Volodymyr Zablotskyi expert naval Defence Express

La flotte russe: son état, ses capacités et ses perspectives incertaines

Guerre
13 décembre 2022, 17:12

La marine russe compte actuellement plus de 200 navires de surface, vaisseaux et bateaux, ainsi que jusqu’à 70 sous-marins. Sur le plan organisationnel, ils sont répartis entre elle est divisée en quatre flottes – Nord, Pacifique, Mer Noire et Baltique – et la flottille Caspienne.

La base de la flotte de surface russe est constituée de :

1 porte-avions du projet 11435 (en réparation) ;
2 croiseurs lance-missiles à propulsion nucléaire (RKR) du type 1144 (1 en réparation et modernisation) ;
2 SNLE de la classe 1164 ;
6 destroyers du type 1155 (1 en service).

Tous ces navires ont été construits à l’époque soviétique, et ils sont moralement et physiquement obsolètes. Le reste des navires est constitué de modèles plus modernes: corvettes, petits navires lance-missiles (SSM), bateaux lance-missiles, navires et bateaux amphibies, anti-sous-marins et de lutte contre les mines, etc. Certains d’entre eux ont été mis en réserve.

Dans l’ensemble, la marine russe d’aujourd’hui n’est plus que l’ombre de l’ancienne marine soviétique, qui était considérée à une époque comme la deuxième flotte du monde. Elle est inférieure à ce dernier tant sur le plan quantitatif que qualitatif. En raison du vieillissement général, le nombre de navires diminue, et le déclassement des navires de premier rang (porte-avions, croiseurs, destroyers) se poursuit sans remplacement adéquat par de nouveaux navires.

Croiseur « Moscou » après l’attaque des « Neptunes » ukrainiens

En plus, la marine russe subit des pertes considérables dans la guerre contre l’Ukraine. Au total, selon l’état-major de l’armée ukrainienne, au moins 16 navires et bateaux (y compris Moskva et Saratov) ont été touché et incendié dans les eaux de la mer d’Azov et de la mer Noire, mais également un certain nombre d’autres ont été endommagés.

La destruction en mars 2022 en mer Noire du Moskva 1164, le navire amiral de la flotte de la mer Noire, qui a reçu deux missiles de croisière ukrainiens Neptune, signifie sans aucun doute un succès tactique de la marine ukrainienne, qui a attiré l’attention de la communauté internationale dans le contexte de la guerre déployée par la Russie.

La destruction spectaculaire d’un navire amiral russe par les forces navales du «pays inexistant» a été le point de départ du déclin de la marine russe en tant que telle. La perte du Moskva, l’un des symboles de l’ancienne puissance navale soviétique créée grâce aux efforts de l’amiral Sergei Gorshkov, signifie une nouvelle réduction des vestiges de l’ancienne flotte que la Russie a hérité de l’ancienne deuxième plus grande flotte navale du monde. Et il est peu probable que la Russie contemporaine, malgré toutes les tentatives, soit en mesure de relancer son potentiel naval.

Les problèmes de la construction navale en Russie

Selon les experts de Royal United Services Institut (RUSI) for Defense Studies, les capacités limitées de l’industrie de la construction navale de la Fédération de Russie et le manque de financement signifient qu’il est de plus en plus probable que, dans un avenir prévisible, la flotte de surface de la marine russe pourrait se transformer en une flotte côtière basée sur des corvettes et des frégates.

En effet, malgré les projets ambitieux de Moscou de construire de nouveaux porte-avions et destroyers nucléaires, l’industrie russe n’est plus en mesure de construire de grands navires de guerre. Les technologies nécessaires à cet effet ont été complètement perdues, de même que les installations de production, dont la moitié est restée en Ukraine après l’effondrement de l’URSS.

Frégate de type « Amiral Hryhorovych »

Il s’agit principalement du retard technologique et technique général, de l’utilisation d’équipements obsolètes (jusqu’à 70%), de la corruption, du manque de personnel qualifié, de ressources et d’accès aux marchés internationaux. Les sanctions actuelles ont rendu impossible l’acquisition d’éléments de base pour l’électronique militaire à l’étranger, que la Russie est désormais contrainte de remplacer par des équivalents indiens et chinois de moindre qualité.

La construction de nouveaux navires en Russie est également aggravée par les retards et les pertes de temps dus à la dépendance des importations de composants et d’équipements. Par exemple, la Russie dépendait de l’Ukraine pour la fourniture de turbines à gaz navales (GTU) de fortes puissances pour les navires de surface, et de l’Allemagne pour la fourniture de moteurs diesel produits par la société MTU pour les petits navires.

Au moment de introduction des sanctions en 2014 et l’arrêt des livraisons ukrainiennes, les Russes ne possédaient des ensembles de turbines à gaz (GTU) pour équiper uniquement deux nouvelles frégates, le projet 22350 (type «Admiral Gorshkov») et trois frégates, le projet 11356 (type «Admiral Grigorovich»). Il n’y avait pas de turbines pour les autres navires et leur construction a donc été suspendue. Et si, après 5 ans la Russie parvenait encore à produire des GTU pour les navires du projet 22350, les coques de 3 unités du projet 11356 devaient être vendues à l’Inde (les turbines pour ces unités ont été vendues séparément à l’Inde). Les moteurs diesel allemands des corvettes ont été remplacés par des équivalents chinois moins fiables, ce qui a déjà provoqué plusieurs accidents sur les navires. Le manque d’usines allemandes a également ralenti la construction de corvettes.

Frégate de type « Amiral Gorshkov »

Par ailleurs, la Fédération de Russie est très en retard dans la production d’autres composants et éléments importants. Tout d’abord, il s’agit de la production de radars de navires, où la Russie reste à la traine même derrière la Chine, à laquelle Moscou vendait jusqu’à récemment ses propres innovations dans ce domaine avec des exportations de navires. Il s’agit tout d’abord de radars de navires chinois Type 346B AESA et Type 382 PESA, qui sont supérieurs à leurs homologues russes, notamment le MR-750 («Top Plate» «Fregat-MA»), destiné aux frégates et aux destroyers.

Après 1991, seuls des navires polyvalents de petite et moyenne dimension, à savoir des frégates, des corvettes et des bateaux de différents types, sont construits dans les usines russes. Mais de manière irrégulière et avec des retards. Comme le reconnaît Ruslan Pukhov, directeur du Centre russe d’analyse des stratégies et des technologies, «la construction des principales classes de navires de surface est en crise permanente».

La conséquence en est la faible efficacité de l’industrie russe, qui augmente le temps et le coût des nouveaux navires. Cette situation est aggravée par des structures d’entreprise hypertrophiées, en particulier dans la société russe United Shipbuilding Corporation (USC). Par exemple, en 2020, la marine russe ne recevra que 33 % du nombre de frégates prévu pour la période 2011-2020 et seulement 20 % des corvettes.

Les plus grands navires de surface de la marine russe sont les frégates de projet 22350 (type «Admiral Gorshkov»), construites par JFC «Severnaya Verf» à Saint-Pétersbourg. Ces navires sont destinés à toute une série de tâches. Même celles habituellement confiées à des navires de classe des destroyers plus puissants. Ils sont aujourd’hui le dernier espoir du Kremlin avec sa prétention morbide au statut de grande puissance maritime.

Par exemple, Moscou utilise l’exemple de projet 22350 pour démontrer sa capacité à rattraper son retard et à remplacer les importations non disponibles en raison des sanctions. La frégate projet 22350 est équipé d’un nouveau radar «Poliment» avec une antenne réseau à commande de phase, d’un système de défense aérienne moderne Redoubt et de missiles de croisière anti-navires P-800 «Oniks» (et, à terme, de missiles de croisière hypersoniques «Zircon»).

La Russie est considérée comme l’un des leaders dans l’introduction de missiles de croisière hypersoniques en service sur les navires. En 2020, plusieurs lancements avec succès de missiles «Zircon» ont été effectués depuis la frégate Admiral Gorshkov. Ce dernier devait être adopté en 2022. La Fédération de Russie a également commencé à produire de manière indépendante des moteurs à turbine à gaz et des boîtes de vitesses pour navires M90-FR.

Chantier naval de l’Amour

Le principal problème qui limite l’utilisation à long terme des frégates à pleine capacité de systèmes comme les radars de défense aérienne à longue portée embarqués est la puissance insuffisante de l’équipement générateur embarqué. Cette particularité implique l’impossibilité de fournir des moyens de défense aérienne régulier au groupe de navires pendant une longue période. En plus, la marine russe ne dispose pas de bases navales à l’étranger, ce qui réduit considérablement ses capacités.

Initialement, la marine russe prévoyait de construire jusqu’à 15-18 frégates dans le cadre du projet 22350/ 22350M, pour former la base des groupes de navires dans la zone Arctique, l’Atlantique et la Méditerranée. Toutefois, le manque de financement a obligé à réduire ce nombre à 8 unités à construire d’ici 2025. La construction de la série se déroule très lentement. À ce jour, après une série de retards, la marine russe n’a reçu que deux frégates.

La première frégate du projet 22350M modifié, dotée d’un armement de missiles amélioré, devrait être lancée en 2023. Cependant, en raison de la guerre en Ukraine, en novembre 2022, à la demande de Poutine, l’ordre de défense de l’État (SDO) et le programme de développement des forces armées russes pour 2018-2027 ont été révisés en faveur l’orientation des fonds vers les besoins de l’armée actuelle. Il n’est donc pas certain que les frégates du projet 22350M soient construites un jour.

Projet Sarsar

Un autre moyen de renforcer la flotte maritime militaire de Russie est la construction en série de corvettes du projet 20380/20385 depuis 2001 (7 sont en service, 5 en construction) et du projet 20386 (1 est en construction), qui sont construits par JFC «Severnaya Verf» (St. Petersburg) et JFC «Amur Shipyard» (Komsomolsk-sur-Amur). Depuis 2011, le chantier naval JFC Sredne-Nevskiy, à Saint-Pétersbourg construit en série des dragueurs de mines du projet 12700 (du type Alexandrit). Cinq navires ont déjà été livrés au client, cinq sont en construction et deux autres viennent d’être commandés.

La construction en série de petits navires lance-missiles (SNLE), de porte-avions «Kalibr-NK» du projet 21631 («Buyan-M», 10 en service et 2 à différents stades de construction), de corvettes du projet 22160 (3 en service) est en cours. Ces navires sont construits par le chantier naval JSC «Usine Zelenodolsk nommée d’après AM Gorky» (Zeleny Dol, Tatarstan). Il a également été développé le projet de sous-marin à missiles guidés 21635 («Sarsar») avec 16 lanceurs du missile de croisière «Kalibr».

Enfin, la construction en série des corvettes à missiles Kalibr (type «Karakurt») du projet 22800 est en cours, 3 navires sont en services et 12 sont en construction. Ils sont équipés chacun de 8 lanceurs de missiles de croisière. La construction de la série est réalisée par l’usine Zelenodolsk Shipyard, l’usine Leningrad Shipyard «Pella» (Otradne) et l’usine Amur Shipyard. Les deux premières utilisent illégalement les capacités d’entreprises ukrainiennes retirées de la Crimée temporairement occupée. L’importance de ce dernier point doit être examinée séparément.

Les usines volées de Crimée

Moscou tente de compenser le retard technique et le manque d’équipements technologiques modernes dans les entreprises de production russes en utilisant illégalement les installations de production plus modernes des entreprises de construction navale ukrainiennes que l’agresseur s’est appropriées dans la Crimée temporairement annexée. Tout d’abord, il s’agit des chantiers navals «Zaliv» (Kerch) et «More» (Feodosia).

En Août 2014, la société JSC « Chantier Naval de Zelenodolsk» (qui fait partie de la société «AK Bars Holding», Russie), avec l’aide des autorités d’occupation pro-russe, a saisi le chantier naval «Zaliv» (Kerch), qui appartenait à des actionnaires ukrainiens, et a enregistré la SARL « Chantier naval « Zaliv », à laquelle tous les actifs de l’entreprise ukrainienne ont été transférés. De la même manière, l’usine Leningrad Shipyard «Pella» (Otradne) s’est illégalement approprié l’entreprise ukrainienne FVO « More ». (Feodosia).


Usine de construction navale « Zaliv » à Kertch

Depuis lors, les usines ukrainiennes occupées ont été utilisées pour la construction de navires et de bateaux pour marine russe et d’aéroglisseurs pour les garde-côtes du FSB russe à partir du paquet de contrats de «l’usine Zelenodolsk Shipyard» et «Pella» aux frais du ministère russe de la défense.

La présence à l’usine de « Zaliv » d’une cale sèche de construction – l’une des plus grandes d’Europe – de 364 m de long et 60 m de large, qui n’a pas d’analogue en Russie, revêt une valeur toute particulière pour les occupants. Auparavant, des navires de gros tonnage, des pétroliers, etc. y étaient construits. Le 20 juillet 2020, en présence de Poutine, 2 navires d’assaut amphibies universels (SAU) du projet 23900 (nom de code « Priboy ») – « Ivan Rogov » et « Mitrofan Moskalenko » – y ont été solennellement déposés. Le premier d’entre eux est construit pour la flotte du Nord (achèvement prévu en 2025), le second – pour la flotte du Pacifique (en 2027). Il s’agit ici de l’un des projets les plus ambitieux du Kremlin dans la période post-soviétique.

Le vaisseau de largage polyvalent (UDC) est conçu pour transporter jusqu’à 1000 parachutistes et 75 véhicules blindés. Il présente les caractéristiques suivantes: déplacement d’eau jusqu’à 30.000 tonnes, longueur 220 m, largeur 42 m, profondeur 7 m, vitesse jusqu’à 24 nœuds, pouvant embarquer jusqu’à 15 hélicoptères, des drones de reconnaissance et de frappe et jusqu’à 3 bateaux de débarquement.


Corvette lance-missiles « Karakurt »

Selon les estimations d’experts, la décision d’envoyer le principal vaisseau de combat polyvalent UDK à la flotte du Nord pourrait indiquer des plans agressifs de débarquement de parachutistes dans la région arctique, par exemple sur les îles démilitarisées de l’archipel de Svalbard en Norvège. Leur possession assurerait le contrôle de la Russie sur l’Arctique et ses réserves d’hydrocarbures qui sont depuis longtemps revendiquées par Moscou.

Dans la même entreprise, les occupants, dans le cadre de leur SDO, construisent également de nouvelles corvettes à missiles du projet 22800 (type «Karakurt») dont deux («Askold» et «Cyclone») pourraient rejoindre la flotte de la mer Noire d’ici à la fin de 2022. Les occupants ont transférées les coques de 3 autres corvettes du type «Karakurt», construites à l’usine « More » de Feodosia, par voie fluviale vers la Fédération de Russie pour être achevées à l’usine «Pella».

D’autre part, selon les estimations des experts, si la dynamique positive sur la ligne de front se poursuit et que le scénario de la libération de la Crimée occupées est mis en œuvre, le pays occupant n’aura aucune chance d’achever la construction des deux porte-hélicoptères.

L’alternative de la modernisation

Moscou tente de moderniser les plates-formes héritées de l’époque soviétique, pour compenser l’absence de construction de nouveaux navires de grandes classes. Il s’agit de deux croiseurs lance-missiles d’attaque du projet 1164, de deux navires du projet 1144 et six grands navires anti-sous-marins du projet 1155. Par exemple, le croiseur lance-missiles «Marshal Ustinov» du projet 1164 a été soumis à une mise à niveau partielle de son équipement radio-électronique et a reçu la station radar «Podberezovik» et la station radar «Fregat » M2EM relativement récent. Il était également planifié que le croiseur lance-missiles «Moskva» soit modernisé, mais faute de financement, les projets ont été remis à plus tard. Mais comme nous le savons, ce «plus tard» n’arrivera pas sur ce navire.

Croiseur lance-missiles « Maréchal Ustinov »

Le croiseur lance-missiles à propulsion nucléaire «Admiral Nakhimov» du projet 1144 (autrefois «Kalinin») a reçu un nouvel armement de missiles sous la forme de missiles P-800 à longue portée, tandis que le grand navire anti-sous-marin «Marshal Shaposhnikov» du projet 1155 de la flotte du Pacifique a été reclassé en tant que destroyer après que son armement ait été remplacé par l’armement anti-navire («Zircon»). Au total, il est prévu de moderniser de cette manière six navires.

Cependant, cette modernisation n’est qu’un report partiel d’une solution et ne remplace pas la construction de nouveaux navires. En outre, les problèmes financiers, technologiques et humains compliquent considérablement la réparation et la modernisation et allonge le délai de préparation des navires.

Quelques conclusions

La propagande russe tente d’entretenir un sentiment de patriotisme dans la société en organisant les «fuites» d’information sur la construction de grands navires, y compris les navires à propulsion nucléaire. Ces dernières années, les médias russes ont régulièrement rapporté qu’il existe des plans fantastiques pour la construction de nouveaux porte-avions à propulsion nucléaire tels que le «Storm» et de destroyers à propulsion nucléaire tels que le «Leader». En effet, des modèles et supports promotionnels sont exposés lors d’expositions et de forums spécialisés. En réalité, selon des nombreux experts, aucun de ces navires ne sera construit, car les conditions économiques nécessaires sont absentes en Russie.

Compte tenu du retard technique et technologique, ainsi que du financement résiduel, le développement de la marine russe sera limité à court terme. Et la stagnation de l’économie russe due à l’insuffisance structurelle et aux sanctions internationales ne permet pas d’évaluer avec optimisme les perspectives de développement de la marine russe à moyen terme. Et malgré l’augmentation constante du nombre de porte-missiles Kalibr, le nombre de missiles diminue. Selon le ministère ukrainien de la Défense, à la mi-octobre, l’agresseur a déjà utilisé 228 (sur les 500 disponibles) missiles Kalibr basés en mer. Selon le DIU, la Russie a de sérieux problèmes avec leur production, puisque 70% des composants sont importés.

Néanmoins, la flotte de surface de la marine russe peut toujours représenter un danger en bloquant les côtes ukrainiennes et en tirant des missiles de croisière sur les villes ukrainiennes depuis des frégates, des corvettes, des MRC et des sous-marins. Cependant, bien que cette flotte puisse potentiellement menacer de frappes de missiles des cibles même en Europe, historiquement elle est déjà condamnée. Selon les experts de RUSI, c’est le dernier chapitre de l’histoire de la marine océanique créée par l’amiral Gorshkov et la fin de toute prétention de la Russie au statut de puissance océanique.