Les incassables : quelques histoires d’Ukrainiens qui n’ont pas perdu la foi

Société
20 mars 2023, 09:27

Chaque semaine, des blessés sont transportés à Lviv depuis les hôpitaux de la ligne de front par des trains d’évacuation et des ambulances. Le traitement de ces Ukrainiens blessés du fait de la guerre se déroule au Centre national de réhabilitation « Les Incassables ».

C’est un lieu unique où les adultes et enfants reçoivent des soins médicaux. Il s’agit notamment de chirurgie réparatrice, d’orthopédie et de prothèse robotique. Le Centre ne se contente pas d’équiper les blessés, il fabrique également les prothèses. L’établissement mène également des activités de réadaptation physique, psychologique et psychosociale des blessés militaires et civils.

« Depuis le début de l’invasion à grande échelle, nous avons déjà fourni une assistance à plus de sept mille Ukrainiens blessés. Ce sont des militaires et des civils, des adultes et des enfants. Il y en a plus de 250. Chaque jour, mon équipe et moi-même travaillons pour que chaque Ukrainien touché par la guerre se rétablisse, se remette et retrouve la vie la plus normale possible », déclare Oleg Samtchouk, directeur général de la Première association médicale de Lviv.

Selon lui, la prothèse est l’une des spécialités clés du centre médical. « C’est une composante de la rééducation des personnes après amputation. Et cela passe par plusieurs étapes, » explique le prothésiste Nazar Bagniuk. « Tout d’abord, après l’amputation, il faut faire une pause d’au moins un mois et demi pour que le moignon cicatrise bien et soit prêt à recevoir des prothèses. Si tout se passe bien et que les médecins n’émettent aucune réserve, le patient se rend au centre de réadaptation et entre à l’hôpital. Le patient est alors mesuré et préparé à recevoir des prothèses », a-t-il précisé.

Comme cette méthode ne convient pas à tout le monde (il existe un certain nombre de contre-indications, notamment les cicatrices et les douleurs), le centre privilégie une approche multidisciplinaire. Cela signifie que le patient est examiné par de nombreux spécialistes : un kinésithérapeute, un prothésiste, un ergothérapeute (s’il s’agit d’un bras), un psychiatre, un psychologue, un chirurgien si nécessaire. Le délai de fabrication de la prothèse prend environ deux semaines selon le produit.

« Dans le même temps, les patients ne doivent pas surestimer les possibilités des prothèses, car la plupart des gens croient qu’on va leur recoudre une jambe ou un bras ou bien qu’on va leur donner une prothèse et tout sera comme avant l’amputation », raconte Nazar Bagniuk. « Et il y a aussi une période d’adaptation, d’apprentissage. Elle peut durer d’une journée à de très longues périodes. Tout dépend de la personne et de sa motivation ».

La guerre impitoyable menée par la Russie a détruit les rêves, les projets et les vies de millions de personnes. Cependant, même après la victoire, de nombreux Ukrainiens poursuivront leur lutte. En particulier, les civils et les soldats qui ont été gravement blessés, ont perdu leurs membres, ont subi de graves brûlures, des contusions et des lésions complexes des organes. Cependant, leurs histoires prouvent que rien ni personne ne peut les briser.

Médecin militaire Dmytro et prothésiste Nazar Bahnyuk. Photo : Les Incassables

Grec de passeport, le traumatologue orthopédique Dmytro a 27 ans. Quand la guerre a éclaté, il travaillait dans un hôpital de Kyiv. Il a d’abord secouru les blessés de la région, puis, après la désoccupation de celle-ci, il est parti au front. En juin, avec son équipe, il a réussi à évacuer environ deux cents défenseurs du champ de bataille. Mais pendant une autre opération de sauvetage, c’est Dmytro qui a eu besoin d’aide. « J’étais tenu par deux infirmières, je frappais le mur avec ma phalange et je criais, » raconte-il lorsqu’il se souvient de sa blessure. Ce n’est qu’à l’hôpital qu’il s’est rendu compte qu’il n’avait plus sa main droite.

Afin de sauver les muscles de l’avant-bras et la longueur du membre, Dmytro a subi cinq opérations dans trois villes différentes. Pendant ce temps, il a réussi à se marier et a définitivement décidé : pour continuer à vivre et à protéger sa Patrie, il aura besoin de la meilleure prothèse. Il est venu au centre des Incassables pour cela. « Je n’ai pas eu de main pendant six mois, et maintenant j’en ai une. Il est impossible pour une personne qui a deux mains de comprendre cela », explique Dmytro.

Maintenant, il est en rééducation et apprend à vivre avec une « nouvelle main ». Le garçon est très satisfait de la prothèse, grâce à laquelle il peut déjà taper un message, prendre une tasse de café ou sortir ses écouteurs. Quand la structure temporaire de la prothèse sera remplacée par une structure permanente, Dmytro ira à nouveau en première ligne, pour secourir des défenseurs ukrainiens. Le garçon en est convaincu : le membre bionique l’aidera à retourner à la pratique médicale et sauvera plus d’une centaine de vies.

Iryna Ponomarenko, 66 ans, originaire de Bakhmout, a essuyé des tirs ennemis au début du mois de septembre. Ce jour-là, cette femme s’est aventurée en ville pour faire des courses lorsqu’elle a soudain entendu un bruissement sur le sol. Elle est tombée et a regardé ses jambes : la droite avait disparu et la gauche était mutilée. Elle n’a repris conscience qu’une semaine plus tard : sa jambe a été amputée dans un hôpital de Dnipro et elle est venue se soigner à Lviv.

Iryna Ponomarenko Photo : Les Incassables

Au centre « Les Incassables », Iryna a réussi à sauver sa jambe gauche. Chirurgiens et orthopédistes-traumatologues ont effectué une opération de reconstruction : lors d’une intervention de longue durée, ils ont d’abord raccourci le membre écrasé, enlevant les tissus morts, puis ont refermé les plaies avec un lambeau musculaire et une greffe de peau. L’opération a été un succès. La femme commence maintenant sa rééducation et se prépare à recevoir une prothèse.

Un autre événement joyeux pour Iryna a été ses retrouvailles avec ses proches. « On leur a dit que j’étais morte. On m’a confondu avec une autre femme. Et à mon tour, j’avais peur que mes proches n’aient pas survécus », nous confie-t-elle. Depuis, son rêve d’embrasser sa famille un jour s’est réalisé : ses proches l’ont retrouvée.

Actuellement, le centre de réhabilitation «Les Incassables » et l’Académie des arts de Lviv travaillent à l’ouverture d’un centre d’art-thérapie. Un autre projet, c’est un programme de réhabilitation des patients ukrainiens en Croatie. Le prochain voyage de ce type est prévu pour le mois de juin.

L’Ukraine se bat pour chaque vie, chaque âme, malgré les séquelles et les traumatismes de guerre. La victoire, ce ne sera pas seulement l’intégrité territoriale restaurée, mais aussi la vie heureuse sur cette terre pour ceux qui ont été blessés.