Maria Andreyishyn : « Il y avait des blessés si graves que je n’arrivais pas à croire que c’était possible »

Guerre
12 décembre 2023, 12:24

L’évacuation des blessés est un travail difficile. Maria Andreyishyn a oublié depuis longtemps ce que sont le repos et une bonne nuit de sommeil. Aujourd’hui, elle consacre tout son temps aux défenseurs de l’Ukraine, en leur sauvant la vie sur la ligne de front.

Maria Andreiyshyn est originaire de Jytomyr. Elle participe à la guerre depuis 2021. A 22 ans, elle a connu les endroits les plus dangereux. Maria est auxiliaire médicale dans le groupe d’évacuation de la 95e brigade.

« Depuis longtemps, j’avais décidé de lier ma vie à la médecine », explique la jeune femme. «Au lycée, je savais déjà quelle serait ma voie. Au début de la guerre, en 2014, j’étais encore adolescente. A cette époque, j’avais dit à mes parents que si la guerre se prolongeait, j’irai aider au front. J’ai terminé mes études et j’ai rejoint les forces armées ukrainiennes. A l’époque, les Russes parlaient encore d’« opération militaire spéciale ».  Au début de l’invasion à grande échelle, j’étais déjà dans l’est de l’Ukraine », dit la secouriste.

A partir du 24 février, nous avons oublié le sommeil : nous avions beaucoup de blessés à soigner. Tous les équipages travaillaient. Les gilets pare-balles et les casques me donnaient des callosités. Les blessures de nos soldats au cours de violents combats étaient très diverses en fonction des situations: explosion de mines, éclats d’obus, amputations traumatiques…

« Je pense que chacun doit être à sa place. Il est difficile pour une femme d’être secouriste. Parfois, il faut porter un blessé sur le dos sous les tirs pendant plusieurs kilomètres. Aussi, ces fonctions sont principalement exécutées par les hommes. Il est un peu plus facile de servir en tant qu’infirmier de bataillon. Mais là aussi, il y a des défis à relever. Chaque étape de soins est difficile à sa manière. Notre équipe d’évacuation se compose d’un chauffeur, d’un médecin et d’un infirmier », explique Maria.

« Le plus dur, c’est lorsqu’un soldat meurt de ses blessures en cours de route », admet-elle. « En général, les soins les plus importants sont effectués dans l’ambulance, pendant le trajet vers l’équipe médicale. Les blessés sont reliés à des équipements médicaux et ils reçoivent les médicaments appropriés. La route est souvent hors-piste, à travers les bois ou les champs. Parfois sous la pluie. Il est arrivé que nous soyons en service au milieu de la forêt. Malheureusement, il est arrivé que nous soyons obligés d’emmener des morts », se souvient Maria.

Une fois, son équipe de Maria a dû prendre en charge un occupant fait prisonnier par les militaires ukrainiens. « A ce moment-là, je n’avais pas envie d’aider, mais je me disais que si je faisais mon possible maintenant, alors, peut-être, que nos compatriotes seraient aussi assistés par l’ennemi captivité. Les occupants sont venus pour tuer, et pourtant, nous l’avons transporté et nous l’avons soigné », raconte la jeune fille. « C’est la guerre. Et on ne sait jamais ce qui nous attend. Il y avait des blessés si graves que je n’arrivais pas à croire que c’était possible. Ou bien, il arrive que les combattants ne croient pas qu’ils sont blessés et demandent à retourner au combat. La plupart d’entre eux sont déterminés à se rétablir et à reprendre leur service militaire », explique l’infirmière.

La peur ? « Rares sont ceux qui n’ont pas peur à la guerre », admet Maria. « Un jour, lors d’un assaut, nous avons reçu l’ordre de nous rendre au point d’évacuation. C’était le crépuscule. Nous nous sommes dirigés vers l’endroit indiqué, mais les bombardements ont commencé. Nous avons soigné les blessés, sous les tirs, mais il fallait partir. Le bombardement continuait. Il était dangereux de rentrer, il y avait sept blessés dans le véhicule. C’était vraiment effrayant. Le chauffeur ne savait pas comment éviter des endroits dangereux. J’avais peur qu’aucun d’entre nous ne revienne vivant ».

Après la guerre, Maria envisage de continuer à travailler dans la médecine. « Le nombre de vies que j’ai sauvées se compte depuis longtemps par centaines. Je ne les recense pas et je ne peux pas dire un chiffre précis. Je ne me sens pas à l’aise dans la vie civile, mon esprit est ici. Tant que la guerre dure, je veux participer aux évacuations. Ma vie aujourd’hui, c’est le service, le travail. Pour l’instant, c’est tout », conclut Maria.

Auteur:
YULIA BOJOK