Les analystes occidentaux et les exilés politiques russes appellent activement à la « décolonisation » de la Russie, ce qui veut dire son désintégration. Foreign Policy estime toutefois que ces espoirs pourraient ne jamais se concrétiser, malgré le mécontentement de l’opposition et même du reste de la population russe à l’égard des occupants du Kremlin.
La Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (US Helsinki Commission), une agence gouvernementale américaine indépendante, estime que la décolonisation de la Russie devrait être un « objectif moral et stratégique ». En début d’année, le Forum des Nations libres pour la post-Russie, formé par des politiciens et des journalistes en exil, a tenu une réunion au Parlement européen à Bruxelles et a même publié une carte d’une Russie démembrée, divisée en 41 pays différents qui pouraît refléter le monde post-Poutine. Les participants à cette initiative s’attendent à ce que l’Occident élabore une stratégie et mette fin à la menace russe, plutôt que de donner à Poutine une chance de battre en retraite.
Dans le même temps, Foreign Policy note que de nombreuses autres voix s’élèvent pour insister sur le fait que la Russie représente une menace sérieuse pour la sécurité mondiale et avertir que même si elle est plus faible que l’Occident sur le plan militaire et économique, Moscou dispose toujours d’environ 6 000 ogives nucléaires et de vastes ressources sur des territoires peu peuplés.
L’article de Foreign Policy cite Janusz Bugajski, chercheur principal à la Jamestown Foundation, qui a récemment écrit le livre État failli : Un guide vers l’éclatement de la Russie (Failed State : A Guide to Russia’s Rupture). Il affirme que les sanctions occidentales ont pesé sur l’économie russe, de sorte qu’il y a « des inquiétudes dans de nombreuses régions au sujet des coupes budgétaires ». Le politologue s’exprime « contre l’idée de proposer des garanties de sécurité à Poutine », indique le texte.
La défaite de Poutine en Ukraine détruira son image de leader fort, suppose FP. Selon ce média, les élites des républiques non slaves se soulèveront lorsqu’elles sentiront que Moscou ne peut plus « remplir leurs poches » et est n’est plus capable de réprimer la rébellion.
Une partie des experts se réfère à des manifestations passées qui confirment l’existence de tensions en province. Les manifestations anti-conscription sont considérées comme une force unificatrice qui stimulera les mouvements d’indépendance. « C’est peut-être vrai, mais pour l’instant, la croyance repose plus sur l’espoir que sur des renseignements concrets ou des preuves de puissants mouvements clandestins », commente FP. « Pour chaque argument des partisans de l’effondrement inévitable de la Russie, il existe des contre-arguments. La vérité est qu’il y a un vide d’information que la Russie entretient consciemment, mais l’absence d’informations ne justifie pas en soi la supposition ».
Les auteurs de l’article soulignent que les citoyens russes des républiques autonomes peuvent craindre Poutine, mais être anti-Poutine ne signifie pas toujours être anti-russe. Rien ne garantit non plus que les actions futures des partisans de l’indépendance de la Russie seront démocratiques ou favorables à l’Occident. En particulier, FP note que de nombreuses régions d’Extrême-Orient sont beaucoup plus sympathisantes de la Chine qui n’est pas un exemple de démocratie. Les inquiétudes concernant de possibles guerres civiles au sein de la Fédération de Russie et la lutte de dictateurs régionaux pour les armes nucléaires ne sont pas complètement infondé non plus, ajoute le média.
« Bien que le Kremlin accuse régulièrement l’Occident d’alimenter le conflit au sein de la Russie, le fait de parler de la désintégration de la Russie dans les capitales occidentales pourrait susciter une ferveur nationaliste et pousser les Russes à s’unir derrière Poutine. Les partisans d’extrême droite de Poutine en Europe pourraient également s’en servir pour alimenter l’anti-américanisme. Pire encore, les discussions au sujet de la désintégration russe peuvent alimenter la machine de la désinformation et encourager les théoriciens du complot sur Internet pour créer un récit parallèle », écrit FP.
Joana Deus Pereira, chercheuse principale au Royal United Services Institute for Europe, a déclaré à FP que l’effondrement de la Russie était « très improbable » et a ajouté que de telles insinuations en Occident augmenteraient « l’attrait de Poutine ».
« Dans ce contexte, regardez le premier discours de Poutine, où il a dit qu’il relèverait la Russie de ses genoux, de l’humiliation. Il y a un énorme soutien pour Poutine d’après ce que nous voyons et observons, et toute discussion ou tentative de diviser la Russie ne fera que l’aider », a déclaré Deus Pereira. De plus selon elle, les républiques et régions non slaves ne veulent pas vraiment la désintégration de la Fédération de Russie, mais « la reconnaissance de leur région, de leur propre drapeau et une plus grande indépendance culturelle au sein de la Fédération de Russie ».