Avec les soldats ukrainiens qui s’entraînent en Grande-Bretagne

Guerre
12 septembre 2022, 12:41

Tyzhden a pu se rendre sur la base militaire du sud-est de l’Angleterre, où s’entraînent des combattants ukrainiens. Reportage.

 

Quelque part dans le sud-est de l’Angleterre, un simple portail marque l’entrée de la base militaire. Le gardien nous regarde avec curiosité. « Nous sommes venus pour filmer l’armée ukrainienne. Nous avons une invitation du ministère de la Défense… », je commence à expliquer. « Quel est votre nom? Oui, oui, oui, je vois. Vos documents, s’il vous plaît… Quel pays représentez-vous ? – l’Ukraine. – Ah… Vos Ukrainiens sont des gars formidables! Vous faites une bonne chose. » Au bout de quelques minutes, nous sommes admis à l’intérieur.

Les exercices militaires qui ont commencé là, à l’été 2022, ne sont en fait pas les premiers. Une mission d’entraînement britannique appelée « Opération Orbital » a commencé en Ukraine en 2015 et a duré jusqu’au début février 2022, lorsque le ministère britannique de la Défense a annoncé le retrait immédiat des troupes britanniques en raison de la menace d’une invasion imminente. En sept ans, le Royaume-Uni a formé plus de 22 000 militaires ukrainiens aux normes de l’Otan. Le ministère britannique de la Défense souligne à juste titre que les compétences acquises par les Ukrainiens dans le cadre du programme Orbital les ont aidés à résister aux envahisseurs russes depuis le 24 février.

Le programme de formation actuel est une suite logique de cette coopération. Selon le plan préliminaire, plus de 10 000 soldats ukrainiens participeront à de tels exercices. Mais maintenant, les combattants ukrainiens sont entraînés en dehors de l’Ukraine. À ce jour, plusieurs milliers de nos soldats – le nombre exact n’est pas divulgué – sont passés par cet entraînement et sont déjà retournés sur le front, en Ukraine.

 

« Je suis impressionné par la volonté et la motivation des Ukrainiens »

« Bien sûr, nous ne pouvons pas prédire tous les scénarios possibles sur le champ de bataille. Nous enseignons aux Ukrainiens un certain modèle, nous leur fournissons une base solide. Ils apprennent à adapter les connaissances acquises à chaque scénario spécifique. Et ils sont bons pour ça », explique l’un des instructeurs britanniques. Le programme suivi par les Ukrainiens en Grande-Bretagne a été conçu spécifiquement pour les volontaires, les recrues, ainsi que le personnel militaire ayant relativement peu (ou parfois pas) d’expérience de combat, sur la base de la formation donnée aux soldats du Royaume-Uni. Le cours fournit des compétences pour se battre en première ligne. Il couvre entre autres une formation en matière d’armes, aux premiers secours sur le champ de bataille, aux tactiques de combat sur le terrain, au nettoyage des tranchées et des bâtiments urbains, aux tactiques de patrouille et au droit des conflits armés.

La formation, qui a débuté à l’été 2022, a été spécialement adaptée aux besoins des Ukrainiens, ainsi qu’à l’évolution de la situation au front. Le gouvernement britannique a même rapidement acheté des fusils d’assaut Kalachnikov afin que les soldats ukrainiens puissent s’entraîner avec les armes qu’ils utiliseront au front. Pendant deux semaines, les gardes gallois ont testé plus de 2 400 AK pour s’assurer qu’ils étaient prêts à l’emploi.

Environ 1 000 militaires britanniques ont contribué à cette formation intensive dans les installations du ministère de la Défense du nord-ouest, du sud-ouest et du sud-est du Royaume-Uni. Chaque cours dure plusieurs semaines, il est dispensé par des unités de la 11e Brigade d’appui aux forces de sécurité. À l’avenir, la durée du cours devrait être modifiée en fonction des besoins des Ukrainiens.

Selon un représentant de la Scots Guard, l’un des cinq principaux régiments d’infanterie britanniques, les Ukrainiens se sont montrés excellents lors de l’entraînement: «J’ai été incroyablement impressionné par la volonté et la motivation des Ukrainiens. Leur désir d’apprendre est sans limite, et leur détermination et leur persévérance sont tout à fait louables. Je m’incline devant leur zèle. Les Ukrainiens qui arrivent dans cette base et dans d’autres bases militaires britanniques absorbent littéralement toutes les informations et compétences que nous leur fournissons. Ils absorbent comme une éponge. Les Ukrainiens ont soif de nouvelles connaissances et compétences. Je suis ravi de les accueillir! ».

 

« Notre tactique est la tactique de préservation des territoires »

Une attention particulière est accordée aux tactiques militaires dans des conditions urbaines. « Nous comprenons que la libération des villes de l’occupation sera une étape extrêmement importante dans la lutte des Ukrainiens. – dit l’un de nos interlocuteurs britanniques. – C’est pourquoi nous accordons une attention particulière à la formation des soldats pour nettoyer le territoire avec un minimum de pertes, tant chez les militaires que les civils. Le nettoyage de la ville ne concerne pas seulement les affrontements avec l’ennemi – les femmes et les enfants, les personnes âgées qui doivent être évacuées vers un endroit sûr où elles peuvent se cacher dans les sous-sols des maisons. Nous enseignons aux militaires comment avancer dans la ville et en même temps éviter les pertes, au lieu de frapper constamment les zones résidentielles, comme le fait l’agresseur maintenant. »

 

Selon l’un des instructeurs, l’objectif des militaires ukrainiens est de reconquérir leurs terres, pas de s’emparer de territoires « gris » pour les marquer sur la carte comme « désoccupés ». Par conséquent, les tactiques utilisées par les Ukrainiens sont fondamentalement différentes de celles utilisées par les Russes qui sont destructrices et provoquent la terreur.

 

« Il est tout à fait clair qu’il est beaucoup plus facile de simplement effacer des villes et des villages de la surface de la terre que de risquer la vie de soldats. Mais cela entraînera des pertes colossales parmi la population civile et les infrastructures. Dans notre cas, nous partons du fait que les Ukrainiens veulent continuer à vivre sur leur terre. Ils veulent développer ces territoires, ils veulent préserver les villes ukrainiennes, ils veulent restaurer ces zones touchées à l’avenir, et ils se battent pour la vie et l’avenir de leur peuple. Par conséquent, nos tactiques sont radicalement opposées à celles utilisées par la Russie. Notre tactique c’est de préserver ces territoires. »

 

« Ce sont des gens de fer, ils donnent vraiment tout, au fond »

Les instructeurs britanniques sont satisfaits de l’enthousiasme des Ukrainiens. « A la fin de la journée, nous faisons une pause et ils ont du temps pour leurs propres affaires et pour se reposer. Mais très souvent ils viennent et disent: nous voulons nous entraîner davantage, donnez-nous plus de charge, ça ne nous suffit pas [rires]. Et ils vont s’entraîner encore, pendant leur temps libre. Ce sont des gens de fer, ils donnent vraiment tout », explique notre interlocuteur britannique.

Un autre instructeur confirme: «Pendant de nombreuses années, j’ai formé des soldats étrangers de différentes parties du monde. Certains d’entre eux venaient d’une zone de combat et avaient déjà une certaine expérience, tandis que des autres venaient simplement pour une formation planifiée. Mais en presque vingt ans d’expérience militaire, je n’ai jamais vu des gens aussi motivés. Ils ont un esprit combatif incroyable. »

Comment explique-t-il une telle obstination? «Vous savez, je les comprends tout à fait. Ils sont prêts à faire le maximum d’efforts pour se protéger. Si j’étais à leur place et que je devais défendre ma maison et ma terre, je ressentirais et agirais peut-être de la même manière», dit l’instructeur.

 

L’entraînement militaire est organisé de manière à recréer les conditions urbaines réelles. La base a des « maisons », des « murs », des « fenêtres », des obstacles, même des voitures qui ont explosé sur des mines. Des grenades et des douilles usagées traînent dans les rues. Il y a des restes de barbelés et de barricades et même des panneaux avec des inscriptions en ukrainien.

 

Des traducteurs travaillent ici, bien qu’une partie importante des élèves connaisse déjà l’anglais. Bien sûr, le problème de la langue complique un peu la tâche, car il est assez difficile de « nettoyer » des locaux lors d’entraînements quotidiens tout en écoutant une traduction simultanée. Mais les Ukrainiens n’ont pas peur de ces difficultés et les formateurs sont prêts à se montrer patients.

 

« Notre futur combat aura lieu dans les villes »

Les Britanniques adoptent une approche très responsable de la protection des données personnelles des Ukrainiens. Pendant le tournage, les militaires portent des masques de protection, et le nombre et les noms des militaires ne sont pas divulgués aux journalistes. « Nous voulons créer les conditions les plus confortables pour les Ukrainiens. Comme vous le savez probablement tous déjà, les bases militaires en Ukraine ont été la cible de tirs plus d’une fois, ce qui a souvent entraîné la mort de soldats. Nous voulons que les Ukrainiens apprennent le plus possible ce que nous pouvons leur donner, et en même temps ne soient pas distraits par l’attente constante d’une frappe aérienne ennemie», nous explique l’un des instructeurs.

Quelques militaires ukrainiens ont également rencontré les journalistes. L’un d’eux se nomme Zakhar. Il était un ingénieur de Kyiv. Il se sent confiant et déterminé, bien qu’il n’ait jamais eu aucune expérience du combat avant de venir se former en Grande-Bretagne. « Quand je vois ce qui se passe en Ukraine, quand l’ennemi détruit des villes entières, tue des petits enfants, brûle les récoltes dans les champs, je suis rempli de colère ». dit Zakhar. « Je ne peux pas rester à l’écart. » A-t-il peur d’aller au combat? « Je n’ai pas peur d’aller au front. Bien sûr, tout le monde a peur de la mort, mais je pense que nous sommes bien préparés à ce qui nous attend. » Et il ajoute: « Mon meilleur ami et mon frère sont actuellement dans la zone de guerre à l’Est. Cela me motive beaucoup. Avant que je rejoigne les rangs des forces armées, mon ami est mort lors d’un bombardement russe dans un quartier résidentiel, à Odessa. Je ne veux pas que sa mort soit vaine. »

Un autre soldat est un jeune étudiant qui est allé au front juste après l’invasion russe, en février. Il serre fébrilement son arme, car il est là pour acquérir une expérience militaire, pas pour répondre aux questions des journalistes. Auparavant russophone, il est passé en toute confiance à l’ukrainien en discutant avec nous. Il s’exprime sans détour. À son avis, l’essence du programme britannique est assez similaire à celle de l’instruction des soldats en Ukraine, mais il est présenté un peu différemment. « Notre lutte future se poursuivra dans les villes. Les instructeurs britanniques sont très cohérents et présentent clairement tous les scénarios possibles, étape par étape. Ils sont très responsables de leur travail. C’est ma première expérience du combat urbain. »

Que ressent-il avant de retourner en Ukraine? De la colère ou un désir de se venger de l’ennemi? « Vous savez, j’essaie de garder mes émotions de côté pour qu’elles ne fassent pas obstacle à notre travail. Nous sommes ici pour apprendre. Et après notre retour en Ukraine, nous mettrons tout en œuvre pour faire ce qu’on attend de nous. »

Un pourcentage important de militaires ukrainiens arrivés en Grande-Bretagne sont des femmes. Elles sont tout aussi résolument prêtes à défendre l’Ukraine les armes à la main. Snejana est une femme taciturne et sérieuse au regard pénétrant. Elle a une expérience du combat déjà considérable, elle a déjà vu la guerre. « Pour moi, la guerre a commencé en 2014. Par conséquent, l’offensive de février n’a pas été une surprise pour moi. Nous nous y préparions tous, dit-elle. J’ai rejoint l’armée en 2015, c’était très important pour moi de contribuer à la victoire. Je suis ici pour acquérir de nouvelles compétences, que je pourrai ensuite transmettre en Ukraine. C’est intéressant, j’apprends beaucoup de nouvelles choses. » Snejana est mariée et a des enfants: « Ma famille me soutient beaucoup. Ils comprennent que je veux protéger ma maison, mon pays, y compris eux. »

Les Ukrainiens disent tous qu’ils ont hâte de retourner en Ukraine. « Nous nous battrons pour notre victoire, et elle viendra certainement », disent-ils.