Téhéran subit de lourdes pertes de réputation, mais ne fait qu’augmenter son aide à Moscou
Ces dernières semaines, les Ukrainiens ont bien ressenti des effets de la coopération entre la Russie et l’Iran. Il s’est mis à pleuvoir des drones Shahed-136 sur les villes ukrainiennes, des drones fabriqués par l’Iran et remis par Téhéran à Moscou. De plus, il y a eu dans la presse occidentale des informations parlant des projets de l’Iran à fournir des missiles balistiques à la Fédération de Russie. En fait, la République islamique est devenue le premier État qui n’ait aucune dépendance de la Fédération de Russie et qui lui fournit l’armement.
On peut discuter longtemps à propos des régimes iranien et russe qui sont « proches d’esprit », des dictatures qui s’attirent l’une vers l’autre et ainsi de suite. Mais cela ne suffira pas pour expliquer suffisamment bien pourquoi l’Iran a osé entrer ouvertement dans la guerre russe contre l’Ukraine, sans tenir compte des risques et des préjudices qui en découlent. Examinons ce que les experts rapportent à ce sujet.
La raison la plus simple c’est que l’Iran se précipite pour venir en aide à Poutine pour faire une banale démonstration de force et de publicité de son secteur militaire et industriel. En vendant des armes à la Russie qui ensuite les teste dans les conditions d’une guerre sur le terrain, Téhéran renforce sa position sur le marché de l’armement (et il faut tenir compte du fait que l’Ukraine est un adversaire qui se rapproche à l’OTAN en tous points).
C’est d’ailleurs l’agence de presse Tasnim qui est associée au Corps des gardiens de la révolution islamique qui en parle. « Le 18 octobre, lors de son discours devant l’académie militaire à Téhéran, le général de brigade Yahya Rahim Safavi, le plus haut conseiller militaire du chef de la révolution islamique, l’ayatollah Seyyed Ali Khamenei, a déclaré que les forces armées iraniennes ont si habilement appliqué la science et la technologie qu’elles ont renforcé leur pouvoir dans diverses sphères », écrit la publication, citant le général : « Aujourd’hui, nous avons atteint le niveau où 22 pays du monde demandent d’acheter des drones à l’Iran. » Le papier laisse vaguement entendre que c’est justement la vente de ces appareils iraniens à la Russie qui a servi de publicité à l’Iran.
Il existe également une hypothèse selon laquelle le soutien de la Russie cible principalement l’audience iranienne à l’intérieur du pays. Des manifestations antigouvernementales se déroulent depuis environ un mois dans la République islamique, auxquelles Téhéran n’a pas encore réussi à faire face. Dans ce contexte, l’observateur du The New York Times Neil MacFarquhar dit : « Pour l’Iran, le fait que la Russie utilise ses drones est un signal adressé à l’audience nationale, y compris ceux qui depuis des semaines sont dans la rue pour protester contre les restrictions aux droits des femmes et à la liberté individuelle. Le gouvernement cherche à montrer aux Iraniens qu’il n’est pas faible et qu’il n’est pas intimidé face à la pression et aux menaces de l’extérieure. »
Le principal argument avancé par des experts pour contester le fait que l’Iran va approfondir encore plus ses rapports avec la Russie était une certaine percée dans les négociations sur l’Accord nucléaire. Si le Plan d’action global commun est signé, alors une part de sanctions contre l’Iran sera levée, et le pays aura l’accès aux marchés pétroliers européens. Toutefois, la politologue Faizeh Foroutan écrit dans un article du European Council On Foreign Relations que « les négociations avec l’Iran sont effectivement suspendues jusqu’après les élections de mi-mandat aux États-Unis, mais même après celles-ci, il sera impossible pour Joe Biden d’obtenir un soutien pour le renouvellement de l’accord si les missiles fournis par l’Iran sont tirés sur des villes ukrainiennes ». Foroutan remet également en question la pertinence de la vision de l’Occident sur une véritable attitude des dirigeants iraniens sur la signature de cet accord : « L’Occident œuvrait en se basant sur l’hypothèse que l’Iran veut continuer les négociations et lever les sanctions de l’Occident qui causent des préjudices, pourtant nombreux sont ceux parmi les personnes dans l’entourage des leaders actuels de l’Iran qui veulent renoncer à toute amélioration dans des rapports avec l’Occident et qui aspirent au lieu de cela à former un accord de long terme, une sorte d’alliance stratégique avec la Russie et la Chine ».
Les experts du Proche-Orient ont aussi leur propre point de vue. Pour le chroniqueur d’al-Sharq al-Awsat Tariq al-Homayed, cette attitude de l’Iran s’inscrit bien dans la logique toute faite et prévisible. Il écrit que ce sont « les mêmes drones qui ont été utilisés par des groupes terroristes fidèles à l’Iran, qu’il s’agisse de Houthis, du Hezbollah, des Forces de mobilisation populaire ou d’Asaeb Ahel Al-Haq. Ils ont frappé les territoires de l’Arabie saoudite, des Émirats, de l’Irak et de quelques autres pays. » En s’adressant aux pays occidentaux, al-Homayed pose une question cinglante : « Aujourd’hui, vous vous préoccupez des drones iraniens remis à la Russie, et cela après que nous avons passé de longues années à vous convaincre qu’ils représentaient un danger pour nous… L’Europe est-elle plus importante que le reste du monde? » En conclusion, al-Homayed appelle à oublier « l’erreur d’Obama » – pour désigner l’accord sur le nucléaire – et à imposer de strictes sanctions à l’Iran, afin qu’il soit impossible pour l’Iran de continuer à terroriser l’Europe et l’Asie.
Il existe également une hypothèse assez répandue, selon laquelle l’Iran transfère des armes à la Fédération de Russie en échange des technologies nucléaires. Cependant, les publications faisant autorité et les experts sérieux ne la prennent presque pas en compte. Il y a deux raisons à cela. Premièrement, rien ne prouve qu’un échange de technologies ou un transfert de certains composants vers l’Iran ait effectivement lieu. Deuxièmement, il existe une opinion assez répandue selon laquelle l’Iran dans son ensemble est déjà prêt pour lancer des essais nucléaires, la seule chose qui manque, c’est un ordre des chefs de l’état, qui traînent par crainte de conséquences politiques. Cette hypothèse est corroborée par le fait qu’en avril dernier, la Maison Blanche avait annoncé que des armes nucléaires de l’Iran se tenaient absolument prêts à être activées. Dans ce contexte, l’aide russe au programme nucléaire devient inutile.