Notre correspondant a visité Toretsk, la ville qui se trouve sur la ligne de front depuis 2014.
Il ne reste plus un seul gratte-ciel dans cette ville dont les fenêtres sont intactes. Les bâtiments privés sont également très endommagés, mais il est beaucoup plus facile de survivre dans de petites maisons en temps difficiles. On peut barricader les fenêtres, faire chauffer le poêle et puiser l’eau au puits. Malgré les bombardements quotidiens, les habitants ne sont pas pressés de quitter leur ville. Environ six mille personnes vivent encore à Toretsk, sur la ligne de front, et dans les agglomérations environnantes.
Bien sûr, il est difficile d’appeler cela une vie normale. Les seuls éléments de civilisation qui subsistent sont les communications et l’électricité. Et même ceux-ci disparaissent de temps à autre avec l’arrivée des réfugiés. La plupart des magasins sont fermés, les transports publics ne fonctionnent pas et on ne vend plus d’alcool. Si vous en avez vraiment besoin, le prêtre local d’un patriarcat bien connu est réputé pouvoir vous procurer un bon « Cahors », version locale, mais il s’agit d’une information confidentielle.
Cela fait longtemps que l’on n’entend plus les rires des enfants dans les rues de Toretsk. Depuis le début de la guerre, la plupart des parents ont éloigné leurs enfants de cette zone d’horreur. Ceux qui n’ont pas jugé nécessaire de le faire ont été contraints d’obéir aux recommandations insistantes des autorités. Cette ville ne peut pas non plus être qualifiée de fantôme. Les institutions administratives, les services publics, la police, les médecins et les pompiers travaillent. Enfin, les soldats ukrainiens creusent le sol autour de la ville depuis 2014 et tiennent tête à l’ennemi sur le front. Depuis cette date, Toretsk est vraiment devenue une autre forteresse sur laquelle l’ennemi se casse les dents, ce qui le rend très nerveux.
Les bombardements quotidiens en sont la confirmation éclatante. Toutefois, si auparavant les principales cibles étaient encore certaines installations militaires, aujourd’hui l’ennemi s’en prend aux civils. Les attaques répétées de bombes aériennes ciblées sur des bâtiments résidentiels ou des hôpitaux ne ressemblent guère à des tirs aléatoires. Pendant les fêtes de fin d’année, la ville a subi des dégâts particulièrement importants. L’ennemi a cyniquement détruit tout un quartier fortement peuplé.
L’Ukraine organise régulièrement des transferts d’évacuation depuis Toretsk vers la ville de Dnipro, en train, et vers la région de Jytomyr. L’évacuation est financée par des organisations caritatives et est donc gratuite pour les personnes concernées. Les personnes qui décident de quitter Toretsk vivront gratuitement dans la région de Jytomyr et recevront une allocation mensuelle pour personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Mais malgré le danger permanent, les habitants ont du mal à quitter leur ville natale, leur maisons, leurs habitudes.
Avant la guerre, l’économie de la ville reposait sur l’exploitation du charbon. Des usines de coke, de fabriques de machines-outils et d’autres usines étaient implantées ici. Selon le recensement de 2001, plus de 43 000 personnes vivaient dans la ville en temps de paix. La guerre est arrivée ici le 7 novembre 2014. Toretsk fait partie des territoires ukrainiens distincts où les cosaques ukrainiens et leurs descendants vivent depuis le 17e siècle.
« Nous ne sommes pas du genre à avoir peur », disent les habitants. « Et nous sommes chez nous. Oui, les occupants sont des sauvages, mais ce n’est pas une raison pour leur laisser notre terre ».