« Rien ne m’arrivera – mon père prie pour moi. » L’histoire d’un héros tombé au front

Guerre
22 décembre 2022, 16:56

À dix-huit ans, Valentyn Levchenko de Kozylivka a pris des décisions d’adulte. Son indépendance, c’est à la fois la fierté et la douleur de ses parents. Valentyn a rejoint l’armée sans même en parler à sa famille. Et le 19 juillet 2022, il est mort dans la région de Kharkiv, en sauvant la vie de treize de ses frères d’armes.

Petit négociateur

Dans son enfance, c’était un garçon gentil et drôle, en général, un enfant ordinaire. Il avait des qualités de leader. Gentil, mais têtu et colérique. Depuis tout petit, il était impossible de le forcer à faire quoi que ce soit, sans négocier. Son père, Vitaliy Levchenko, chauffeur de bus scolaire âgé de 50 ans, recevait parfois des remarques de son institutrice relatives au comportement de son fils.

Le papa n’informait pas toujours sa femme Olena, une infirmière de 45 ans, de ces remarques. Et quelques fois, il disait à son fils : « Ecoute, je vais le dire à maman ! » C’était la menace la plus efficace, car Valentyn ne voulait pas énerver sa mère.

L’année dernière, Valentyn Levchenko a terminé l’école dans son village natale de Kozylivka. D’un garçon maigre, il est devenu un bonhomme imposant, un bel homme à la carrure impressionnante et courageux. Il pratiquait l’haltérophilie, le tir, et nageait bien. Après l’école, Valentyn est entré en première année à l’Université nationale des sciences de la vie et de l’environnement, à l’Institut de gestion des forêts et des parcs. Il a choisi la spécialité « Gestion forestière ».

Valentyn, comme la plupart des étudiants ukrainiens, a étudié à distance en raison des mesures de sécurité liées au coronavirus. En février, il avait décidé de se rendre dans la capitale, pour étudier et travailler en même temps.

En service

Lorsque la guerre à grande échelle a débuté, Valentyn s’est rendu dès le premier jour là où il pouvait être utile – la Défense Territoriale. Et à compter du 1er mars, il entrait dans une unité militaire. Les parents ne savaient pas que leur fils s’était enrôlé. Il leur avait dit qu’il accompagnait les membres de la Défense Territoriale, pour les aider. Les parents le comprenaient parfaitement : là, dans la capitale, il ne pouvait pas rester les bras croisés !

Les parents ont découvert que leur fils défendait l’Ukraine par accident. Dès que la région de la ville de Chernihiv a été libérée, sa mère avait appelé Valentyn pour lui dire qu’elle s’était organisée avec ses amis pour l’aider à rentrer chez lui. Il avait répondu qu’il ne reviendrait pas, car il était déjà en service.

Valentyn a rencontré Semen sur les barricades, c’était un étudiant de la même université, mais dans sa dernière année, » – raconte Olena, la maman de Valentyn. Les deux ont demandé un congé académique. Plus tard, le recteur nous a dit qu’il le leur avait refusé, car ils étaient encore très jeunes, bien que légalement adultes. Les garçons lui avaient coupé la parole : « Nous en parlerons après la victoire« . Semen est mort en juin, Valentyn – en juillet.

Olena se souvient que du 1er mars au 23 avril, son fils était fusilier dans l’unité militaire A 7373. Plus tard, il fut transféré à l’unité militaire A 4081 en tant que mitrailleur et suivit une formation. Elle savait qu’il avait participé à la libération de Gostomel et contribuait au déminage de la zone : cette ville est stratégique, car elle abrite un aéroport militaire.

Ensuite, il y eut l’enfer du Donbass, direction Bakhmut. Les défenseurs ukrainiens avaient repoussé l’ennemi sous un feu intense. Valentyn avait alors déclaré aux parents qu’il était parmi les plus chanceux, car la plupart de ses frères d’armes n’étaient pas revenus.

Plus tard, il ne s’est confié qu’à son oncle, mon frère, raconte Olena. Il lui a expliqué que pour sauver sa vie, il avait 30 minutes et 3 kilomètres, car tout l’équipement était cassé.” Les soldats devaient porter leurs armes et autres équipements militaires eux-mêmes. Il était à bout de forces. “Je n’en pouvais plus, je voulais juste me laisser tomber et que tout soit fini au plus vite« , avait-il raconté à son oncle.

Les deux derniers voyages à la maison

Depuis février, Valentin n’était rentré chez lui que deux fois. D’abord en mai. Il arrivait de Kyiv au moment où les travaux champêtres du printemps dans le village battaient leur plein. Et ses parents croulaient sous le travail ! Ils ont divers équipements pour cultiver la terre.

Historiquement, les Ukrainiens se transmettent bœufs, charrues et batteuses de génération en génération. Vitaliy Levchenko voulait faire de même pour son Valentyn. Il était convaincu que la terre ne fait que fatiguer les vieux, mais qu’elle fait grandir et mûrir les jeunes. Et son fils aimait toujours travailler la terre. En mai, Valentyn avait demandé à avoir une partie du champ. Ils y avaient semé du blé.

Sa deuxième venue à Kozylivka eut lieu le 3 juillet, après sa réhabilitation et son retour de la région de Donetsk. Cette phrase n’est pas très claire : qu’est-ce que c’est la réhabilitation ?

La première chose qu’il a fait c’était de faire le tour de tous les champs, se souvient sa mère. Il voulait voir ce qui avait poussé sur le champ qu’il avait labouré« .

Il parlait de tout à ses parents, sauf de la guerre.

« Après les combats dans la région de Donetsk, Valentyn est revenu complètement changé, raconte son père. Même son apparence avait changé en quelque sorte brisée, tourmentée. Beaucoup de choses étaient visibles, sans même avoir besoin d’être verbalisées. Je l’ai silencieusement enlacé par les épaules, j’ai caressé sa tête et je ne lui ai rien demandé. Et il a dit qu’il ne regrettait rien. Bien que ces mots ne me semblaient pas sincères, car à l’âge de 18 ans, il avait dû voir et vivre des choses que je peux à peine imaginer. Mais je ne contredisais pas mon fils. »

Les nuits d’été ukrainiennes sont exceptionnelles lorsqu’elles sont paisibles. Assis avec sa mère sur le seuil de leur maison, Valentyn admirait les étoiles : « Maman, regarde comme le ciel est calme à la maison« .

Sa mère ne voulait pas laisser partir Valentyn. Elle avait même pensé à aller demander au commandant de ne pas renvoyer le jeune homme de 18 ans au сombat, mais de le laisser quelque part à un poste de contrôle ou à la gestion du personnel. Peut-être comme instructeur de tir, parce que c’était facile pour son fils, il avait les certificats nécessaires. Son mari avait vivement réagi : « Si notre fils l’apprend, il ne te le pardonnera jamais« . Elle avait donc renoncé.

Valentin avait séjourné chez lui pendant cinq jours. Ses parents n’imaginaient pas que c’était la dernière fois qu’ils le voyaient.

Il est difficile d’être les parents d’un héros

Chaque mot est extrêmement difficile pour eux. Surtout à propos de la mort de leur fils.

« Tous ceux qui sont revenus de Bakhmut, ont été transférés dans la région de Kharkiv après leur réhabilitation, raconte Olena Levchenko. Un ami de notre fils a dit que Valentyn, malgré son jeune âge, commandait une unité de 13 soldats. »

Le 19 juillet, de nuit, ils effectuaient une mission de combat près de la ville de Dementiivka, où auparavant, les Russes avaient décimé une unité de renseignement ukrainienne. Pendant qu’il occupait les positions, Valentyn, de sa propre initiative, était parti en reconnaissance. La forêt voisine était occupée par l’ennemi. Les occupants s’y étaient terrés derrière des camouflages. Valentyn les a vus, mais n’a pas eu le temps de lever sa mitrailleuse, ils ont ouvert un feu croisé sur lui.

Le jeune homme n’avait aucune chance de s’éloigner ou de se cacher. Comme l’a dit son ami, les derniers mots qu’il a criés étaient : « Salauds ! » Ainsi, au prix terrible de sa vie, il a sauvé treize autres garçons.

« Mon fils disait toujours : « Rien ne m’arrivera – mon père prie pour moi » (ces mots ne sont pas faciles à prononcer pour Vitaliy Levchenko), et je n’ai pas prié une seule fois, le 19 juillet, lorsqu’il est mort ».

La terrible nouvelle n’est toutefois pas arrivée immédiatement à la maison des parents. Bien qu’il semblât que tout le village le savait déjà, car les gens chuchotaient entre eux.

Valentyn dans l’enfance

« Lorsqu’il a signé un contrat pour le service militaire, notre fils n’a spécifiquement indiqué aucun de ses proches comme personne à contacter, de sorte que nous ne savions pas qu’il était parti servir, explique Vitaliy Levchenko. Il a indiqué son ami, un gars de notre village, et son numéro de téléphone. Alors ils l’ont appelé. Et il n’a pas osé nous apporter la tragique nouvelle. Je n’en ai pas non plus parlé immédiatement à ma femme. J’ai souffert pendant un jour, puis je lui ai annoncé la nouvelle. »

En raison des bombardements intensifs pratiqués par les occupants, le corps du soldat Valentyn Levchenko n’a pas pu être retiré du champ de bataille dans la région de Kharkiv pendant cinq jours. Son ami n’a réussi qu’à le traîner jusqu’à une forêt voisine. C’était l’été. Il faisait chaud.

Les parents, désespérés, ont voulu aller chercher leur fils par leurs propres moyens. Ils ont conduit jusqu’à la ville de Konotop, puis le commandant leur a expliqué par téléphone qu’ils ne seraient pas autorisés à s’y rendre, parce qu’il y avait des combats féroces. Et il a promis de reprendre le corps de Valentyn dès que possible.

Les militaires ont tenu parole. Cinq jours après la mort de Valentyn, en plein jour, ils ont mené une opération audacieuse sous le nez de l’ennemi, et ont emporté le corps de leur « Levko ». C’est ainsi que ses camarades l’appelaient.

Son père et sa sœur sont allés au centre du district Koryukivka pour l’identification. « Je devais m’assurer que je pourrais enterrer mon fils, » se souvient Vitaliy. C’était difficile, mais les proches ont reconnu Valentyn à ses oreilles, ses orteils et son visage jeune et mal rasé. Le 29 juillet, Valentyn Levchenko a été enterré à Kozylivka.

Funérailles de Valentyn Levchenko

Quatre mois terribles se sont écoulés depuis. Sa Maman ne quitte pas son foulard noir. Elle ne cesse de pleurer. Elle écrit des poèmes à son fils – comme si elle lui parlait.

Le père regrette qu’il n’y ait eu personne sur le chemin de Valentyn pour dissuader son fils si jeune d’aller au combat. Mais en même temps, il comprend que c’était impossible : ils l’ont élevé ainsi, il était très indépendant. Rien ne pouvait l’arrêter, en vrai.

Valentyn Levchenko était un courageux défenseur de l’Ukraine de dix-huit ans, qui a donné sa vie pour sa patrie, et il sera à jamais un héros pour nous tous. Et seulement pour sa maman et son papa, il sera une lumière, l’éclat inextinguible d’une étoile unique dans le beau ciel de l’Ukraine, qui fera monter les larmes aux yeux. Il est difficile d’être les parents d’un héros.

 

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