Appels sans réponse. Comment Anastasia a survécu à l’occupation à Izyum et cherche son petit ami – un soldat capturé

Guerre
27 octobre 2022, 15:18

L’histoire d’Anastasia Buhera raconte comment les proches de nos soldats capturés tentent de connaître leur sort et ne trouvent pas de réponses. Six mois se sont écoulés depuis que son petit ami Konstantin l’a contactée pour la dernière fois. C’est un combattant du régiment « Azov ». Depuis le 24 février, il a défendu Marioupol et, avec d’autres défenseurs, a été contraint de se rendre après le bombardement brutal d’Azovstal. Anastasia elle-même a passé cinq mois sous l’occupation russe à Izyum. Aujourd’hui, elle tente de faire connaître l’histoire de Konstantin afin d’obtenir au moins quelques informations sur son bien-aimé.

« Y aura-t-il un lendemain pour moi ? »

Anastasia a rencontré l’invasion russe dans la maison de ses parents à Izyum. Le jour de son anniversaire, le 28 février, la jeune fille a reçu un « cadeau » – la Russie a bombardé la ville pour la première fois, et depuis lors, les bombardements n’ont pas cessé. La jeune fille se souvient qu’à un certain moment, les troupes russes ont largué 10 bombes aériennes sur la ville en moins d’une heure, y compris sur des objets civils.

Le 3 mars, l’une des tours électriques a été bombardée, et depuis, les habitants de la ville sont privés de chauffage, d’eau, d’électricité, de communications mobiles et d’Internet. Le vide d’information était pressant. Les gens devaient aller chercher de l’eau au puits. Il n’y avait presque plus de nourriture, ni à Izyum ni dans les villes voisines. De plus, peu de temps après, les Russes ont volé la voiture des parents d’Anastasia.

La jeune fille se souvient qu’au début, les autorités locales ont évacué la ville et apporté une aide humanitaire. Mais à l’approche des Russes, Izyum s’est retrouvé seule face à l’ennemi, les bombardements intensifs empêchaient des gens de quitter les sous-sols.

– Chaque jour, je vivais dans une peur terrible. Avant de m’endormir, je n’arrêtais pas de me demander : « Vais-je me réveiller demain ? Aurai-je un lendemain ? » La réponse n’est venue que le matin, quand je me suis réveillée et je me suis dit : « Oui, je suis vivante. »

La maison d’Anastasia et de ses grands-parents a été gravement endommagée par les bombardements – l’un des obus est tombé devant la maison, un éclat de verre de la fenêtre a blessé la jambe de la fille.

Après l’occupation complète d’Izyum, Anastasia a vécu les horreurs dont témoignent aujourd’hui des milliers d’Ukrainiens libérés de l’occupation. C’étaient des raids dans les maisons, des inspections constantes, le blocage de l’aide humanitaire et le bombardement des convois d’évacuation. La jeune fille se souvient souvent de l’une de ces inspections, lorsque ses parents l’ont cachée des occupants dans le canapé – Anastasia a étudié au département militaire de l’Université nationale de l’aérospatiale Joukovski et a le grade d’officier de réserve.

Récemment, Anastasia a quitté l’enfer de cinq mois d’occupation avec l’aide de la Croix-Rouge ukrainienne et vit maintenant en Pologne avec la mère de son petit ami Konstantin.

– J’avais une vie merveilleuse avant la guerre. Maintenant, je ne sais pas ce que je dois faire.

« Certaines personnes n’ont même pas cette chance »

Konstantin a servi à Marioupol – il y a été transféré peu avant l’invasion à grande échelle. Le 24 février, Konstantin a appelé sa petite amie pour la rassurer. L’appel suivant a eu lieu deux mois plus tard. Depuis le 24 avril, ni Anastasia ni les parents de Konstantin ne lui ont reparlé.

Quelque temps après le début de l’occupation, Anastasia a réussi à se connecter à l’ Internet. Konstantin a envoyé une vidéo mais le téléchargement a pris 3 jours. Il y disait que Marioupol a été complètement encerclé et qu’il était maintenant à Azovstal. Que les garçons ont faim, ont soif et qu’ils s’évanouissement de faim, mais il n’y a aucun moyen de les aider.

Un peu plus tard, il s’est avèré que Konstantin est en captivité. Anastasia a compris que la captivité, ce sont des tortures et des humiliations. À Izyum, des hommes ont également été emmenés, battus et torturés à l’électricité. Certains d’entre eux sont revenus à peine vivants et d’autres ne se sont pas revenu du tout.

Konstantin a été retrouvé sur l’une des vidéos postées par les Russes avec des soldats ukrainiens en captivité. Il est battu, amaigri et blessé. Pendant toute la durée de sa captivité, ni lui ni aucun de ses camarades n’ont été autorisés à contacter leurs proches.

— Tout le temps je l’appelle, je lui écris des messages, sans réponse. J’ai un téléphone portable, j’ai la communication et Internet, mais je ne peux pas communiquer avec mon proche au XXIe siècle… Je sais que des centaines de familles de défenseurs ukrainiens font la même chose que moi. Ils savent que leurs proches ne peuvent pas répondre au téléphone, mais ils continuent à appeler et à écrire.

Pour des raisons de sécurité, la jeune fille ne nomme pas l’unité spécifique dans laquelle Konstantin a servi. Cependant, on ne sait rien non plus de ses compagnons d’armes. Les proches des des soldats d’Azov capturés communiquent en groupes, partagent des vidéos trouvées sur des sites de propagande russes, afin de se soutenir et de s’aider au moins d’une manière ou d’une autre dans leurs recherches.

Pour l’instant, on ne sait rien, si ce n’est que Kostiantyn est sur la liste d’échange. Anastasia dit qu’il n’y a pas de résultat positif dans la communication avec les autorités. Le sort de certains prisonniers est incertain, car la Russie n’a pas encore confirmé la présence de nombre d’entre eux sur les listes d’échange ou parmi les blessés.

– Nous n’avons aucune information non plus, mais il y a au moins la confirmation qu’il est quelque part là-bas. Certains n’ont même pas cette chance.

« Attendez l’échange »

La situation dans laquelle Anastasia s’est retrouvée est vécue par des centaines de familles ukrainiennes dont des proches ont été capturés ou ont disparu pendant leur service. Pour la plupart, tout se résume à deux alternatives – chercher soi-même ou attendre le prochain échange. La libération de la captivité est déterminée politiquement, c’est pourquoi le nombre de personnes sauvées ou la formation de listes dépendent de l’avancement des négociations.

Il est difficile d’influencer les processus politiques par soi-même, c’est pourquoi différentes organisations publiques formulent des instructions où les proches peuvent s’adresser afin d’établir le lieu de détention d’un soldat en captivité. Une demande peut être envoyée au Centre commun de recherche et de libération des prisonniers de guerrre relevant du Service de sécurité de l’Ukraine, au Bureau national d’information, au Quartier Général de coordination du traitement des prisonniers de guerre et à la police. Il est aussi conseillé de contacter le Comité international de la Croix-Rouge, la CEDH ou le Comité des droits de l’homme des Nations Unies.

Anastasia Buhera raconte que les proches de son fiancé ont fait appel à la Croix-Rouge, pour obtenir des informations sur le lieu de détention et l’état de santé de Konstantin, mais n’ont reçu aucune réponse.

— Nous avons seulement réussi à savoir par l’intermédiaire de nos contacts, qu’il figure sur les listes d’échange, mais nous ne savons à quel endroit il est dans la file d’attente, car cette information est restreinte.

Les institutions publiques auxquelles Anastasia s’est adressée n’ont pas donné non plus de réponses précises. La jeune femme a essayé de contacter le bureau de la ministre de la Réintégration Iryna Vereshchuk et le bureau du commissaire aux droits de l’homme. Toujours en vain.

« Attendez l’échange » et c’est tout, répète Anastasia avec lassitude

Anastasia a essayé de chercher son petit ami toute seule. Il a été vu dans le film de propagande russe « Les punisseurs nazis ». Konstantin et de nombreux autres combattants ukrainiens ont été utilisés comme figurants. Chaque minute du film est ponctuée de déclarations psychédéliques sur le nazisme, le paganisme et Hitler; au cours d’entretiens avec les prisonniers ukrainiens, ils sont soumis à un « examen psychologique » – un portrait émotionnel d’un nazi typique. “C’est tout ce que j’ai pu trouver sur le Net”, témoigne-elle.

La jeune fille essaie de faire connaître sa situation à travers les médias nationaux et étrangers. Cependant, jusqu’à présent, la situation reste très décevante et aucune réponse n’a été reçue de la part des agences gouvernementales ou des organisations publiques ou bénévoles.