Pendant la guerre, la vie des jeunes Ukrainiens a ses particularités : il ne s’agit plus seulement de développement personnel, mais aussi d’une lutte pour la survie, pour l’avenir, pour l’identité. Depuis la guerre pour l’indépendance de l’Ukraine au début du XXe siècle jusqu’à l’agression russe d’aujourd’hui, en passant par la Seconde Guerre mondiale, chaque génération de jeunes a défendu sa patrie, souvent en affrontant directement la cruauté de la guerre.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la jeunesse ukrainienne s’est activement engagée dans le mouvement de résistance, travaillant dans la clandestinité et combattant dans les rangs de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne. Tout comme la génération actuelle, elle a connu des difficultés incroyables, allant de la perte d’êtres chers à un danger permanent. C’est précisément cette ténacité et le dévouement à l’idée de la liberté nationale qui ont marqué l’histoire de la lutte pour l’indépendance.
On observe la même chose pendant la guerre russo-ukrainienne qui a débuté en 2014. Des milliers de jeunes Ukrainiens et Ukrainiennes sont devenus militaires, médecins ou bénévoles. Certains ont dû quitter leur foyer et tentent de refaire leur vie ailleurs, tandis que d’autres sont restés en Ukraine pour continuer à travailler afin d’aider ceux qui assurent la défense de patrie.
Chacun vit une histoire extrêmement difficile pour tous. La vie des jeunes pendant la guerre n’est pas seulement faite de souffrances et de pertes, mais aussi d’héroïsme, d’abnégation et d’aspiration à la paix. C’est un chemin qui mène à la lutte pour l’avenir.
La guerre incite également les jeunes à se rassembler pour vivre ensemble des moments agréables. Le projet « Lesya Kvartyrynka » est un exemple de ce type de rassemblement de la jeunesse. Ce qui a commencé comme des concerts dans des appartements pendant la pandémie de coronavirus s’est transformé en un festival unique de musique et de décors d’auteur, créant une communauté qui rassemble artistes, musiciens et jeunes actifs en général. Le cœur de la communauté se trouve à Kyiv, mais tout le monde peut rejoindre le projet, à condition d’avoir des idées similaires et de contribuer au renforcement de l’Ukraine, quel que soit le lieu de résidence.
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« De nombreuses initiatives impliquent des personnes de différentes régions. Aujourd’hui, nous développons principalement le domaine artistique, en particulier « Lesya Kvartyrynka », une grande communauté d’artistes divers », explique Ivanka Lichtchouk, l’une des cofondatrices du projet, à Tyzhden. Elle est diplômée de l’Académie de Kyiv-Mohyla. Psychologue de formation, son amour pour la création l’a poussée à faire « quelque chose d’artistique » avec ses amis et ses proches. Et en 2021, pendant la pandémie de coronavirus, « Lesya Kvartyrynka » a vu le jour.
« À l’époque, il était difficile d’organiser quelque chose de très grand, qui puisse attirer beaucoup de monde… Avec mes amis, nous formions une bande très soudée. Un jour, nous avons décidé d’organiser un concert dans notre appartement, non seulement pour nous, mais aussi pour les gens autour de nous », raconte Ivanka à propos de la genèse du projet. Par la suite, le projet a pris une ampleur considérable : « Puis, tout s’est enchaîné. Nous avons commencé avec l’organisation de soirées musicales, en invitant différents groupes. Et pourquoi ne pas s’associer à des artistes ? Et pourquoi ne pas ajouter des décors ? ».
La particularité de « Kvartyrynka » réside dans le fait que le festival s’efforce de dénicher des talents pour la culture ukrainienne. « La grande valeur de « Kvartyrynka » est de trouver quelqu’un qui est peu connu, mais qui mérite l’attention. Aujourd’hui (lors de nos événements, ndlr), au moins un millier de personnes se rassemblent, bien que nous proposons à ce public des musiciens qui ne sont pas encore connus », explique Ivanka Lichtchouk.
La guerre totale a d’abord suspendu le projet, mais ensuite il a repris avec une nouvelle énergie. « L’invasion à grande échelle a donné l’impulsion nécessaire pour prendre des risques et viser des objectifs plus ambitieux… Notre public a immédiatement doublé, voire triplé. Les gens se sont unis d’une nouvelle manière, c’était comme une nouvelle ère pour le projet », explique Ivanka.
Outre le festival lui-même, « Kvartyrynka » mène de nombreuses initiatives. Les membres de la communauté enregistrent des streams des performances d’artistes ukrainiens, organisent des concerts pour eux et créent même leurs propres décors. Le projet dispose également de sa propre chaîne YouTube. La préparation d’un calendrier est en cours, auquel douze artistes de différentes régions d’Ukraine sont associés.
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Grâce à « Kvartyrynka », des groupes musicaux se retrouvent après une longue pause et recommencent à composer. La promotion des artistes, de la musique et de la création ukrainienne en général est un moteur pour poursuivre la lutte contre tout ce qui est russe. Les participants au projet s’organisent de manière indépendante : ils n’ont pas de source de revenus stable et tout est mis en place grâce à leur initiative et à leur volonté, car ils travaillent aujourd’hui comme une organisation à but non lucratif. Mais c’est précisément parce qu’ils s’unissent et veulent renforcer leur propre État que la motivation pour lutter contre la Russie ne disparaît pas.
Dans le même temps, de nombreux adolescents et jeunes se trouvent actuellement à l’étranger. Beaucoup d’entre eux ont déjà été admis dans des universités et ont commencé leurs études. C’est là un problème majeur lié à la guerre. Nous perdons un grand nombre de citoyens qui auraient pu vivre, étudier et s’épanouir dans leur propre pays, mais qui se sont retrouvés hors de ses frontières. Il est important pour nous de les inciter à revenir en Ukraine après la guerre.
Beaucoup d’Ukrainiens sont partis parce que leurs logements ont été détruits, d’autres ont simplement voulu sauver leur vie. « Ici, en Ukraine, nous sommes également responsables de ceux qui sont partis, et au lieu de leur faire des reproches – « pourquoi êtes-vous partis, pourquoi avez-vous fui » –, il serait juste de leur offrir une opportunité. Tous ne reviendront certainement pas, mais c’est important qu’ils ne perdent pas leurs liens avec l’Ukraine. Et ce serait formidable de les attirer par une sorte d’auto-organisation et de les impliquer dans des projets », déclare Myroslav Marynovytch, militant, cofondateur du Groupe Helsinki ukrainien, dissident et prisonnier politique à l’époque de l’URSS, conseiller du recteur de l’Université catholique ukrainienne, dans un commentaire au magazine Tyzhden.
« Je n’ai pas le droit moral de les juger, mais j’apprécie doublement ceux qui sont restés. Doublement, triplement, je ne sais pas comment le dire, car pour moi, il est très important qu’il y ait aujourd’hui des gens qui souhaitent continuer à vivre et à travailler pour l’Ukraine, et qui ont donc trouvé leur place dans ces nouvelles conditions ».
Lors de l’entretien avec Tyzhden, Ivanka Lishchuk raconte que des personnes viennent également de l’étranger pour participer à « Lesya Kvartyrynka ». « On ne peut que compatir avec les jeunes d’aujourd’hui, qui doivent subir de tels coups du sort : la pandémie de coronavirus, qui les a isolés dans leurs logements, puis la guerre, qui représente également un énorme défi psychologique, pratique et physique », déclare Myroslav Marynovytch. Il souligne toutefois qu’il est fier de ce qu’ont été les jeunes Ukrainiens en 2022 : « Ils se sont engagés activement dans le bénévolat, sont devenus si énergiques, inspirés et optimistes qu’il n’était pas nécessaire d’organiser quoi que ce soit (pour les jeunes, ndlr). Il suffisait de ne pas les gêner, de les aider et de laisser une certaine liberté à l’université ».
Les jeunes Ukrainiens d’aujourd’hui sont des citoyens nés dans une Ukraine indépendante, ils ont donc grandi et vivent avec un sentiment de liberté. « La liberté ne leur est pas tombée du ciel, comme ce fut le cas pour la génération des années 90. À l’époque, on avait parfois l’impression que les jeunes ne savaient pas quoi faire de leur vie… Aujourd’hui, la liberté est dans l’âme des jeunes, et c’est tout autre chose. Elle leur donne un espace pour penser et s’épanouir, une toute autre dimension pour appréhender le monde », explique encore Myroslav Marynovytch, qui ajoute toutefois : « La liberté sans responsabilité devient quelque chose de négatif, il est donc très important que nous le comprenions dès le départ ».