Quand les créateurs de mode ukrainiens partent en guerre

Économie
4 janvier 2023, 10:09

L’industrie de la mode ukrainienne s’efforce de survivre, de continuer à créer, mais s’est aussi engagé dans la production pour l’armée et la collecte de fonds pour aider les volontaires.

Comme tous les Ukrainiens aujourd’hui, l’industrie de la mode tente d’apporter sa contribution à la victoire : 1 300 paires de bottes ont été cousues par la marque ukrainienne de chaussures et d’accessoires en cuir KACHOROVSKA. Sa créatrice, Lilia Litkovska, vend un bon d’achat qui offre aux clients une remise de 60 % sur l’ensemble de l’assortiment. Il pourra être utilisé après la fin de la guerre, et tous les fonds collectés de cette façon sont destinés à soutenir les forces armées ukrainiennes.

GUDU, une marque d’Ivano-Frankivsk, spécialisée dans les habits brodés, produit des vêtements pour l’armée ukrainienne depuis les premiers jours de l’invasion. « Dés le 29 février, nous avons commencé.D’abord, nous avons fabriqué des sacs de couchage, puis des pulls pour les militaires. Nous avons essayé de faire tout ce qui était en notre pouvoir. Depuis mars, nous travaillons sur des collectes humanitaires pour la ville de Borodyanka dans la région de Kyiv, et nous avons aussi équipé des camions de nourriture et d’aide médicale pour les personnes touchées par la guerre», explique Olga Gusak, responsable de l’entreprise.

Elle raconte que depuis le mois de mai, pas à pas, la société a pu reprendre la broderie, ce qui a permis de s’adapter. « La possibilité de travailler nous permet de transférer des fonds à diverses collectes, et en général de soutenir les personnes qui se trouvent dans des conditions de vie extrêmement difficiles et injustes », dit Olga.

MOTIFS DU PATRIMOINE NATIONAL

Depuis le début de l’invasion, les marques ukrainiennes utilisent des symboles nationaux et un style ethnique dans les détails vestimentaires pour souligner leur attachement à l’indépendance ukrainienne. Le designer Roman Gusak l’avait fait même avant la guerre. Il explique que sa marque a juste ajouté quelques détails: « Des motifs anciens ont été tissés pour compléter les éléments modernes, car les nouvelles réalités de nos vies donnent envie à chacun de se plonger dans notre patrimoine culturel, de toucher l’histoire, d’apprendre à apprécier notre origine et de porter fièrement la culture ukrainienne dans le monde. »

PHOTO : VZIR

La marque de Kyiv Etnodim, qui crée des vêtements traditionnels ukrainiens, a été forcée de déplacer sa production à Lviv dansl’ouest du pays. Mais elle a presque doublé sa capacité et son personnel, car la demande de produits ukrainiens augmente non seulement dans le pays, mais aussi à l’étranger. « Nous travaillons dans des conditions de guerre, alors que la Russie essaie de détruire notre culture, nos traditions et notre peuple. Les raids aériens, les bombardements, les coupures de courant font désormais partie de la vie des Ukrainiens. Nous essayons d’adapter le processus de production aux conditions, et dans les projets et les collections pour soulever des sujets qui inspireront et soutiendront moralement les gens en ces temps difficiles », explique Manana Glonti, directrice artistique et responsable des relations publiques d’Etnodim.

Elle dit aussi que malgré le fait que de nombreuses nouvelles marques, qui ont commencé à se spécialiser dans les vêtements traditionnels, sont apparues pendant la guerre, Etnodim ne ressent pas de concurrence : « Nous continuons simplement à faire ce que nous avons fait. De nos jours, de nombreuses marques sont vraiment engagées dans la production de vêtements nationaux ou ont commencé à ajouter quelque chose de traditionnel, mais cela n’a pas beaucoup d’effet sur Etnodim, son concept, son idée, sa philosophie. »

Depuis le début de l’invasion, divers projets visant à soutenir le pays se sont lancés. VZIR en fait partie. L’idée est née du désir d’aider les designers ukrainiens à vendre. Aujourd’hui, cela fonctionne en ligne et hors ligne, dans la ville belge d’Anvers.

« La particularité de VZIR est de montrer un design de haute qualité fabriqué en Ukraine, moderne et élégant. Nous sommes guidés par le principe d’authenticité : si une marque a son propre style, nous l’invitons, quelle que soit sa renommée. Même les petites marques ont une chance de réussir. Nous combinons la mode et le design d’intérieur, car les Belges aiment beaucoup le confort de la maison », explique la cofondatrice, Kateryna Orekhova.

Le but de VZIR est de soutenir les entreprises ukrainiennes. Malgré la situation difficile, les designers continuent de créer des collections. « Le but est de populariser les idées des designers ukrainiens. Il existe un vaste monde en dehors de l’Ukraine, et nos designers peuvent rendre ce monde encore meilleur », explique Kateryna Orekhova. Selon elle, l’intérêt pour la mode ukrainienne augmente à l’étranger, et cela se produit précisément à cause du désir de soutenir l’Ukraine. De nombreuses marques à succès fondées en Ukraine sont vendues dans le monde entier.

DEMANDE POUR LES MADE IN UKRAINE

Dans les premières semaines de la guerre, les machines à broder de Roman Gusak ont fonctionné pour les chevrons d’identification des militaires. Olga Gusak ne pensait pas alors à travailler sur la broderie. « Il y avait un terrible sentiment de vide et d’incompréhension de l’avenir. Quand nous avons branché l’équipement et que nous nous sommes mis à coudre ces chevrons le matin, tout est devenu plus joyeux, de voir que tout bougeait et ne restait pas immobile », dit-elle.

Olga Gusak explique que l’appel à se souvenir de l’héritage ukrainien et le désir de s’identifier, de la part des Ukrainiens du monde entier, ont créé une demande pour les chemises brodées traditionnelles. « Les Ukrainiens du monde entier ont été les premiers à commander des chemises brodées, ce qui a donné une impulsion à la reprise de notre travail. La demande a augmenté de manière significative, et c’était une vraie surprise. Quelque part au fond de nos âmes, nous ne croyions pas du tout dans les premières semaines de la guerre que nous reviendrions à notre travail principal. »

Les symboles de la résilience. Des accessoires qui permettent de mieux connaître l’Ukraine. Photo : VZIR

Le directeur artistique d’Etnodim Manana Glonti note que les commandes ont augmenté non seulement en Ukraine, mais aussi à l’étranger. Au cours des trois premières semaines de la guerre, la marque en a collecté 500 000 hryvnias provenant des dons des acheteurs, tous les fonds ont été remis à des bénévoles. Plus tard, lorsque le processus de production s’est amélioré, le magasin a fait don de 500 000 UAH (presque 13000 €) supplémentaires provenant de ses propres ventes au Serhiy Prytula Charity Fund, au Return Alive Fund et au régiment Azov.

LA MODE EST EN PAUSE

Cependant, la situation n’est en fait pas simple du tout. Maya Tulchynska, chroniqueuse et auteure du blog « C’est accessible : la mode et le style », affirme que les fabricants ukrainiens survivent à peine, actuellement, gênés par une pénurie de tissus, le manque de travailleurs et le fait que le commerce est à l’arrêt.

Les fondatrices de la marque VZIR sont Oksana Senichak et Kateryna Orekhova. Photo : VZIR

Malgré cela, Maya Tulchynska explique que toute entreprise qui travaille aujourd’hui en Ukraine, paie des salaires et des impôts et rapproche le pays de la victoire.

Kateryna Orekhova estime que la guerre a eu un effet positif sur certaines marques, car elle est devenue un puissant outil de marketing. Le monde entier s’est tourné vers les designers ukrainiens. « De manière générale, il y a une tendance dans le monde à un retour des usines plus prés des créateurs et des consommateurs. Il devient à la mode d’acheter auprès de marques locales. C’est encore plus pertinent pour l’Ukraine, et j’espère que cela donnera un élan à l’épanouissement de la mode ukrainienne », déclare Maya Tulchynska.


Cet article a été réalisé dans le cadre d’un projet conjoint de The Ukrainian Week et de l’École de journalisme et de communication de l’Université catholique ukrainienne.