Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

Kateryna Rybachenko: «Nous tenons le front économique»

Économie
26 août 2022, 12:10

Tyzhden a interrogé la vice-présidente du syndicat des entreprises de l’agro-industrie ukrainienne sur la situation de ce secteur essentiel à l’économie de l’Ukraine. La guerre a détruit une partie des capacités de production mais les fermiers ukrainiens se battent pour continuer à récolter, à semer et à exporter.

Propos recueillis par Alla Lazaréva

– Des ports ukrainiens sont restés bloqués durant plusieurs mois. Quel a été l’impact sur les exportations de céréales ?

– L’ensemble de la filière a été fortement perturbée, avec des conséquences à moyen et à plus long terme. L’agro-industrie constitue un système complexe qui demande de gros investissements, ainsi qu’un cycle continu. Si le cycle de production est temporairement interrompu, cela entraîne des difficultés pour vendre les produits. Alors, aujourd’hui, il ne faut pas espérer pouvoir maintenir le niveau de production d’avant-guerre. Il est peu probable que les fermiers pourront continuent à semer, stocker et engager des employés qualifiés au même rythme qu’avant l’offensive de février 2022.

Cette offensive a créé un manque sur les marchés mondiaux, car l’Ukraine est parmi les plus grands producteurs pour de nombreux produits agricoles, comme l’huile de tournesol, pur laquelle nous somme le premier fournisseur, ou alors le maïs, pour lequel nous sommes en troisième ou quatrième position. Par conséquent les prix ont grimpé.

Et même si le blocus des ports ukrainiens par la Russie s’arrête, il faudra plusieurs années pour retrouver le niveau d’activité qui était le notre avant le mois de février dernier.

– Au printemps dernier, vous avez pu acheminer une partie de votre production par chemins de fer. Quel pourcentage environ a pu ainsi être livré aux consommateurs ?

– Au cours du premier mois de guerre, nous avons réussi a exporter au maximum 5 à 10% de la quantité habituelle. Mais en juillet, c’était déjà 30 à 40 %. La vraie question c’est le coût de la logistique. Car avant la guerre, la livraison par la mer coûtait 20 dollars par tonne de céréales. En juillet, c’est passé à 200 dollars par tonne en passant par la route ou le chemin de fer. Cette logistique illogique a rendu le blé ukrainien non-compétitif du point de vue économique.

– Vous continuez à travailler, malgré les risques liés à la guerre. Quelles sont les prévisions pour le semis d’hiver et la récolte de l’année prochaine ?

– Nous tenons le front économique, nous faisons tout pour poursuivre notre production. Nous disposions de grains, d’engrais, de machines, d’agriculteurs, c’est-à-dire tout ce dont nous avions besoin. Alors, nous avons semé ce printemps sur les territoires contrôlés par l’Ukraine, partout où il n’y avait pas de mines, de missiles ou de combats.

Cependant, le risque de blocage des eaux ukrainiennes par les troupes russes constitue la principale menace pour la prochaine saison, à cause du prix élevé des transports.

– La propagande russe tente d’alimenter les sentiments anti-ukrainiens dans les pays émergents, en jouant sur la peur d’un défaut des livraisons de céréales ukrainiennes et un risque accru de famine. Comment maintenir la réputation des producteurs de céréales ukrainiens auprès de leurs clients?

– Un dialogue intensif avec les acheteurs de céréales et de produits agricoles ukrainiens est indispensable. Il faut leur expliquer que la Russie poursuit une politique de pure recolonisation, absolument barbare et inacceptable au XXIe siècle. Il faut pouvoir expliquer cette réalité aux pays d’Afrique et d’Asie.

– Est-ce que des fermiers ukrainiens disposent des fonds suffisants pour la prochaine saison agricole, pour travailler dans les champs ?

– Quand un agriculteur reçois nettement moins que ce qu’il doit investir, des questions se posent: comment semer, qu’est-ce qu’il faut semer et pourquoi semer ? Le manque de fonds est le problème numéro 1.

– Quel est le pourcentage des terres ukrainiennes qui ne sont pas cultivables aujourd’hui? Quel pourcentage des champs agricoles ukrainiens se trouve sous occupation ?

– À l’exception du terres où ont eu lieu des combats acharnés au printemps, soit jusqu’à 30-35 % du territoire, presque tout a été planté. Les petits agriculteurs, les moyens et les principaux agro-producteurs se sont organisé et ont semé. La suite des événements dépend directement du déblocage total des ports ukrainiens et de la réception de fonds de roulement par les producteurs pour les semailles des cultures céréalières hivernales et les travaux de printemps de l’année prochaine.

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Kateryna Rybachenko est directrice générale d’agro-Région Holding, une grosse société de production qui possède des terres au nord de l’Ukraine . Elle est diplômée de l’université nationale de Donetsk (spécialisation « Économie internationale » ) avec mention en 2002. En 2003, elle est également diplômée avec mention de l’université d’Adam Mickiewicz (Poznan, Pologne) à la faculté de droit et d’administration. Depuis novembre 2021, Kateryna Rybachenko est vice-présidente du syndicat des entreprises de l’agro-industrie ukrainienne.