Pourquoi les attaques de la Russie contre les infrastructures énergétiques de l’Ukraine n’inciteront pas Kyiv à faire des compromis.
Les attaques de la Russie contre les infrastructures énergétiques de l’Ukraine sont devenues l’un des principaux sujets des médias mondiaux. La réalité est vraiment choquante : Moscou veut plonger ce pays de 42 millions d’habitants dans l’obscurité et, pire que tout, dans le froid. C’est très simple : lorsque l’alimentation électrique est coupée, les chaufferies ne peuvent pas pomper l’eau dans les systèmes de chauffage urbain. En conséquence, des quartiers entiers – par exemple, à Kyiv – sont simultanément privés de lumière et de chaleur. Et tout cela se passe au début de l’hiver, qui en Ukraine est traditionnellement accompagné de longues gelées.
En fait, les attaques russes contre les infrastructures de l’Ukraine frappent sans discrimination en visant des millions de civils, y compris des nourrissons et des personnes âgées. The Economist a estimé qu’une augmentation des tarifs du carburant en UE cet hiver pourrait entraîner entre 79 000 et 185 000 décès supplémentaires. Mais la surmortalité qui résultera des « pannes » en Ukraine, personne ne peut la calculer aujourd’hui.
Bien entendu, les autorités ukrainiennes – tant centrales que locales – prennent toutes les mesures possibles. Il ne s’agit pas seulement de réparer les infrastructures endommagées par les missiles russes. Par exemple, 430 « Points d’invincibilité » ont déjà été créés à Kyiv. Il s’agit des endroits où l’on peut se réchauffer et, par exemple, recharger son téléphone ou sa batterie externe. Mais chacun comprend que c’est très peu pour une ville de 3,5 millions d’habitants. Et le problème n’est pas que les autorités n’en font pas assez, mais que l’ampleur du problème est trop grand. Même des pays aussi riches et développés que la France ou l’Allemagne ne sont guère prêts à relever de tels défis.
Moscou l’a bien compris – et c’est pourquoi ils ont choisi cette stratégie de terreur contre l’Ukraine. La plupart des experts militaires s’accordent à dire que le bombardement des infrastructures n’aura pas d’impact sérieux sur le cours des événements sur le front. Les forces armées ukrainiennes se sont déjà préparées à de tels défis. La guerre se poursuit dans les territoires où l’électricité, l’approvisionnement en eau et le chauffage sont soit absents en principe, soit irréguliers. Mais pour la population civile vivant loin de la ligne de front, l’hiver à venir sera difficile. Le Kremlin espère peut-être que les Ukrainiens désespérés forceront Zelensky à faire un compromis avec la Russie – pour que leurs maisons aient à nouveau de la lumière, de l’eau et du chauffage. Mais ce scénario est très peu probable.
Premièrement, la grande majorité des Ukrainiens perçoivent les difficultés actuelles dans le contexte des événements des 9 derniers mois. Pour nous, ce contexte se présente comme suit : soit nous endurons toutes les difficultés de la guerre jusqu’à la victoire, soit nos souffrances deviendront encore plus grandes. Comme l’a montré l’expérience de 2014 et de 2022, l’occupation russe est catastrophique pour la population locale. Les fosses communes des personnes tuées à Bucha, Izium et dans de nombreux autres endroits, les camps de concentration dans le Donbass occupé ne sont pas une alternative très attrayante à l’hiver froid et sombre. De plus, l’hiver ne durera que trois mois, et l’occupation peut durer des années. La société est également consciente qu’un compromis avec la Russie avant la victoire sur celle-ci donnera à Moscou le temps de procéder à une nouvelle série d’agressions.
Deuxièmement, aujourd’hui, il est difficile de trouver un Ukrainien qui n’a pas de parents, d’amis ou de connaissances qui combattent actuellement au front. Ce fait modifier notre vision des choses : les problèmes qui semblaient autrefois presque tragiques sont désormais perçus comme sans importance. Comment puis-je me plaindre du manque de lumière dans mon appartement douillet alors que beaucoup de mes amis sont maintenant dans des tranchées couvertes de neige ? Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de moralité. Au cours de ces 9 mois, chaque Ukrainien a été confronté à une réalité bien pire que le froid et l’obscurité. Pour certains, c’était les cruelles réalités de l’occupation. Un autre a dû se cacher dans le sous-sol pendant des semaines lorsque des batailles de chars se déroulaient à proximité. D’autres ont dû perdre leurs proches à la suite des attaques de missiles russes sur des villes paisibles. Enfin, à la fin du mois de février, nous étions tous sous la menace de perdre notre patrie.
Et troisièmement, les Ukrainiens sont très forts pour survivre. Notre mémoire collective garde le souvenir de la famine des années 1920, du Holodomor de 1932-33, de la Seconde Guerre mondiale et à nouveau de la famine de 1946-47. Et plus récemment, il y a eu les difficiles années 1990 avec le froid constant dans les appartements et les coupures de courant régulières. Tout au long du vingtième siècle, la société ukrainienne a accumulé une terrible, mais très nécessaire, expérience de survie – tant collective qu’individuelle. Oui, en temps calme, nous avons profité de la vie dans toute sa plénitude. Mais l’agression massive de la Russie nous a forcés à ouvrir ce vieux tiroir.
Par conséquent, le maximum que puisse faire Poutine est de tuer ou de faire souffrir quelques Ukrainiens civils supplémentaires (ce qu’il fait depuis le 24 février). Sur le plan personnel, chaque décès sera une tragédie, et la douleur nationale deviendra encore plus brûlante. Mais Poutine ne sera pas en mesure de pousser les Ukrainiens au compromis.