Maksym Vikhrov ex-rédacteur en chef du journal Tyzhden

Meurtre du blogueur Tatarsky : ce que l’on sait

Économie
4 avril 2023, 07:52

Dimanche, à Saint-Pétersbourg, le « Z – correspondant de guerre » Vladlen Tatarsky a été tué par une bombe, et environ trois douzaines d’autres invités à sa « soirée créative » ont été blessés. Mais qui était Tatarsky et de quel côté faut-il chercher ses assassins ?

Sous ce pseudonyme  se cachait Maksim Fomin, 40 ans, originaire de Makiivka, en Ukraine. La biographie du « héros de la Novorossiya » est typique des personnalités de son acabit jusqu’à l’invraisemblance. Il est né dans une famille de mineurs, a travaillé dans une mine, mais pas longtemps. Il s’est essayé au petit commerce, mais cela n’a pas marché non plus. Finalement, il a braqué une banque et est allé en prison en 2011. En 2014, notre « héros » s’est échappé de la prison de Horlivka pour rejoindre la milice pro-russe. Mais les militants ne se sont pas réjouis longtemps de leur précieuse nouvelle recrue. Maksim s’est avéré si spécial qu’il a été renvoyé en prison. Cependant, le dirigeant de ladite « République populaire de Donetsk », Aleksandr Zakharchenko, a gracié ce camarade et Fomin a aussitôt rejoint les militants.

En 2019, Fomin a décidé qu’il serait préférable de « défendre la Novorossiya » depuis Moscou, non pas avec une mitrailleuse, mais avec un clavier. C’est ainsi que sa carrière de blogueur-propagandiste a commencé, elle atteindra son apogée le 30 septembre 2022. Pour ses services médiatiques « exceptionnels », Vladlen a eu l’honneur d’être présent au Kremlin lorsque Poutine a annoncé l’annexion des régions ukrainiennes. Comme il a l’habitude de le faire, Vladlen a enregistré une vidéo sur place, dans la salle Geogryevsky du palais du Grand Kremlin, ce qui l’a rendu célèbre : « On vaincra tout le monde ! On tuera tout le monde ! On volera tous ceux qu’il faut voler! Tout se passera comme on aime ! Allez, Dieu est avec nous ! »

Il faut admettre que même les hauts fonctionnaires du Kremlin ne peuvent se permettre une telle franchise. Poutine lui-même doit donner des conférences bizarres sur l’histoire et la géopolitique, pour justifier ses décisions. Après un tel « triomphe », Tartasky pouvait « mourir tranquille ». D’autant plus qu’Alexandre Zakharchenko, Kirill Stremousov, Alexandre Bednov, Alexei Mozgovoy, Valery Bolotov et toute une foule de « bâtisseurs de la Novorossia » attendent déjà Maksim en enfer.

Qui a tué Vladlen Tatarsky ? Bien entendu, le Kremlin a immédiatement repéré la « patte ukrainienne » et il est probable qu’il s’agira de sa principale version. Mais il semble plus pertinent de voir dans cet acte un « petit bonjour » déguisé à l’attention d’Evgeny Prigozhin. Le fait est que l’  « attaque terroriste » a eu lieu pendant le récital de Tatarsky organisé par le mouvement Cyber Front Z. Il s’agit d’une ferme de trolls créée en mars 2022. Déjà à l’époque, les médias parlaient de l’implication de Prigozhin dans le projet, et lui-même ne s’en cachait pas particulièrement. En novembre, le Cyber Front Z a quitté les locaux loués à l’usine Arsenal de Saint-Pétersbourg pour s’installer au Centre Wagner. Pour ceux qui suivent le sujet, il n’est pas anodin que le café où le « cyber front » s’est réuni le 2 avril appartienne également à Prigozhin.

Il convient de rappeler que Prigozhin est impliqué dans des fermes de trolls depuis 2013. Ce sont ses fermes qui ont tenté d’influencer le résultat de l’élection présidentielle américaine de 2016, comme il l’a lui-même fièrement déclaré par la suite. En 2018, Prigozhin a été inclus dans la liste des citoyens russes inculpés par le ministère américain de la justice.

Après le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, Prigozhin a commencé à accroître sa propre activité médiatique, formant autour de lui un groupe de chaînes Telegram et de « commandants militaires » loyaux. Vladlen Tatarsky était depuis longtemps membre du service de presse de Prigozhin, faisant la publicité de son patron et de ses « musiciens » (surnom des miliciens de Wagner) sur sa chaîne Telegram. L’un des derniers messages postés par Tatarsky était une photo d’une bannière publicitaire du groupe Wagner à Moscou, accompagnée de la légende suivante :

« Moscou. C’est agréable de voir une telle publicité à l’extérieur. J’ai vu plus de panneaux Wagner à Rostov. Mais de nombreuses villes n’en ont pas encore. J’espère que la seule raison est un retard dans les commandes des bannières ».

Il semble que l’explosion du café de Saint-Pétersbourg témoigne de ce que cette activité de Prigozhin n’était pas du goût de tout le monde. Le fait que ce soit Vladlen Tatarsky qui en ait été la victime, et non un autre hacker de Prigozhin, n’est qu’un simple concours de circonstances karmiques. Plus la contre-offensive ukrainienne se rapproche, plus les araignées dans le bocal s’entredévorent.

Pour le Kremlin, Prigozhin est désormais bien plus dangereux que Navalny. Alors que le parti de Navalny flirte avec l’establishment occidental, Prigozhin est en train de devenir la star des « patriotes Z en colère » qui attisent de manière préventive le sentiment revanchard en Russie et affirment que le Kremlin ne veut tout simplement pas, pour l’instant, mener une « vraie » guerre. Compte tenu de l’état d’esprit de la société russe, c’est ce genre de choses – et non un Oscar pour Navalny – qui constitue une véritable menace pour le régime. Voici le calcul bien simple.

Il est dommage que tous les criminels de guerre ne vivent pas assez longtemps pour voir La Haye.