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[post_content] => La première chose qui vient à l'esprit quand il s'agit de pulsions intimes : se limitent-elles à des caprices lubriques ? En effet, le livre de Georges Bataille, « Histoire de l'érotisme », n'a pas pour but de parasiter à l'infini la multiplication des illustrations dont la tâche est d'enflammer sans cesse les passions, mais de révéler les aspects de la passion débridée qui se prêtent à l'entendement. Surtout, Bataille distingue systématiquement l'activité sexuelle animale de l'érotisme humain. C'est précisément dans l'impulsion de ce dernier que se forment les significations relatives à notre désir. Par exemple, ils apportent des réponses à la question de savoir pourquoi et dans quelles conditions la nudité est associée à l'obscénité. Ainsi, l'érotisme est un domaine où l'amour acquiert une signification presque divine. N'est-ce pas pour cela que les objets de la passion nous sont toujours cachés, insaisissables, voire imaginaires ? Dans le texte de Bataille, nous trouvons des références à différentes traditions de pensée sur ce problème. Ainsi, dans « Structures élémentaires de la parenté », Claude Lévi-Strauss explique l'interdiction des relations sexuelles entre proches parents par le fait qu'être humain signifie ne pas commettre d'inceste. Les animaux peuvent s'accoupler facilement et de n'importe quelle manière, mais pas les humains. Ils surmontent les déterminants biologiques pour créer leur propre monde. Cependant, Sigmund Freud ne cesse de rappeler la persistance de nos penchants naturels, révélant la puissance du désir qui finit par briser les tabous. Marcel Moss décrit quant à lui des mécanismes d'échange de cadeaux qui vont au-delà des règles juridiques, économiques et morales. Aussi surprenant que cela puisse paraître à nos regards modernes, donner sa fille ou sa sœur en mariage à un homme d'une tribu étrangère signifiait autrefois s'engager dans un jeu sacré consistant à offrir un cadeau et à attendre quelque chose de semblable en retour. Un tel cadeau privait la femme d'un plaisir débridé, remplaçait les rapports sexuels et apportait du réconfort. C'est ainsi que sont apparues deux sphères : l'une dans laquelle la sexualité était réglementée, l'autre favorisant un moment de liberté débridée, exigeant la transgression, la suppression de toutes les restrictions. Ainsi, la sensualité signifiante permet de parler d'érotisme, qui naît à la fois de la peur et du respect de la chair. En effet, l'homme est effrayé par le fait qu'il entre dans le monde de la chair et du sang. C'est la raison de son aversion pour la défécation, les miasmes, la saleté, la pourriture et finalement la mort. Néanmoins, la compréhension même de l'impossibilité d'éliminer tous ces moments de la vie conduit à la conscience de soi. Cela signifie que la vie et la mort sont interdépendantes. Même dans un objet malodorant, la vie grouille inévitablement. Les désirs suscités par les angoisses donnent naissance à l'érotisme, car la sexualité animale ne connaît pas de crainte. L'homme, quant à lui, est une créature qui recherche un équilibre entre l'Être et le Néant : confort et incertitude, calme et effervescence. L'érotisme implique la recherche de la joie, du sublime, du point culminant de l'existence. Pour cette raison, l'homme est même prêt à plonger dans le vide et à y rencontrer même les monstres les plus effrayants. Il doit représenter des situations de mort à travers les rituels, l'art et la littérature. C'est seulement parce qu'un humain s'efforce toujours de s’élever, qu'il se met à l'épreuve de ces horreurs. Mais la simple assimilation de l'état mystique à l'érotisme sexuel sera vue comme une banalité. Les pratiques mystiques sont évidemment aussi associées à la transgression, au gaspillage d'énergie, à la capacité d'échapper à la réalité quotidienne. Cependant, dans les rapports sexuels, ainsi que dans les rapports religieux ou artistiques, la personne aspire à la totalité de l'être. Pris séparément, l'objet et le sujet ne constituent pas encore des totalités. Leur fusion intégrale est nécessaire, ce qui rappelle quelque peu une percée dans un domaine illimité. Répétons-le : la sexualité purement technique renvoie une personne à la nature, par contre, l'érotisme la plonge dans la totalité. Comme on le voit, l'érotisme n'est pas une voie insouciante et lumineuse. Ce n'est pas sans raison que Bataille le compare à une tragédie, à une chute dans la fange. Et l'amour est assez proche de la destruction. Dès que l'érotisme s'estompe dans le mariage sous l'influence de facteurs économiques et reproductifs, une hiérarchisation claire des rôles, des fonctions et des finalités se dessine immédiatement. Après tout, l'érotisme ne peut pas être réglementé. Il ne tolère aucune restriction, car il naît de la transgression des règles. L'érotisme est un acte transgressif expressif qui implique la destruction des frontières, la violation des interdits, la revalorisation des valeurs, la rupture des règles, l'élimination des barrières. C'est de l'agitation pure parce qu'elle laisse libre cours au déni des interdits. Il n'est satisfait ni de l'ordre naturel, ni de l'ordre culturel. D'une part, constamment alimenté par les peurs, l’érotisme met le bazar, acquiert l'apparence du mal (rappelons-nous le jeu des diverses combinaisons du crime, de la débauche et du pouvoir du déni chez le marquis de Sade), bien que le résultat de toutes ces manifestations soit l'accomplissement d'une existence souveraine. D'autre part, l'érotisme a non seulement un côté négatif, mais aussi un côté positif avec de nombreux aspects de séduction et de charme. En tout cas, il ne s'agit pas d'une attirance primitive des sexes opposés l'un pour l'autre, mais d'une explosion médiatisée par de nombreuses figures et images symboliques, qui apporte des significations supplémentaires à l'existence. [post_title] => Transgression de l'érotisme
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[post_content] => Au XVIIIe siècle, la rivalité coloniale entre la Grande-Bretagne et la France est devenue une confrontation ouverte. Dans les années 1756-1763, elle a conduit à une guerre frontale dite guerre de Sept Ans, menée en Europe, en Inde et en Amérique, ainsi qu’en mer. La Prusse de Frédéric II le Grand, alliée de la couronne anglaise, se prépare à s’opposer à l’Autriche, alliée de la France, toutes deux soutenues par la Russie, la Saxe et la Suède. A l’été 1757, le commandement russe profite du fait que les troupes allemandes ont quitté la Prusse orientale pour se rendre sur le champ de bataille contre les Suédois en Poméranie et offre à Königsberg des conditions favorables pour une capitulation avec le respect des privilèges. Puis l’armée russe entre triomphalement dans la capitale de la Prusse orientale. Elle est la bienvenue, et non vue comme un envahisseur. L’Empire russe a une fois de plus réussi à gagner un morceau de territoire. Un jeune enseignant, Emmanuel Kant, parmi les autres professeurs de l’université de Königsberg, prête serment d'allégeance à la tsarine Elisabeth. Comme la ville n’a pas résisté, ce qui fait que Frédéric II affiche son mépris envers une population jugée lâche, traître, infidèle après son rattachement à la Prusse, les autorités d’occupation organisent des célébrations toujours accompagnées de copieuses boissons et régalades. Emmanuel Kant en est un habitué. Alors que des batailles acharnées se poursuivent ailleurs, la capitale de la Prusse orientale vit en toute tranquillité, sans mobilisation. Les fonctionnaires reçoivent leurs traitements, les enseignants sont rémunérés par honoraires. Ce n’est qu’une fois que des rumeurs circulent sur l’avancée de l’armée de Frédéric II que les Russes ordonnent de se préparer à tout incendier. C’était leur tactique. Cela aurait pu arriver, mais non. Pendant ce temps, Kant prodigue des leçons particulières de mathématiques et de fortification militaire à certains officiers de l’armée impériale russe. En 1758, il s’adresse à la tsarine Elisabeth pour obtenir la chaire de logique et de métaphysique. Mais en vain. Malgré ses précautions rhétoriques, sa demande est ignorée et le poste vacant est donné à un candidat ayant plus d’ancienneté. Les projets militaires de la Prusse ne semblaient pas prometteurs et auraient pu se solder par un échec si l’impératrice Elisabeth n’était pas morte en 1762. Son neveu, Pierre III, sympathisant du roi de Prusse, hérite du trône. La Russie se retire de la coalition et récupère les terres conquises, ainsi que Königsberg. Toutefois, six mois plus tard, le nouvel empereur est remplacé par son épouse, la future impératrice Catherine II. Elle devient impératrice consort après un coup d’État contre son mari. Bien que d’origine allemande, elle a été incroyablement inspirée par la perspective de régner personnellement sur l’Empire russe. Quoi qu'il en soit, les Russes ont quitté la Prusse. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est de savoir exactement ce que Emmanuel Kant pensait des Russes et comment il envisageait leur pays. Certaines informations peuvent être trouvées dans ses conférences, notamment dans ses cours de géographie physique et d'anthropologie. Comme le philosophe lui-même ne quitte jamais longtemps sa ville, il doit puiser ses informations dans les descriptions des voyageurs et les travaux des chercheurs en histoire naturelle et en géodésie. Il voit dans les soldats des traits de courage, car il pense qu'ils sont soumis à une éducation plutôt brutale dès leur plus jeune âge, après quoi ils deviennent des instruments de guerre d’une grande fiabilité, liée à leur loyauté envers l’autorité plutôt qu’à leur éducation. Il est difficile de dire si le naturel prévaut chez les Russes ou s'ils montrent des signes de culture. Ils manquent souvent d'originalité : ils reproduisent plutôt que de créer, mais avec une qualité médiocre. De plus, ils recherchent des enseignants en dehors de leur propre région. Dans son cours de géographie physique, Kant souligne la diversité de l’État russe. Sa partie asiatique diffère considérablement de sa partie européenne, non seulement par le paysage, la flore et la faune, mais aussi par les coutumes. Par exemple, lorsqu'il décrit le caractère national des habitants de la Sibérie, le philosophe mentionne l'ivrognerie et la paresse comme leurs principales caractéristiques. Ou bien il dit qu'à l'exception des musulmans, une certaine partie des peuples de cette région, parlant d'une divinité dans le ciel, sont convaincus que c'est le diable qui gouverne la terre. Pour ce qui est de la partie européenne, Kant ne fait pas de distinction entre la Russie et l'Ukraine, par exemple, car il affirme que dans la Laure de la Trinité-Sergius (un monastère ortodoxe russe situé dans la ville de Serguiev Possad, à environ 75 km au nord-est de Moscou – ndlr) et dans la Laure des Grottes de Kyiv (ou Laure de Kyiv-Petchersk, un monastère des cavernes fondé au milieu du XIe siècle à Kyiv – ndlr), il y a des morts non décomposés qui passent pour des saints. En général, la vision de Kant est occidentalo-centrée, car à part aux Russes, il n'accorde pas une grande importance aux Polonais, aux Grecs, aux Arméniens et aux Turcs. De plus, il n’invoque aucun argument spécifique pour démontrer l’influence de la nature sur les habitants de ces vastes régions. Cependant, il est difficile de ne pas le suivre lorsqu’il affirme que la Russie n’a pas développé les caractéristiques appropriées à partir de son propre potentiel naturel. A son époque, l’Empire russe continue d'étendre ses territoires. Les idées de Kant peuvent sembler étranges, mais si nous examinons ce pays d’un point de vue contemporain, il est évident que la Russie n’a pas fait beaucoup de progrès. Aujourd’hui encore, elle poursuit son expansion et son exploitation des ressources naturelles. Dans son « Antropologie d’un point de vue pragmatique », le philosophe allemand cite certains proverbes russes comme : «L'habit ne fait pas le moine ». Il met ainsi en évidence les facteurs rationnels de la pensée de cette nation. Toutefois, il a précisé que la grande taille ne coïncide pas toujours avec la grandeur. Dans le cas de l’Empire russe, la taille ne correspond souvent pas aux objectifs. Kant reconnaît à la Russie, malgré un élément slave, des traits typiquement asiatiques. Cela signifie que même si elle a réussi à conquérir certaines nations européennes, ses terres ne sont pas régies par les principes de la liberté et des droits du citoyen. Cette idée est particulièrement claire lorsqu’il affirme que ce pays n’a pas encore atteint l'état nécessaire au développement des penchants naturels du peuple. L’histoire allemande de la ville de Königsberg s’est terminée à nouveau après la Seconde Guerre mondiale puisqu’elle redevenue soviétique. La tombe et les monuments de Kant sont profanés de temps en temps. Apparemment, les Russes ne peuvent pas pardonner au philosophe sa description peu attrayante des caractéristiques des personnes et du pays dont il reste l'otage après sa mort.
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[post_content] => Après la divulgation de nombreux crimes de guerre, révélés durant l’« opération spéciale », on peut entendre des voix prétendre que ceux qui commettent actuellement ces massacres en Ukraine ne sont que des exécutants habitués à obéir aveuglément à des ordres criminels sans y être personnellement impliqués. Mais la tentative de faire de l'auteur d’un crime un simple instrument ne résiste pas à l’examen. Nous connaissons le fameux ouvrage d’Hannah Arendt sur « la banalité du mal » inspiré par le procès du criminel nazi Adolf Eichmann à Jérusalem. La défense de l’accusé, qui repoussait toutes les accusations, reposait sur l’idée qu'il n'avait fait qu’obéir à des ordres et n’avait jamais tué des Juifs de son propre chef ni jamais mandaté quelqu'un pour le faire; mais c’est justement son obéissance aux ordres du Führer qui a fait de lui un parfait exécutant. Sans remords, puisqu’il considérait n’avoir fait que se conformer aux lois de son pays, il pensait justifier ainsi son action. De ce fait, il reconnaissait que le régime nazi édictait la normalité. L’examen psychiatrique au moment de son procès a démontré qu’il avait été pleinement conscient de ses actes. Il ne cherchait qu’une justification à son comportement. Posons-nous la question: qu'est-ce qui a poussé cet homme ordinaire à commettre de tels crimes? Selon certains, il n’avait jamais manifesté de haine particulière à l’égard des juifs, même s’il baignait dans un environnement antisémite; néanmoins, on sait qu’il a été attiré très tôt par une idéologie raciste en adhérant dans un premier temps à des organisations de jeunesse aux relents xénophobes puis dès 1926, alors qu’il vivait encore en Autriche où était sa famille, en prêtant l’oreille à la propagande nazie qui n’en était qu’à ses débuts. Quels étaient ses motifs? Au cours de l'enquête judiciaire, il est apparu clairement que sa réflexion se limitait à un schéma rudimentaire; il ne ressentait aucune empathie pour ses contemporains. L’altérité même était absente de sa perception de la réalité. Son obstination à nier les faits, la croyance en sa propre opinion érigée en dogme, reposant sur la même vision du monde que celle de millions d’hommes qui lui ressemblaient, et qui étaient convaincus que les dirigeants nazis possédaient la vérité, tout cela lui permettait de justifier n’importe quelle action, et en même temps de se considérer lui-même comme incontestable. Pendant le procès, il a repoussé tous les appels à la conscience morale. Mais aujourd’hui, le traumatisme de l’expérience du nazisme conduit certains à l’irresponsabilité. Après l’aberration de ces années noires, une partie des Allemands, épouvantés rétrospectivement par la folie du Troisième Reich, ont peur du déclenchement possible d’un conflit mondial et sont réticents à l’idée de fournir des armes à l’Ukraine; celle-ci se défend pourtant contre une barbarie semblable à celle qu’ils ont connue. Tout comme les Allemands d’alors, les agresseurs de l’époque actuelle refusent d'appeler la guerre une guerre, parlent de menaces à leur encontre et déclarent qu’ils n’ont fait que se défendre, que ce sont eux qui ont été attaqués. Le fonctionnaire Eichmann, sans grande instruction et sans diplôme, cherchait à faire carrière rapidement. Il ne pouvait pas compter sur son intelligence et son adresse, alors il s’est appuyé sur la servilité. Membre très jeune du parti nazi, alors qu’il vivait encore en Autriche où était sa famille, il intègre en 1933 l’équipe qui administre le camp de Dachau destiné à la détention des prisonniers politiques. Puis très rapidement, on le voit chargé des « affaires juives »; il ne pouvait en ignorer les conséquences: en Autriche, à la suite de l’Anschluss, il a pour mission d’organiser l’expulsion des juifs (dite « émigration forcée »), en Allemagne c’est lui qui met en oeuvre la logistique de la « solution finale », responsable de la déportation et de l’extermination des juifs d’Europe dans les camps de la mort. Bien qu'Eichmann n'ait pas été témoin de massacres à grande échelle, il fut associé à des exécutions à Minsk, Lviv ou dans la périphérie de Lublin. À son procès, Eichmann s'est justifié en disant que la seule issue pour lui était soit l’obéissance soit la mort; mais il lui était évidemment possible de demander un transfert quitte à recevoir une sanction disciplinaire qui mettrait fin à sa carrière. Toujours à son procès, il s’est acharné devant le Tribunal à démontrer qu’il n’avait fait que son devoir. Il a même invoqué Kant, renvoyant à l’impératif catégorique qu’il reformulait faussement. Kant n’a jamais prétendu qu’il convient d’obéir aveuglément aux ordres de la hiérarchie. Eichmann adapte la maxime de Kant, réduisant la loi universelle à la loi du pays et celle-ci à la loi d’un moment. Il transforme le principe kantien, éludant l’appel de Kant à la raison, le réduisant à la seule volonté, celle du Führer, qui ne fait qu’un avec la loi; c’est une des choses qui ont conduit Hannah Arendt à écrire que dans le Troisième Reich, le mal se confondant avec la normalité, est devenu banal, ouvert aux hommes ordinaires. N’oublions pas ses travaux sur les origines du totalitarisme qui s’inscrivent dans une analyse qui peut inclure cette idée; tout cela rappelle la clameur et la confusion actuelles autour de la suprématie impériale, telle qu’elle veut s’imposer. Aujourd’hui comme à l’époque, on penche vers le manichéisme, le partage du monde entre deux forces égales et antagonistes, le bien et le mal. Dans la doctrine chrétienne le mal c’est le péché (dont on se repent); avec Eichmann, le mal s’inscrit dans les normes de la société: il s’agit d’être conforme aux exigences de l’État. Que devient le Bien lorsque une idéologie totalitaire l’emporte? Une fois de plus le monde du Bien expose toute sa fragilité.
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[post_content] => Derrière la superposition d'images artistiques de Pouchkine ressort la rhétorique de la marche triomphale du conquérant. Le chantre de la fin d’un empire ne ressemble presque jamais à un propagandiste ignorant. Cependant, derrière la superposition d'images artistiques, il rompt à plusieurs reprises avec la rhétorique de la marche triomphale du conquérant. La petite œuvre d'Alexandre Pouchkine "Voyage à Arzroum" est écrite dans le style d'un journal de voyage. Mais il mérite d'être étudié en tant qu’écrit d’un témoin oculaire de certains épisodes de la guerre russo-turque qui a débuté en 1828. L'auteur, disons-le, ne voulait pas faire de son texte un éloge pur et simple des conquêtes impériales dans le Caucase. Cependant, il se montre toujours très confiant dans le fait que la mission de son État est pleinement justifiée, voire noble. On ne peut pas l'accuser d'enregistrer passivement les événements, il les commente et les évalue. Bien qu'ils ne soient pas en faveur de l'armée d'occupation. Soulignons certains de ces points. Ayant négligé un bon déjeuner à Koursk et ne montrant aucun intérêt pour l'université de Kharkiv, qui pour l'auteur "ne vaut même pas un restaurant de Koursk", le voyageur file tout droit vers la route de Tiflis (aujourd'hui Tbilissi - ndlr). Et ce n'est qu'au moment de passer de l'Europe à l'Asie qu'il commence à détailler ses observations. Si, sur le territoire de la partie européenne, il n'est gêné que par la boue des routes, dans la partie asiatique il enregistre de véritables bizarreries. Tout d'abord, les chevaux kalmouks lui paraissent "laids et hirsutes", puis, en regardant une femme kalmouke qui fume une pipe et propose au voyageur d'en tirer une bouffée, il veut fuir au plus vite. Sa cuisine est considérée comme quelque chose de dégoûtant : Le chaudron faisait bouillir du thé avec de la graisse de mouton et du sel... Je ne pense pas qu'une autre cuisine populaire aurait pu produire quelque chose de plus répugnant. Les explorations ultérieures de terres inconnues ne sont plus simplement surprenantes, elles deviennent vraiment irritantes. Les goûts et les habitudes des habitants accablent ce voyageur étranger : ...les nuits agitées, le grincement d'un chariot de Nogaï m'ont conduit à bout de patience. Les Tartares se vantent de ce grincement, disant qu'ils voyagent en honnêtes gens qui n'ont pas besoin de se cacher. En observant des petits tertres, Pouchkine remarque des images d'armes gravées sur eux, et en conclut donc que les habitants de la région sont des prédateurs, dont les "petits-enfants prédateurs héritent la mémoire d'un ancêtre prédateur". N'est-ce pas là la caractéristique d'une communauté qui mérite d'être soumise ? Et si l'on remplace "prédation" par "fascisme", cela ne rappellera-t-il pas quelque chose de notre présent ukrainien ? Pouchkine s'étonne que les peuples conquis résistent et haïssent le conquérant. En même temps, il avoue lui-même les crimes de l'armée russe : Les Circassiens nous détestent. Nous les avons chassés de leurs pâturages libres ; leurs villages ont été ravagés, des tribus entières détruites. Ils s'enfoncent dans les montagnes heure par heure et de là, ils dirigent leurs raids. L'amitié des circassiens pacifiques n'est pas fiable : ils sont toujours prêts à aider leurs turbulents compagnons de tribus. Pendant ce temps, le pèlerin impérial commence à réfléchir à la manière la plus appropriée d'apporter la civilisation à cette terre, et ne trouve rien de plus efficace que... un samovar. Et à côté de cette invention technique, il cherche des activités "éducatives", comme la prédication de l'Évangile. Il n'est pas difficile de deviner qu’il s'agit de christianisation forcée, sous couvert d’éducation : Le Caucase attend des missionnaires chrétiens. Pouchkine voit le mahométanisme comme fanatisme, "qui durant longtemps montait le Caucase contre la domination russe". Tous ceux qui n'aiment pas la promotion de la civilisation russe sont supposés malfaiteurs : ... des voleurs ossètes... tirant sur les voyageurs à travers le Terek. Bien sûr, seuls des "sauvages" peuvent consommer des boissons et des aliments absolument dégoûtants, comme "du vin kakhetien dans une outre puante". Le voyageur remarque que "les auberges géorgiennes sont beaucoup plus pauvres et pas plus propres que les russes". Cependant, il constate également une attitude respectueuse à son égard, et il en conclut donc : Je ne jugerai pas un homme par son manteau en peau de mouton et ses ongles peints. Sans aucun doute, Pouchkine est convaincu d'être le représentant d'un État guidé par les meilleurs exemples des Lumières. De temps en temps, il cite des vers de la poésie anglaise ou donne une phrase en français. Par conséquent, il évalue les peuples conquis en fonction de la manière d'améliorer leur niveau de civilisation : Les Géorgiens sont un peuple guerrier... Leurs capacités mentales attendent plus d'éducation. Le poète russe note qu'après la soumission de la Géorgie, les Russes qui y vivaient, en particulier les militaires, ne se considéraient pas comme des habitants locaux, car ils étaient en service. C'était une terre étrangère pour eux : Des nuits chaudes ! Des étoiles, étrangers! Il existe un autre détail qui nous parait si caractéristique. Pouchkine s'étonne que le propriétaire d'une petite maison, à qui un voyageur solitaire demande à boire de l'eau, ne connaisse pas du tout sa langue : Une insouciance surprenante ! A 30 miles de Tiflis et sur la route de la Perse et de la Turquie, il ne connaissait pas un mot de russe ou de tatar. Mais ce qui est surtout significatif, c'est la façon qu’a Pouchkine de décrire les femmes - des êtres presque impersonnels : J'ai rencontré des Tatars qui voyageaient ; parmi eux, il y avait plusieurs femmes. Elles étaient assises à cheval, enveloppées de voiles ; seuls leurs yeux et leurs talons étaient visibles. Pouchkine est particulièrement enthousiasmé par la nouvelle frontière de l'empire, car le poète lui-même "n'a encore jamais franchi les limites de l'immense Russie". Les conquêtes ont permis de reconstituer l'armée impériale en incluant les peuples soumis, notamment ceux des latitudes transcaucasiennes, comme les Yazidis. C'est cette tribu qui invite le voyageur à la plus grande prudence et à la plus grande crainte, car ils étaient considérés comme des adorateurs du diable. Néanmoins, ils reconnaissent la suprématie du tsar russe, et c'est ce qui semble être le plus important. L'attitude des soldats russes face à un ennemi blessé et leur "humanité" à son égard constituent une histoire à part : Un Turc est sorti des bois, serrant un tissu ensanglanté sur sa blessure. Les soldats se sont approchés de lui avec l'intention de l'achever, peut-être par humanité. Et si Pouchkine prend la défense du pauvre homme, il complète l'image déformée de l'ennemi par une illustration inattendue. Il explique une "déviation naturelle" qui se produit chez les nomades, et donc loin des peuples civilisés, comme suit : ...il y avait un hermaphrodite parmi les prisonniers... J'ai vu un homme grand et plutôt gros avec le visage d'une vieille femme au nez retroussé. Nous l'avons examiné en présence d'un médecin. Pour tenter de résumer l'état culturel de la région orientale, Pouchkine recourt à la comparaison historique. Selon lui, si au Moyen Âge, la haute culture régnait encore ici, depuis, tout a radicalement changé : Aujourd'hui, nous pouvons dire : la pauvreté asiatique, la porcherie asiatique et ainsi de suite, mais le luxe y est; et bien sûr, c'est un signe européen. Dans le contexte du concept d'"orientalisme" d'Edward Said, ces notes de voyage peuvent briller de couleurs franchement impériales.
[post_title] => Sommes-nous obligés de glorifier Pouchkine ?
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