Au début du mois de mars, en pleine journée, les russes ont lancé six bombes sur un quartier résidentiel de Tchernihiv, qui ont tué au moins quarante-sept personnes. C’était l’un des premiers bombardements aériens effectués après le déclenchement de l’invasion à grande échelle. Voici le récit d’une survivante et de sa famille.
Anna
L’un des clichés du photographe espagnol Emilio Morenatti montre un secouriste de Tchernihiv portant des livres sauvés des ruines d’une résidence. Toutefois, ce que la photographie ne révèle pas, c’est que la même chose est arrivée à ce sauveteur. Un avion russe a bombardé sa maison. Lorsqu’à midi, le 3 mars, une explosion se produit. Sa femme Anna, inquiète, tente de lui téléphoner. Il était en train de faire trois heures de queue à la boucherie située dans le sous-sol d’un grand immeuble. Aujourd’hui, il y a plus un trou noir dans cet endroit.
La peur
En cette matinée, Anna Rodionova, l’épouse de ce sauveteur se trouvait avec son fils de six ans, les parents et les proches de son mari dans un abri antiaérien, à une centaine de mètres de leur maison située au numéro 15 de la rue Chornovol.
Lors d’une alerte, soigneusement cachés, Anna a fait venir ses parents chez elle, en se disant que leur quartier était plus sécurisé. Ça devait aller parce que c’était le centre de la ville. Selon Anna, c’était un jour comme tous les autres. Le soleil brillait. Alors que pour sa mère, le temps était mauvais.
Ce qui est sûre, c’est que ce matin-là, un avion russe a largué des bombes sur les réservoirs de pétrole à Tchernihiv. C’était l’une des premières actions offensives de frappes sur la ville. Il y avait encore de l’électricité et de l’eau, bien que des interruptions eurent lieu dans la chaîne d’approvisionnement. Les réserves des magasins se vidaient lentement tandis que les russes essayaient de pénétrer dans Tchernihiv toute au long de cette semaine. Et Il n’y avait pratiquement aucune façon sûre d’évacuer de la ville.
Anna et ses parents étaient restés toute la nuit dans l’abri. Le matin, ils sont remontés chez eux. Tout était silencieux, ils voulaient donc profiter de cette accalmie. Anna avait réveillé son fils et était montée au deuxième étage de la maison de sa belle-sœur. Tandis que les parents d’Anna – Tetyana et Viacheslav – avaient décidé d’aller à l’appartement de leur fille pour prendre davantage d’affaires pour les apporter dans le sous-sol.
Anna a donné un bain à son fils, l’a fait manger et a bu un café. Elle voulait revenir au sous-sol, mais la sœur de son mari devait se sécher les cheveux. Elle lui demanda de l’attendre, car elle avait peur d’être seule. Anna est restée. C’était encore calme.
Oleksandr, le mari d’Anna, est sauveteur. Il ne travaillait pas ce jour-là. Le matin, il devait aller à la boucherie située dans un immeuble voisin. Le magasin visible de la fenêtre, était également approvisionné en pain. Vers midi, alors qu’il se trouvait là depuis plus de trois heures, une file d’attente s’était formée à la pharmacie de l’autre côté de la rue.
Au début de l’après-midi, les gens ont entendu la sirène. Anna aussi et a emmené son enfant dans le couloir. Pour passer le temps, Ils ont discuté de l’avenir après la guerre.
Quant à Tetyana, la mère d’Anna, elle se trouvait dans l’appartement de sa fille. Elle prit ce dont elle avait besoin. En silence, elle tentait à se laver et de se brosser les dents. Elle avait tout mis dans un sac bleu et l’avait déposé dans la chambre de sa fille.
Tout à coup, Tetyana a entendu du bruit.
Elle a dit : « Slavko, j’ai peur. »
Elle prit deux chaises et les emporta dans le couloir. Son mari s’est assis contre le mur. Pendant une seconde, Tetyana s’est figée dans le passage entre les deux pièces, dont l’une donnait sur la rue et l’autre sur la cour. Deux des six bombes sont tombées précisément à ces endroits.
Au moment de la frappe, le quartier s’était couvert de feu et de fumée. Anna a juste eu le temps de cacher son enfant derrière elle. Tetyana eu l’impression que l’appartement de sa fille allait tomber sur elle. Elle a senti un coup sur sa tête et au niveau de sa jambe.
Simultanément, les habitants de plus de six maisons ont commencé à contacter les sauveteurs. Le mari de Tetyana a réussi à tirer sa femme et à l’a jeté au sol, ce qui l’a sauvée. Le rebord de la fenêtre a traversé la moitié de l’appartement.
Quand ils sont revenus à eux, ils ont compris que l’appartement avait été détruit. Les sirènes, les alarmes et les cris se faisait entendre, ainsi que des hurlements des gens. Tetyana s’est levée et a essayé d’aller à la cuisine. Elle a vu un pigeon assis sur une fenêtre brisée. « Mon Dieu, comment es-tu arrivé là ?» a-t-elle pensé.Pour ne pas effrayer l’oiseau, Tetyana a fait un pas en arrière. Son mari a commencé à la presser : « Vite ! Vite ! » Tetyana a regardé une fois de plus vers la cuisine, l’oiseau avait disparu.
Le trou
Anna a caché son fils et a entendu la vitre se biser. Il y avait le bruit de dizaines de pieds dans l’entrée de la maison. Ils ont couru au rez-de-chaussée. Et là, Anna a vu de nombreuses personnes blessées à cause du verre des vitres brisées. Elle a vite téléphoné à sa mère : « Maman, ils nous ont touchés !»
Au début, sa mère ne disait rien. Elle voulait dire qu’ils avaient été touchés aussi et que l’appartement était détruit. Anna ne savait pas encore qu’elle avait été touchée uniquement par l’onde de choc.
« Vous n’avez pas été blessés, maman ? » demandait Anna en criant au téléphone.
Le mari d’Anna est entré dans le magasin. C’était une minute avant la frappe. Il y avait cinq personnes devant lui dans la file d’attente. Anna lui a téléphoné et l’a entendu dire des choses incompréhensibles. Anna ne savait pas que son mari se trouvait devant la maison, qu’il avait également été touché par une bombe. Les débris tombaient sur les gens qui faisaient la queue pour acheter du pain.
Quelques minutes après, le mari d’Anna courut vers sa famille et il les a vite emmenés dans la cour. Anna y a vu beaucoup de gens. Ils étaient tous confus, blessés et demandaient de l’aide. Les sauveteurs ont installé une échelle pour atteindre les étages supérieurs de la maison. Il y avait des explosions partout et la fumée s’élevait.
Anna s’est mise à genoux. Ella était désespérée. Elle ne voulait pas voir ce que se passait du côté de la rue. Des dizaines de blessés et de morts… Serhii Shumanskyi, un habitant des maisons voisines, témoigne qu’en recherchant ses parents, a vu au moins six morts. Une partie de la maison s’est effondrée, emportant les gens, qui se trouvaient notamment dans les chambres. Une femme, venue chercher ses proches dans les ruines, revoit encore les membres désarticulés d’êtres humains parmi les débris.
Oleksandr a littéralement poussé sa femme et son enfant sur le sous-sol. Il a couru chercher sa belle-mère et aider les autres.
Quand Anna s’est calmée, elle a voulu sortir dehors.
« J’ai besoin de voir. Je veux voir cette atrocité. Je veux me rappeler ce qu’ils ont fait » – a-t-elle expliqué.
Il y avait des pierres, des briques, des blocs, des documents, des photos, des dessins, des jouets… Anna ne pouvait pas imaginer l’état des habitants de son quartier. Elle n’arrêtait pas de regarder le trou qu’avait creusé la bombe dans son immeuble.
« J’ai vu ce que c’était le cratère du russkiy mir, le monde russe », a-t-elle conclut.