman ont dû ressentir l’occupation sur eux-mêmes. En raison des rotations constantes, les envahisseurs n’ont pas eu le temps de s’orienter sur le terrain, c’est pourquoi le village n’a pas souffert de pillages ni d’abus à grande échelle. Au contraire, les habitants se moquaient d’eux autant qu’ils pouvaient, en indiquant leur position.

Vassyl Ivanovych et Maria Ivanovna sont volontaires. Ils sont connus de tous comme « grand-père Vassyl et grand-mère Maria.» Depuis 2014, ils aident l’armée ukrainienne. Pendant un mois entier, alors que Zalyman était sous occupation, le drapeau ukrainien a flotté sur leur maison et les Russes n’ont pas osé le décrocher. Ils les ont enlevés sur tous les bâtiments administratifs, mais pas sur la maison de ses gens âgées.

Vassyl et Maria

– Une voisine m’a dit qu’un jour elle est allée au magasin pour obtenir de l’aide humanitaire, – raconte Maria. – « J’ai eu peur, j’ai regardé votre maison, et vous aviez notre drapeau accroché dessus. Un Russe avec une mitrailleuse se tenait juste en dessous. Il gardait votre maison avec un drapeau. »

– Et je ne les ai pas laissés entrer dans la cour, – explique le grand-père – L’un d’entre eux tentait d’enlever le drapeau, et j’ai dit: « entre, » et je tiens à la main un cocktail Molotov, et un briquet dans l’autre main. « Je vais le brûler, j’ai dit, entre. » J’ai même ouvert le portail pour lui, mais il n’est pas entré.

Le vieux a également refusé d’enlever le drapeau à la demande des voisins.

– Comment puis-je enlever mon drapeau? Ce serait une honte! Comment puis-je regarder les gens dans les yeux ? Ils diront que j’ai eu peur et que j’ai descendu mon drapeau !

Alors que les « libérateurs » s’enfuyaient le 31 mars, le soldat offensé a décidé de se venger du grand-père. Il s’est précipité vers lui, a voulu le tuer, mais le chargeur de l’AK était vide. Le vieil homme a de nouveau saisi la bouteille, qui l’attendait sur son porche, il a allumé un briquet et a fait une geste pour la balancer… « Un véhicule de combat d’infanterie passait par là, il a sauté dessus, et ça s’est terminé comme ça. » Mais les deux autres nous ont fait des misères. Ils ont tiré sur la maison avec des mitrailleuses et même avec des balles explosives. Heureusement il n’y avait personne et que personne n’a été blessé.

Maria Ivanovna et Vassyl Ivanovych sont sûrs que c’était juste à cause du drapeau. « Ils étaient assis dans la cave sous la maison, et notre drapeau était au-dessus d’eux,» raconte la vieille femme. « Plus tard, notre village a été bombardé par des avions, » ajoute le vieil homme, « probablement parce que nous les avons agacés. » Une fois, j’ai ouvert la fenêtre et leur ai dit: « eh bien, ils ont pris l’Ukraine en trois jours, ont paradé avec leur putain de « Slave » ? Mais nous irons sur la Place Rouge et nous marcherons! J’ai pris mon accordéon et leur ai joué la Marche des tireurs de la Sitch (un chant patriotique ukrainien qui date de la première guerre mondiale – ndlr). J’ai pensé qu’ils allaient commencer à tirer depuis le char, parce que je me tenais à proximité. »

Maria raconte qu’autrefois elle a « prédit » la guerre et même la façon dont elle allait se dérouler ici.

– Il y a trois ans, en février, – dit-elle, – j’ai rêvé que nous conduisions un tracteur à Savynka. La remorque était pleine de citrouilles, et des avions russes nous survolaient depuis Savyntsi. C’était mon rêve. Et trois ans plus tard, le rêve est devenu réalité. C’était comme ça.

Savyntsi

Après s’être enfuis en traversant la rivière Siverskyi Donets à Savynka (le centre de la localité à laquelle Zaliman appartient), les occupants ont partiellement fait sauter le pont qui traverse la rivière afin que les troupes ukrainiennes ne puissent pas les attaquer. Mais ils n’ont pas abandonné l’espoir de regagner leurs positions perdues. Dès la nuit suivante, ils ont tenté de reprendre le village, mais ils ont été repoussés, puis pendant plus d’un mois, ils ont frappé Zalyman avec tout ce qu’ils avaient.

Savintsy a beaucoup moins souffert des bombardements

– Ils ont donc commencé à l’aube, et jusque tard dans la soirée, – dit Volodymyr, un habitant de Savyntsi, au-dessus de la maison duquel volait toute cette abomination mortelle. – Les nôtres ne répondaient pas souvent, mais avec précaution, uniquement sur des cibles ennemis, afin de ne pas tuer de civils. Ils frappaient essentiellement hors village, là, où les orcs avaient des bases et des entrepôts. Si vous allez à Izium, vous verrez qu’ils ont détruit tout un convoi avec des munitions qui se cachait dans la forêt.
– Et cela est arrivé chez nous le 20 avril, – dit Maryna, une habitante rde Savyntsi. En face de sa maison, les occupants ont placé un abri de nuit et un entrepôt.

– Notre drone est arrivé, puis nos mines, explique la femme. – Je pensais que quelque chose dans la voiture avait explosé. Je suis sortie mais ils (les Russes – ndlr) étaient en train de faire un barbecue. J’ai juste eu le temps de rentrer dans la maison en courant et il s’est remis à voler.

– Maryna vit avec sa mère, âgée de 84 ans. La maison d’en face appartenait aussi autrefois à sa famille. Sa mère y a vécu lorsqu’elle était encore petite fille pendant la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, elle a très peur, comme à l’époque.

– C’est le destin, dit la femme, ma mère a survécu à deux guerres. C’est la deuxième pour elle, dans le même endroit. Tout l’été, elle a eu peur de sortir: elle était assise sur le seuil de la porte :  « Papa, j’ai peur, protège-moi. »

Bien sûr, les occupants n’ont pas seulement bombardé Zalyman. Izyum et les villages situés derrière, où la ligne de contact a été établie, ont le plus souffert. Toute la rive droite de Siverskyi Donets, là où les agresseurs n’ont pas réussi à percer ou là d’où ils ont été chassés, a été soumise à un bombardement massif. Sur le territoire qui est resté sous le contrôle des forces armées ukrainiennes, aujourd’hui de nombreux villages sont presque entièrement détruits. Comme par exemple, Nortsivka, le village voisin de Zalyman.

Au contraire, les villages occupés sont quasiment indemnes. A Savintsy, dans un immense village, on ne trouve que quelques maisons détruites. Et les lieux visés étaient ceux où les occupants avaient installé leurs quartiers généraux et leurs abris.

– Savyntsi, étonnamment, n’a presque pas été endommagé par rapport à d’autres villages,- dit Volodymyr. – Les occupants pensaient que les forces armées ukrainienne attaqueraient d’ici et auraient construit toute une ligne de défense ici. Ils étaient partout : Mayak, Dovhalivka, Rakivka. Tout est déchiré par des tranchées le long du rivage et sous la voie ferrée. Tout est miné. Mais les nôtres avaient beaucoup d’hélicoptères. Le 10 septembre (il y a eu une contre-offensive des Forces armées ukrainiennes – ndlr ), tout bourdonnait ici. Je pensais que c’était des gros insectes. Puis j’ai regardé de plus près : non, pas d’insectes. Il y avait plusieurs drones suspendus en hauteur. Et ce sont eux qui tiraient ponctuellement.

Destruction

Mykola, un habitant de Zalyman, dont la maison a été détruite par des missiles d’hélicoptères, raconte que tant qu’il est resté dans le village, il n’y avait pas de paix.

– Ils bombardaient constamment. Toutes les cinq minutes. Ils chargeaient encore et encore, il n’y avait pas de paix ni jour ni nuit. On ignore combien d’obus ils y ont déversés. Maintenant, des journées entières, les sapeurs sillonnent la zone et récupèrent leurs obus.

Maisons détruites de Zalyman

Il était impossible de vivre dans une telle horreur et les gens ont commencé à partir en masse. Vassyl et Maria ont décidé de quitter le village lorsque deux roquettes ont touché leur cour le 13 mai.

– Ce jour-là, une voisine est venue, – se souvient Maria Ivanovna. – nous étions paniqués. Cinq minutes plus tard une fusée a touché notre poirier. Nous avions tellement peur. Une colombe qui était là – est morte. Et mon mari était dans la maison, alors j’ai couru là-bas, et il est sorti en criant : « Tout le monde à la cave. » On a juste réussi à atteindre la cave au moment où la deuxième fusée est arrivée.

– Et Qu’est-ce que je suis censé faire ici, attraper des obus ? – plaisante le grand-père. Nous nous sommes levés tôt, à 4 heures du matin, et avons traversé la montagne pour aller à Volobuivka chez nos amis. Nous roulions et avons vu de nombreux obus de « Grad» dans les champs de blé, sur la route, c’était terrible. Puis nous sommes allés à Kharkiv, et ensuite un peu en Transcarpathie. Nous y sommes restés et sommes revenus quand les orcs ont été chassés d’ici.

Il pense que les Russes sont devenus fous de jalousie. Ils ont été surpris de la lumière et de l’asphalte dans le village. Ou ils nous ont demandé de donner des « burzuykas » (un petit poêle en métal pour se chauffer – ndlr), parce qu’il faisait froid la nuit.

– Mais quels burzuykas? Où peut-on les trouver, bonnes gens, nous nous avons du gaz? Nous avons déjà oublié ce que c’est un « burzuyka », ajoute Vassyl Ivanovych.

À la fin de l’été, il ne restait plus qu’une cinquantaine de personnes dans le village sur près d’un millier d’habitants. Ils disent qu’à la fin de l’été, les soldats de la prétendue « République démocratique de Donetsk », natifs du village de Savyntsi, leur auraient dit de quitter Zalyman, « car il n’y aurait plus de village ». Cependant, quelques jours plus tard, les Ukrainiens sont passés à l’offensive et ont libéré presque toute la région de Kharkiv.

– Beaucoup d’envahisseurs ont été attrapés ici, – dit Volodymyr de Savyntsi, – peut-être qu’ils se cachent encore. C’était dur ici le 10 septembre. Partout où ils allaient, ils étaient battus. Ils partaient de là vers le centre, puis allaient à Dovhalivka, revenaient, allaient à Vyshneve, et revenaient encore. Puis ils ont laissé un char et en ont conduit un autre loin de la ville. Les gens ont dit que trente personnes ou plus sont montées dessus. Ils ont cherché des voitures dans le village, se sont enfuis à bicyclette, à moto, par tous les moyens. Et ils étaient habillés en civil. Ils sont entrés dans des maisons abandonnées et y ont jeté leurs mitrailleuses.

Libération

La première chose que les habitants des villages voisins ont faite après que les orcs (car les envahisseurs ne sont pas appelés autrement ici) aient été chassés, ils ont construit un pont (traversée) sur le Siverskyi Donets, pour rétablir la communication, car de nombreuses familles vivent sur les deux rives. Au fil du temps, le pont a été agrandi pour rendre plus pratique la traversée à vélo, car ici, c’est presque le seul moyen de transport fiable qui permet d’aller partout. Contrairement à Savyntsi, il n’y a vraiment pas une seule maison qui a survécu à Zalyman aujourd’hui. Le club, l’école, le jardin d’enfants sont détruits. Tout, d’une manière ou d’une autre, est cassé ou endommagé. Les gens n’en ont pas peur. Ils viennent, dégagent progressivement les décombres, réparent tout.

La maison du Vassyl et Maria ne fait pas exception. Les fenêtres ont été brisées, les portes ont été arrachées, le toit et les murs ont été coupés par des éclats d’obus et des balles. Heureusement, le bâtiment lui-même a survécu et, contrairement aux maisons incendiées voisines, est toujours en réparation. Le vieil homme répare la maison petit à petit, du mieux qu’il peut, tandis que sa femme travaille au jardin. Ils ont réussi à planter quelque chose au printemps, donc c’était un péché de ne pas récolter. « 30 seaux de pommes de terre ont été déterrés, beaucoup d’oignons aussi. Comment ont-ils poussés, alors que les jardins étaient si envahis de mauvaises herbes ?

Mykola raconte qu’avant la guerre, il voulait démonter la vieille maison en bois de son arrière-grand-père, mais quand il y est arrivé, il s’est rendu compte qu’il allait devoir y vivre maintenant. La maison n’a presque pas été endommagée par les explosions. S’il n’y a pas d’incendie ou de coup direct, les structures en bois survivent généralement.

Tous les « paquets-cadeaux » qui sont tombé sur Zalyman n’ont pas explosé. Certains n’ont pas éclaté, donc se promener dans le secteur est assez dangereux. Récemment, une voiture de volontaires a explosé dans la forêt. Deux hommes ont été tués, une femme a été grièvement blessée. Il y aussi beaucoup de « surprises » à Savyntsi, surtout dans les jardins. De plus, « les prairies étaient pleines de trébuchets, et il y a des mines près du pont », disent les habitants. Cependant, les gens ne perdent pas espoir. « Je suis venu ici en train avec une femme de Balaklia. Elle n’arrêtait pas de se plaindre de la façon dont elle allait vivre quand il n’y aurait plus ni gaz ni d’électricité et que sa maison serait détruite. Et je lui ai dit – nous allons vivre dans une grange et reconstruire petit à petit. Nous ne serons pas vaincus », déclare Maria.

Auteur:
Roman Malko