Olexandre Kramar Journaliste spécialisé dans l’économie

Malgré la guerre, l’Ukraine doit réorganiser sa production nationale

Économie
31 août 2022, 13:40

Bien qu’affaiblie économiquement par la guerre, l’Ukraine a les capacités de relancer une production nationale dans de nombreux domaines. L’analyse de la structure des importations ukrainiennes montre que l’Ukraine a acheté à l’étranger, au mois de juin, du concentré de tomates, des chaussures et de la lessive : autant de produits qui pourraient provenir d’une production locale.

Par Oleksandr Kramar

Pour résister dans une guerre qui dure, l’Ukraine doit réorganiser son économie. En 2020, les régions actuellement occupées, ou bien celles où les combats se poursuivent, contribuaient pour 20% au PIB ukrainien. Il s’agit des régions de Kharkiv, Zaporijjia et Mykolaiv. Cela signifie que 80% du produit économique d’avant-guerre venait des autres régions, là, où actuellement, grâce à l’évacuation, le nombre de gens qui veulent travailler ne fait qu’augmenter. Il est important de leur offrir des perspectives, pas seulement pour reconstruire, mais aussi pour accroître la production par rapport aux volumes d’avant-guerre.

Tyzhden a beaucoup écrit sur l’urgence à changer la politique économique de l’Ukraine. Maintenant cela devient encore plus important. Notre situation n’est pas si unique. Par exemple, «la Seconde Guerre d’Indépendance» des États-Unis, en 1812-1815, a stimulé le développement industriel dans des régions agraires.

La récente initiative de la Banque nationale ukrainienne va dans ce sens. Elle a tenté de limiter les sorties de devises par une taxation supplémentaire sur le change qui permet d’assurer les importations. C’est important, bien sûr, mais pas suffisant. Plus encore, l’application de cette mesure peut avoir des effets nocifs pour le développement de la production dans le pays. Il est primordial de ne pas faire augmenter mécaniquement le prix de toutes les importations, pour réduire temporairement les sorties de devises. Car cela risque de provoquer une baisse spectaculaire du niveau de vie de la plupart des citoyens et l’apparition d’un marché noir pour contourner la nouvelle règle.

Au contraire, si cette mesure est accompagnée de modifications dans les politiques fiscales, et la politique de prêt, l’augmentation du prix des importations va créer les conditions favorables pour le développement à long terme de la production nationale. Cette mesure doit s’appliquer aux articles qui sont largement importés, tandis qu’ils pourraient (et devraient) être produits en Ukraine. Il ne s’agit pas de fierté nationale, mais de la création d’emploi supplémentaires et de la réduction du déficit du budget de l’État et des collectivités locales, ainsi que des fonds sociaux.

Pour cela, il est important d’encourager la production d’articles de consommation courante en Ukraine qui sont faciles à mettre en fabrication. En même temps, les restrictions ne doivent pas empêcher l’importation d’équipements, de matières premières et de composants. Il n’y a pas de sens à augmenter la valeur des importations des produits que le pays n’est pas capable de fabriquer actuellement. Cela va faire flamber les prix, le coût de la vie et de la main-d’œuvre, et, par conséquent, la compétitivité de l’économie ukrainienne sera en baisse.

Il est aussi important que les entreprises qui peuvent produire des articles actuellement importés puissent obtenir des prêts sans intérêts auprès des banques d’État, avec le report des échéances, si nécessaire, jusqu’à la fin de la guerre. C’est le bon moment pour investir dans l’économie ukrainienne. Les ressources sont d’ailleurs disponibles en Ukraine. D’après les données officielles les plus récentes, au moins 1 000 trillions de hryvnia (27000 milliards d’euros) ont été accumulés sur les comptes bancaires, y compris les dépôts à terme dans les banques ukrainiennes. Une partie de ces fonds n’ont pas été investis, en particulier dans des projets de production.

Niches prometteuses

La dévaluation de la hryvnia a créé des conditions favorables pour les exportateurs ukrainiens. Mais il est également important que la production se développe en direction du marché national.

C’est important, d’autant plus que les importations de marchandises en Ukraine ont rebondi depuis les premiers mois de la guerre. Elles ont déjà dépassé les 4,7 milliards de dollars en juin et c’était probablement encore plus en juillet. Les importations de carburants et d’automobiles ont représenté environ 1,6 milliard de dollars en juin. Les produits pétroliers ont représentés à eux seuls 982 millions de dollars.

Le reste a été dépensé pour divers produits, dont la plupart pouvaient être remplacés par de la production intérieure. C’est le cas de nombreux produits alimentaires. Ainsi, il est dommage qu’au mois de juin les importation de tomates vers l’Ukraine aient atteint 19,2 millions de dollars. La Turquie est devenue le principal fournisseur de tomates depuis l’occupation de la région de Kherson. Cette région est l’un des leaders nationaux dans la production agricole. Le 24 février 2022, l’armée russe a franchi la frontière administrative et a commencé à occuper cette région.

Près d’un tiers des livraisons de tomates provenaient de la Pologne, qui n’a aucune avantage climatique par rapport à l’Ukraine. Les importations de tomates en conserve ont aussi explosé, passant à près de 2,5 millions de dollars. L’Italie et la Pologne étaient les principaux fournisseurs. En juin, les carottes, les betteraves et les radis ont été importés pour un montant de 9,5 millions de dollars. Là encore, la Pologne et les Pays-Bas étaient les principaux fournisseurs. Les concombres ont été importés pour un montant de 7 millions de dollars, presque exclusivement de Roumanie. Les oignons et les choux ont été achetés en quantités significatives. Les Pays-Bas et la Pologne étaient les principaux fournisseurs d’oignons (8,3 million de dollars). Les choux ont été importés pour un montant de 5,6 millions de dollars essentiellement depuis la Pologne.

Également en juin, la viande porcine a été importé pour un montant de 20 millions de dollars, et cela malgré le fait que les producteurs ukrainiens bénéficiaient de prix favorables pour la nourriture des animaux, devenue difficile à exporter à cause de la guerre. Mais les producteurs nationaux n’ont pas profité de ce grand segment de marché qui représente environ 10 milliards de hryvnias en équivalents annuels (2,7 milliards d’euros). Le Danemark, les Pays-Bas et la Pologne étaient les principaux fournisseurs en proportions presque égales.

Les importations de fromage ont atteint un montant encore plus élevé au cours du même mois de juin (20,6 millions de dollars). Et il ne s’agit pas de produits exclusifs, mais essentiellement de produits bon marché vénus de la Pologne, de l’Allemagne et des Pays-Bas.

Les importations d’alimentation pour des animaux ont représenté 30 millions de dollars en juin (le total pour le premier semestre était de 147 millions de dollars). Là encore, la Pologne, la Hongrie et la Chine ont été les principaux fournisseurs. Pareil pour les importations d’autres produits alimentaires les plus divers avec le montant totale près de 96 millions de dollars pour le seul mois de juin.

La guerre a stimulé la demande de médicaments. Les fabricants ukrainiens ont déjà restauré et, à certains endroits, ont largement dépassé les volumes de production d’avant-guerre. Cependant, les importations de médicaments restent très importantes. En juin, elles ont dépassé 126 millions de dollars. Les importations de vaccins et sérums ont été effectués pour un montant de 21 millions de dollars.

Les entreprises du textile et de la chaussure pourraient gagner au moins 50 milliards de hryvnias par an (1,37 milliards d’euros), si elles arrivaient à remplacer les importations, même si au début elles doivent utiliser des matières premières importées. En juin, les importations de cette marchandise représentaient 72 millions de dollars.

Par ailleurs, les importations des produits manufacturés ont atteint 48,3 millions de dollars en juin et 284 millions de dollars depuis le début de l’année. Les importations de charpentes métalliques ont considérablement augmenté et ont atteint le montant de 8,7 millions de dollars en juin. Les importations de vis, écrous et articles de ce type ont été effectué pour un montant de 7,1 millions de dollars. Une grande partie a été livré de la Pologne et de la République tchèque, un peu mois de la Chine.

Les pays voisins de l’UE continuent également à fournir un certain nombre de matières plastiques. Par exemple, des tubes en plastique ont été livré principalement de la Pologne et de la République Tchèque pour plus de 10,6 millions de dollars. Les importations des autres produits ont été effectué pour 88,5 millions de dollars supplémentaires. Là encore, les principaux fournisseurs étaient des producteurs des pays d’Europe Centrale (la Pologne, la Hongrie, la République Tchèque et la Serbie) et de la Chine. Les mêmes pays vendaient en Ukraine leur caoutchouc. De meubles arrivaient essentiellement de la Chine et de la Pologne. Le montant des importations s’élevait à près de 11 millions de dollars en juin et 71,5 millions de dollars depuis le début de l’année.

Des lessives de toutes sortes pour un montant de 27,3 millions de dollars ont été acheté par les Ukrainiens en juin. Et une fois encore, les principaux fournisseurs étaient la Pologne (8,3 millions de dollars), la République tchèque et l’Allemagne. Les produits agrochimiques (y compris les produits qui protègent les cultures, et les engrais) constituent toujours une part importante. Les importations de produits phytosanitaire représentaient 60,6 millions de dollars en juin et 585 millions de dollars depuis le début de l’année. La Chine reste le principal fournisseur.

La production d’engrais n’est pas encore assez développée en Ukraine, à l’exception de produits azotés. Ainsi, au cours du seul mois de juin, des engrais chimiques ont été importés pour un montant total de 43,4 millions de dollars.

Compte tenu de l’ampleur et du rôle de l’agriculture dans l’économie ukrainienne, il ne suffit pas d’augmenter les volumes de production. Localiser la production de toutes sortes d’engrais en Ukraine, c’est aussi un objectif de sécurité économique. En d’autres termes, même si l’Ukraine ne dispose pas de ses propres matières premières pour la production de certains types d’engrais, il est néanmoins préférable d’importer précisément les matières premières et non les produits finis.

Il convient de préciser que malgré ce contexte de guerre, les importations de machines agricoles restent également considérables. En juin 2022, le montant pour leurs importations était de près de 52 millions de dollars, le total a atteint 276 millions de dollars depuis le début de l’année. Une grande partie de ces importations sont effectuées depuis l’Allemagne et les États-Unis. Il ne s’agit que partiellement de produits d’occasion, car un certaines machines sont importées neuves.

L’Ukraine continue d’importer des quantités énormes de réfrigérateurs (13,5 millions de dollars pour le seul mois de juin). Les principaux fournisseurs ont été la Pologne, la Turquie et, dans une moindre mesure, la Chine. Les importations de lave-vaisselle et de machines à laver ont dépassé 10 millions de dollars en juin. Les importations de matériel informatique en juin ont augmenté d’environ 36 millions de dollars.

Tous ces chiffres montrent qu’en Ukraine, malgré la guerre, il existe un potentiel économique important à développer. Investir dans ce domaine, même à petite échelle, c’est faire aussi un geste pour soutenir un pays qui se bat pour sa liberté et son droit d’exister.