Andriy Golub Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Manipulation par la peur. Est-ce que Poutine ne recule jamais, ou est-ce que personne ne lui a jamais tenu tête ?

Guerre
31 octobre 2022, 16:48

La Russie s’efforce de convaincre, tout d’abord le public étranger, de l’inévitabilité d’énormes désastres si les combats sur la ligne de contact actuelle (le front) ne sont pas arrêtés. Ce point de vue est étayé par l’argument qui voudrait que Poutine ne refuse jamais l’escalade, de sorte qu’il obtient toujours ce qu’il veut. En fait, l’expérience montre que personne ne lui a jamais vraiment résisté.

Le 17 octobre, l’ancien ambassadeur américain en Russie Michael McFaul a publié une série de tweets avec les arguments employés à l’encontre de l’idée qui plane actuellement selon laquelle Vladimir Poutine ne recule jamais, mais continue d’augmenter le niveau d’escalade. McFaul présente les arguments suivants : 1) après un avertissement, Poutine à renoncé à prendre la capitale géorgienne Tbilissi en 2008, bien qu’il en avait l’opportunité ; 2) après la résistance acharnée des Ukrainiens en 2014, Poutine a reporté son projet de création de la «Novorossiya» ; 3) Poutine n’a pas réagi quand la Turquie a abattu un avion de chasse russe en 2015 ; 4) McFaul évoque des preuves circonstancielles montrant que Poutine n’est pas si écouté que ça par les Tchétchènes et mentionne le meurtre du chef de l’opposition russe Boris Nemtsov (l’une des versions repose sur le fait que le meurtre aurait été ordonné par Ramzan Kadyrov, chef de la République tchétchène d’Itchkérie, contre la volonté ou sans l’aval du Kremlin. ndlr).

«Je ne fais aucune prédiction sur son comportement futur» (celui de Poutine. ndlr), a déclaré M. McFaul. « Franchement, je suis assez nerveux quant à ses prochaines actions. Je mets simplement en doute les preuves de la théorie du « rat acculé ». J’aimerais avoir plus de données pour soutenir cette théorie. »

Ces informations sont arrivées au milieu d’une nouvelle série de débats dans les médias occidentaux et chez les personnalités publiques sur la question de savoir si la guerre en Ukraine devait être arrêtée immédiatement en raison de la menace d’utilisation d’armes nucléaires par la Russie. Le coup d’envoi de la vague publique a été donné par l’entrepreneur Elon Musk, lequel estime qu’il faut céder la Crimée à la Russie, car il s’agit d’une « terre sacrée » et que, le cas échéant, Poutine ne tolérera pas la libération de la péninsule et aura recours à l’argument du « bouton rouge ».

Cette vague a été reprise par la Russie elle-même. La dernière intimidation en date est une « bombe sale » contenant des substances radioactives. Bien sûr, la Russie accuse l’Ukraine de se préparer à l’utiliser, mais l’allusion semble évidente même pour les plus aveugles : la Russie elle-même peut utiliser de telles armes si certaines de ses conditions ne sont pas remplies.

La réaction des États occidentaux, dont les ministres de la Défense, obligés d’écouter les «préoccupations» du ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou, est tout à fait compréhensible : «Nos pays rejettent les allégations, à l’évidence fausses, de la Russie selon lesquelles l’Ukraine se préparerait à utiliser une bombe sale sur son propre territoire. Personne ne serait dupe du fait que cette tentative visant à utiliser ces allégations, constituerait un prétexte à une escalade», lit-on dans une déclaration conjointe de trois ministres des Affaires étrangères de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis. Washington a toutefois assuré n’avoir «toujours aucune indication» sur le fait que la Russie ait décidé de faire usage d’armes nucléaires.

Si l’on observe les deux décennies écoulées de la Russie dirigée par Poutine, il y a encore plus d’arguments en faveur d’une telle réaction. La politique standard de la Russie au cours des vingt dernières années a été le chantage, qui a souvent été couronné de succès en raison de l’agressivité du maître du Kremlin. Dans le même temps, rien ne prouve que Poutine ne recule pas, s’il reçoit une rebuffade décisive. Au lieu de cela, il y a tout un ensemble de faits montrant qu’il a obtenu ce qu’il voulait simplement parce qu’on ne lui a pas résisté.

L’Ukraine, qui depuis le premier Maïdan en 2004, à savoir la révolution Orange devenue un épouvantail pour le public intérieur russe, a été à plusieurs reprises victime de ce chantage. Peut-être l’évocation de cette expérience permettra-t-elle de comprendre pourquoi l’Ukraine a moins peur des menaces de Poutine, y compris des armes nucléaires.

Janvier 2006, la première soi-disant «guerre du gaz». L’Ukraine et la Russie se sont affrontées autour du désaccord sur les prix du transit et de l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine, après quoi Moscou a réduit fortement la livraison et a accusé l’Ukraine de prélever du gaz en transit vers l’Europe. Les niveaux d’approvisionnements sont en baisse dans la plupart des pays d’Europe orientale et en Italie, de sorte qu’aujourd’hui la Russie menace à la fois l’Europe et l’Ukraine de les «geler» en coupant totalement l’approvisionnement énergétique.

Toutefois, contrairement à la situation actuelle, alors que l’hiver commence, les installations de stockage européennes sont pleines et les prix des carburants sont à la baisse et du reste en 2004 la « guerre du gaz » n’avait duré que quelques jours. Ni l’Europe ni l’Ukraine ne risquent une confrontation sérieuse. Dans le même temps, chacun a même obtenu quelque chose : l’Europe une stabilité apparente et l’Ukraine un prix relativement bas, bien que formulé de façon non transparente, avec des risques de corruption. Poutine a-t-il atteint son objectif ? Peut-être, si c’était une démonstration d’armes énergétiques. Cependant, a-t-il dû surmonter quelque chose et pris des risques sérieux ? Pas vraiment.

En avril 2008, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, V. Poutine a explicitement déclaré à ses homologues des autres Etats qu’il était opposé à l’octroi d’un plan d’action en vue de l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Union Européenne. Ce plan, comme l’a reconnu l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel en juin 2022, n’a pas été accordé précisément en raison de la position de Poutine. Les médias russes ont cité leurs sources au sein des délégations et ont diffusé la déclaration du maître du Kremlin selon laquelle «l’Ukraine n’est pas du tout un État». Il a également menacé de reconnaître l' »indépendance » des territoires géorgiens d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, alors occupés par les troupes russes. En août de la même année, Poutine a attaqué la Géorgie et reconnu l' »indépendance » de ces territoires. Qu’a-t-il dû surmonter exactement et comment est-il allé « jusqu’au bout », faisant preuve de détermination dans une situation difficile ? Il n’y a tout simplement pas eu de résistance dès le départ.

Par ailleurs, après la guerre en Géorgie en 2008, la Russie a signé le contrat de construction du gazoduc Nord Stream et obtenu «le reset de la politique» après l’élection du président américain Barack Obama. (Pour rappel, il a été élu en 2008 et réélu en 2012. ndlr)

Année 2013. La Russie a tenté de faire capoter la signature de l’Accord d’association UE-Ukraine. C’était le temps de la guerre commerciale contre l’Ukraine. La Russie limitait les importations de l’Ukraine et faisait craindre une catastrophe. Prétendument, l’économie ukrainienne s’effondrerait en cas de rupture avec la Russie. Mais en définitive, celui qui a eu peur, c’est le président ukrainien Victor Ianoukovitch. Son évasion a donné de la force et de l’ampleur à Maidan.

Cependant, après la victoire de la révolution de dignité et la signature de l’accord avec l’UE, malgré l’occupation de la Crimée et du début des hostilités dans le Donbass en 2014, l’économie ukrainienne ne s’est pas effondrée, le niveau de vie ne s’est pas détérioré de manière significative. Il s’avère que Poutine ne disposait que de mots, il n’avait pas de leviers d’action.