La Moldavie a dit « oui » à l’Union européenne, mais avec une courte avance. Par ailleurs, le décompte des voix pour le premier tour de la présidentielle donne 42 % à Maia Sandu. Un second tour aura lieu le 3 novembre. La présidente sortante y affrontera un candidat du parti socialiste pro-russe, Alexandru Stoianoglou, qui a obtenu 26 % des voix.
« L’écart entre ces candidats n’est plus aussi important qu’il ne l’était dans les sondages, où Stoianoglo n’obtenait que 9 % des voix. C’est un défi important pour Sandu », relève pour Tyzhden Stanislav Zhelikhovsky, docteur en sciences politiques et membre correspondant de l’Académie ukrainienne de géopolitique et de géostratégie.
En ce qui concerne le référendum au sujet de l’intégration européenne du pays, les résultats sont restés incertains jusqu’au dernier moment. Le « oui » l’emporte avec 50,17%. C’est très peu. Les bureaux de vote à l’étranger, en particulier dans les pays occidentaux, ont joué un rôle clé pour que le « oui » gagne d’une courte tête. Selon Politico, le nombre de Moldaves vivant à l’étranger est d’environ 1,2 million, alors que la population du pays est de 2,5 millions.
Comme le fait remarquer Serhiy Gerasymchuk, directeur exécutif adjoint du groupe de réflexion Ukrainian Prism, dans un commentaire pour Tyzhden, ce petit écart est suffisant pour modifier la constitution. « Si la Cour constitutionnelle confirme les résultats, l’article 75 de la Constitution entrera en vigueur, qui stipule que les résolutions approuvées par référendum ont la plus grande force juridique », a déclaré l’expert. Selon lui, l’article 142 de la Constitution moldave stipule que la majorité des des personnes inscrites n’est requise lors d’un référendum que si celui-ci porte sur l’indépendance, l’unité ou la neutralité.
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Cependant, selon Stanislav Zhelikhovsky, si des faits de corruption et de manipulation sont officiellement confirmés, les résultats du vote peuvent être contestés, voire annulés.
Ces élections n’ont pas été faciles pour la Moldavie. Le pays a dû faire face à des manipulations de la Russie, que Maia Sandu a qualifiée d’« attaque sans précédent contre la liberté et la démocratie du pays ». Selon elle, des « groupes criminels » ont tenté de « saper le processus démocratique ». Les accusations portées contre Moscou comprennent le financement de groupes d’opposition pro-Kremlin, la diffusion de désinformation, l’ingérence dans les élections locales et le soutien à un vaste système d’achat de votes, rapporte The Guardian.
Les fonctionnaires ont notamment accusé l’homme d’affaires pro-russe en fuite Ilan Shor, un fervent opposant à l’adhésion à l’UE, de mener une campagne de déstabilisation depuis Moscou. Auparavant, le chef de la police nationale, Viorel Cerneauțanu, l’avait pointé du doigt, ainsi que le Kremlin, pour avoir mis au point un système complexe de corruption d’électeurs « de type mafieux ». Environ 130 000 Moldaves, soit près de 10 % du taux de participation normal, étaient censés voter contre le référendum et en faveur de candidats favorables à la Russie.
Au cours de la période précédant les élections, les services moldaves chargés de l’application de la loi ont également affirmé avoir découvert un programme dans le cadre duquel des centaines de personnes ont été emmenées en Russie pour y recevoir « une formation » à l’organisation de troubles de masse. Au total, les autorités moldaves affirment que la Russie a dépensé environ 100 millions de dollars pour influencer le processus électoral.
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Sur Facebook, la députée ukrainienne Viktoria Syumar s’est souvenue d’une réflexion d’un chauffeur de taxi, entendue au cours de l’été dernier à Chisinau, la capitale moldave. Il s’est plaint des prix, de la corruption « dirigée par l’équipe de Sandu » et du fait que le gouvernement avait fermé trois chaînes de télévision pro-russes. Puis il a présenté son principal argument : « Elle va installer des bases militaires américaines ici pendant son second mandat, et la Russie sera obligée de nous bombarder aussi. Beaucoup de gens ont peur de cela ». Les propagandistes russes diffusent ce mythe dans tous les pays de l’ex-Union soviétique et c’est ainsi qu’ils expliquent leur présence en Géorgie.
« Le président russe Poutine utilise la Moldavie comme une marionnette pour montrer que l’Occident est un tigre de papier et que Bruxelles n’est pas un allié fiable », a déclaré Ivanna Stradner, chargée de recherche à la Foundation for the Defence of Democracies, basée à Washington. Selon elle, le succès apparent de la guerre hybride russe est un signal inquiétant pour les élections cruciales de la semaine prochaine en Géorgie, un autre pays candidat à l’UE où Moscou cherche à renforcer sa position.
« La Géorgie observe la Moldavie, et si l’Occident échoue à Chisinau, Tbilissi sera le suivant », a déclaré Mme Stradner.
Pour la Moldavie, la lutte pour s’engager sur la voie européenne ne fait que commencer. Selon Serhiy Gerasimchuk, la principale bataille est encore à venir. Elle aura lieu lors des élections législatives de 2025. Et les « guetteurs » ont déjà identifié les candidats qui seront soutenus par les Russes.
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Pour renforcer le soutien à l’intégration européenne d’ici là, les partis peuvent utiliser un certain nombre de leviers. « C’est d’abord la mobilisation des jeunes. La jeune génération a très peu voté, mais la génération des plus de 55 ans était bien représentée. La mobilisation des jeunes peut améliorer les résultats », explique Serhiy Gerasimchuk à Tyzhden. « Deuxièmement, il faut se réunir avec des partenaires pour les prochaines élections. Il est évident qu’une coalition est inévitable. Les Moldaves seront obligés de travailler sur des accords potentiels dès maintenant, les forces pro-européennes ont l’intérêt à s’entendre et ne pas se faire concurrence ».
Il estime également nécessaire d’agir pour renforcer la sécurité et l’ordre public. « Il ne suffit pas de parler de corruption et de fraude massives. Les autorités ont suffisamment de poids pour les empêcher. L’UE devrait également aider à passer l’hiver sans encombre, sinon les questions sociales seront utilisé par l’opposition pro-russe pour réunir les gens contre Sandu », estime l’expert.
« Pour la Russie, il est important que la marche vers l’Europe de la Moldavie ne soit pas un succès. S’il y a un parlement pro-russe, cela permettra au Kremlin d’avoir plus d’influence, y compris dans les territoires ayant un statut particulier, en Transnistrie et en Gagaouzie, où l’usage du russe pourrait augmenter. C’est aussi un défi pour l’Ukraine », souligne Stanislav Zhelikhovsky.