Pour la patrie et contre les clichés, le double combat des femmes dans l’armée

Guerre
18 mai 2023, 17:37

Une jeune fille souriante me regarde sur la photo, encadrée d’un côté par un chat et de l’autre par un chien géant. Début mars, cette photo revenait encore et encore dans mon fil d’actualité sur les réseaux sociaux. Malheureusement, la raison en était très douloureuse : la jeune fille avait été tuée sur la ligne de front de la guerre russo-ukrainienne. Yana Rikhlitska aurait pu choisir une autre voie – émigrer (les femmes, si elles ne sont pas astreintes au service militaire, ne sont pas soumises aux restrictions imposées par la loi martiale pour quitter le pays) ou continuer à travailler dans une entreprise informatique (c’est un bon statut social et un salaire élevé).

Yana Rikhlitska

Cependant, elle n’a pas pu rester les bras ballants lorsque la Russie a tenté de détruire son pays. Dans un premier temps, Yana a apporté son aide en tant que bénévole, puis elle s’est engagée dans l’armée en tant qu’infirmière militaire. Le 3 mars 2023, elle a été tuée lorsqu’un obus russe a touché la voiture dans laquelle elle transportait un soldat blessé. La jeune fille était à quelques jours de son trentième anniversaire. Son parcours illustre celui de nombreuses femmes dans la guerre en Ukraine. Elles meurent comme les hommes, en défendant leur pays. Aujourd’hui, elles sont plus d’une centaine à avoir été tuées au front, et sans compter les blessées.

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Le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne en 2014 a vu de nombreuses femmes prendre les armes et rejoindre l’armée ukrainienne. Lorsque la Russie a déclenché la guerre totale en 2022, le nombre de femmes engagées dans les forces armées a fortement augmenté. Les changements législatifs nationaux ont également joué un rôle important dans cette évolution. Jusqu’en 2018, les femmes ukrainiennes ne pouvaient pas être combattantes. C’est ce que rappellent souvent celles qui ont commencé leur carrière militaire en 2014. « Lorsque la guerre a commencé [en 2014], les femmes ne pouvaient pas officiellement occuper des postes de combat. Elles intervenaient en tant que tireuses d’élite, mitrailleuses, mais étaient enregistrées sous statut des cuisinières et des couturières, ou au mieux, comme des signaleuses ou des infirmières », explique la tireuse d’élite ukrainienne, Olena Bilozerska, lors d’une interview.

Ce problème est désormais résolu et les femmes peuvent occuper des postes de combat et de direction dans l’armée sur un pied d’égalité avec les hommes. Selon le ministère ukrainien de la défense, les forces armées comptent actuellement 42 000 femmes combattantes et 60 000 employées civils auprès de l’armée. Aujourd’hui, il y a des femmes dans différentes unités, et plus d’un millier d’entre elles sont à des postes de commandement. À partir de 2023, les femmes ayant une formation militaire peuvent s’enrôller si elles le souhaitent. Seules les diplômées de médecine ou de pharmacie sont tenues de s’inscrire à l’armée, en tant que réservistes. Elles bénéficient toujours d’un report de trois ans avant d’être engagées sous les drapeaux.

C’est la possibilité de s’inscrire au service militaire et d’être éventuellement mobilisée qui a incité Anna Herych, journaliste et spécialiste des relations publiques de Lviv, à commencer à étudier à l’Académie de l’armée à l’automne dernier. « Je suis fermement convaincue que nous devons tous être prêts », a écrit Anna sur sa page Facebook. Dans un commentaire pour Tyzhden.fr, elle a précisé que sa formation militaire durerait deux ans. « J’ai toujours regretté que la conduite et l’instruction militaire à l’école soient réservés aux garçons et que la couture soit réservée aux filles », explique Anna, en référence aux stéréotypes de genre qui, bien qu’en voie de disparition, existent toujours dans la société. Et oui, au lycée en Ukraine on apprend à conduire et à coudre, mais c’est une autre histoire.

Oksana Klymonchuk, quant à elle, a décidé de rejoindre l’armée ukrainienne à la suite de l’invasion russe en février 2022. Oksana est également une ancienne journaliste qui a travaillé pour les principales agences de presse ukrainiennes et qui a ensuite rédigé un livre sur la vie de Lubomyr Husar, patriarche de l’église greco-catholique ukrainienne. Au moment de l’invasion, Oksana vivait en Allemagne. « En fait, jusqu’en 2022, je pensais que je ne pourrais jamais prendre les armes. Non pas que je sois pacifiste, mais je me suis rendu compte que si vous prenez les armes, vous devez être capable de tuer. J’étais convaincue que ce n’était pas pour moi », explique la militaire à Tyzhden. « Mais lorsque des discussions sérieuses ont commencé au niveau mondial sur la possibilité d’une guerre à grande échelle, cela m’a changée et m’a même mise en colère. Je me suis sentie déterminée et j’ai compris que s’il le fallait, je prendrais les armes », a-t-elle dit.

Oksana Klymonchuk

Oksana raconte qu’au cours des premiers mois de l’année 2022, elle a ressenti le besoin de retourner en Ukraine, « être parmi les siens ». En mars, elle a acheté une voiture en Allemagne pour revenir dans son pays. « Je voulais servir dans l’armée, mais je ne savais pas comment m’y prendre, car je n’avais pas reçu la formation nécessaire. Lorsque je me suis présentée au bureau de recrutement militaire de Kyiv, on m’a dit que je ne pouvais travailler que dans l’unité médicale d’une société de sécurité », raconte l’ancienne journaliste. Elle n’était pas satisfaite de cette offre et a donc cherché d’autres opportunités. Oksana a fini par les trouver et a rejoint une unité de combat. Au cours de la conversation, la militaire a dit qu’elle regrette de ne pas avoir suivi de formation militaire alors qu’elle en avait eu l’occasion auparavant. Depuis qu’elle a rejoint l’armée, elle a déjà changé d’affectation militaire et exerce désormais un métier plus proche de sa profession civile. Oksana Klymonchuk a récemment reçu la Croix d’or des mains du commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valeriy Zaluzhnyi, pour son dévouement.

Bien que les Ukrainiennes servent dans l’armée sur un pied d’égalité avec les hommes, les rôles stéréotypés des hommes et des femmes continuent d’influencer les attitudes à l’égard des femmes. « Les commandants masculins sur la ligne de front sont prudents à l’égard des femmes dans leurs unités parce que nos hommes ont été élevés pour être gentlemen, et si une femme de leur unité est blessée ou tuée, ils le prennent très mal, comme une faute de leur part », a déclaré Hanna Malyar, vice-ministre de la défense de l’Ukraine, lors d’une récente réunion d’information. En même temps, Oksana Klymonchuk pense que les femmes doivent être plusieurs fois plus fortes que les hommes dans l’armée simplement parce qu’elles sont des femmes. Les stéréotypes entrent en jeu. Les femmes qui ont commencé leur carrière dans l’armée avant l’invasion totale parlent souvent des nombreux obstacles qu’elles ont dû surmonter. L’officier d’artillerie Liubov Plaksiuk, qui commande aujourd’hui une unité entière, a déclaré lors d’une interview qu’elle rêvait de servir dans l’armée depuis son enfance, mais qu’elle avait été rejetée lorsqu’elle s’était présentée au bureau de recrutement militaire après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires. Cependant, après avoir suivi une formation dans une spécialité militaire, elle a pu trouver une place, et s’est formée pour devenir un officier d’artillerie performant.

Il est intéressant de noter que les femmes ukrainiennes ne sont jamais restées à l’écart de la lutte pour l’indépendance de l’Ukraine. Elles ont ainsi combattu pendant la Première Guerre mondiale, dans les unités de volontaires ukrainiens de l’armée austro-hongroise, les Fusiliers du Sitch ukrainien, et plus tard, durant la Seconde guerre mondiale, dans les rangs de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (la résistance contre l’occupation soviétique dans l’Ouest de l’Ukraine qui a duré jusqu’à 1951).

Coupure de presse russe du début du XXe siècle sur une jeune femme officier capturée

Olena Stepaniv était l’une des soldates les plus efficaces et les plus actives chez les Fusiliers du Sitch. Elle a été reconnue comme une combattante efficace et a été promue au rang de « khorunzha » (lieutenant). Pendant la guerre, elle a été faite prisonnière par les Russes, la presse moscovite de l’époque a parlé de la « jeune femme officier capturée… une « Mazepa » par conviction, animée par la haine vis-à-vis de la Russie ». Les femmes ukrainiennes ont donc plusieurs exemples à suivre, bien que les stéréotypes liés au genre soient difficiles à éradiquer. Dans le même temps, ce sont les crises qui deviennent souvent le moteur des changements radicaux. L’Ukraine vit actuellement une telle période, car la lutte contre la Russie est une lutte pour la survie, et le genre n’a pas d’importance. La participation active des femmes dans cette lutte au sein des forces armées en est une autre preuve.