La vie quotidienne d’un soldat au front: la tactique

Guerre
14 mars 2023, 18:41

Dmytro Sintchenko est un collaborateur de The Ukrainian Week/Tyzdhen.fr, pour lequel il a couvert la politique locale dans la ville de Kropyvnytsky et de sa région lors des élections locales de 2020. Il est aussi activiste politique et social, blogueur. Après le début de la grande invasion le 24 février, il a rejoint l’armée ukrainienne. Ses textes décrivent la vie des soldats au front. Son nom de guerre est Perun.

« – Ne tirez pas ! Nous sommes des vôtres ! »

Deux soldats s’approchent de notre poste d’observation. Ils parlent russe.

« – A terre ! Lâchez vos armes ! Rampez lentement jusqu`ici ! »

Les hommes arrivent de la position ennemie. Par là-bas, il n’y a pas de nôtres.

« – Mais alors ? Je vous l’ai dit, nous sommes des vôtres ! Nous ne pouvons pas ramper jusqu’à vous, nous devons déminer la zone ! »

Pourquoi déminer le territoire du côté où se trouve l’ennemi ? Si l’avons miné, c’est qu’il y avait une raison.

« –  Nous n’avons pas besoin de déminer quoi que ce soit. Rampez jusqu’ici, et on va voir qui, parmi vous, fait partie des « nôtres » ! »

Les types n’étaient pas pressés d’obéir à notre ordre. L’un d’eux a sorti un talkie-walkie :

« – Green, Green, ils ne m’ont pas reconnu. Contactez leurs chefs ! »

Puis il se tourna à nouveau vers nous :

« – Maintenant, nos chefs vont régler ça entre eux ! Ne tire pas, mon ami ! »

 « – Je répète, pose les armes par terre ! Rampez lentement jusqu’ici ! Sinon, j’ouvre le feu ! »

Ils ne s’arrêtaient pas de bavarder, ils restaient là à dire des bêtises au talkie-walkie. Leur accent les a trahis. Deux rafales de mitrailleuses ont interrompu le dialogue, imprimant à jamais la surprise sur leurs visages.

« – Green… ils ne m’ont pas reconnu !… » C’est la dernière chose que le combattant a pu dire à son chef avant de mourir.

C’est la tactique habituelle des wagnériens: se faire passer pour un des nôtres, puis s’emparer d’une position. Tandis qu’un groupe détourne l’attention, un second arrive par les flancs, lance des grenades vers les fortifications et les prend. Si le premier groupe est apparu, il doit y en avoir un deuxième quelque part à proximité.

On entend des tirs, c’est un lance-grenade de l’ennemi. Des grenades VOG-25 explosent près de nos postes d’observation. L’envahisseur tente d’étouffer nos combattants sous les tirs. Pendant le bombardement, un groupe d’occupants peut s’approcher des positions. Nos hommes remarquent des mouvements dans le champ de tournesols. Mon ami Sova tire avec un lance-grenades.

Il ne s’occupe pas des premiers arrivés : les mitrailleurs s’en chargeront. Il tire tout au milieu du groupe d’assaillants, pour le couper en deux et arrêter ceux qui sont derrière. L’ennemi se replie, laissant ses morts sur le champ de bataille. Bientôt, ce sera le soir, et nos stocks d’armes et de munitions seront réapprovisionnés par tout ce que les Russes auront laissé là.

Les visages bleus et glacés des hommes de Wagner resteront allongés, les yeux ouverts, regardant le ciel.

Ce texte est la suite des reportages du front à la première personne. Si vous n’avez pas lu les précédents, vous pouvez les trouver ici