Roman Malko Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

Yuris Yuras : « Le plus important pendant la guerre, c’est d’accomplir sa mission et de rester en vie »

Politique
18 mars 2023, 16:40

Ex-député du parlement letton, la Saeima, il explique dans un interview avec The Ukrainian Week pourquoi il s’est engagé dans la Légion internationale ukrainienne

Photo: Par Roman Malko

Pourquoi êtes-vous aujourd’hui en Ukraine? Pourquoi un élu du parlement letton s’est engagé dans la guerre russo-ukrainienne ?

Parce que, à mon avis, nous sommes témoins de la pire des injustices. C’est ce qui est en train de se produire ici. Un État pacifique et démocratique a été attaqué, ses civiles sont en train d’être massacrés. C’est très, très dur d’observer cela et de rester en-dehors. Lorsque j’étais en Lettonie, j’ai essayé de faire quelque chose pour aider l’Ukraine et les Ukrainiens, mais j’avais toujours ce sentiment que ce n’était pas suffisant. C’était très difficile de vivre avec cette idée en tête que moi, j’étais loin, en Lettonie, mais que là, se passaient ces choses.

Au même moment, le président Zelensky a signé un décret entérinant la mise en place de la Légion étrangère. Et les étrangers qui veulent et peuvent aider l’Ukraine dans ces temps difficiles ont eu la possibilité de se battre aux côtés des Ukrainiens, pour défendre l’indépendance de l’Ukraine. Le dimanche, ce décret a été signé à Kyiv, et le lundi à neuf heures, nous, au Saeima, nous avons déjà adopté une loi permettant à nos citoyens d’aller se battre pour l’Ukraine. Moi-même, tant que j’étais encore député (du Nouveau parti conservateur — ndlr), j’ai soutenu ce projet de loi pour qu’il soit adopté le plus tôt possible.

Dans notre bataillon il y a des ressortissants de nombreux pays qui exercent des métiers divers. Peu importe qui tu étais dans ta vie civile : un député, un chauffeur, un enseignant, un avocat… Différentes personnes se croisent ici, mais nous avons quelque chose de très similaire, nous tous. Tout le monde souhaite apporter son aide, pour tous il est difficile de demeurer juste un observateur. D’autant plus que nous tous réalisons que la guerre contre l’empire du mal n’est pas seulement la guerre de l’Ukraine, c’est notre guerre commune. Dés que tu réalises à quel point il est important pour nous tous que nous gagnions cette guerre ici, en Ukraine, parce que l’agresseur, il…

Il ne s’arrêtera pas ?

– Oui, il ne s’arrêtera pas ! Il ne peut que gagner en appétit. Dieu merci, le monde civilisé a bien compris qu’il n’est pas possible de se contenter de l’observer et de ne montrer sa solidarité qu’en paroles. Je vois comment les choses ont changé dans ces pays qui ont d’abord essayé de danser le tango, un pas dans un sens, puis dans l’autre. Toute crise et toute guerre est aussi une période d’opportunités. Cette guerre a réveillé le monde civilisé, ils ont senti dans leurs tripes, à quel point ils étaient démunis. Et cela nous a permis de nous rendre compte de tous nos points faibles, et de nous consolider. 

Par conséquent, je trouve très positifs les changements qui sont en cours. On sent l’Ukraine se renforcer et s’améliorer. Les Ukrainiens deviennent plus invulnérables, plus forts, plus tenaces. Quand on me demande ce qui m’impressionne le plus, je dis que ce sont les gens. Et il s’agit pas seulement des combattants sur la ligne de front. Les civils qui apportent l’aide par tous les moyens, font des dons, collectent toutes sortes d’aide humanitaire, les bénévoles, eux tous, ils constituent un système tellement énorme qui ne peut fonctionner avec succès que lorsque chacun est à sa place et fait son travail avec soin.

Probablement, il y en a qui pensent qu’un défenseur à part entière de l’Ukraine, ce n’est qu’une personne qui tient une mitrailleuse entre ses mains. Je veux dire que ce n’est pas le cas. Chacun fait ce qu’il sait faire au mieux, là où l’on a le plus besoin de lui en ce moment, et là où il peut être le plus utile. La vie ne se déroule pas seulement dans les tranchées, et la guerre ne se limite pas à elles. Lorsque je vois ce qui se passe en Ukraine, et quand je vois comment on vit en Lettonie, je comprends qu’il faut aussi réviser beaucoup de choses. 

Il est important de comprendre à qui on a affaire, sur qui on peut compter. Et, en effet, je suis reconnaissant d’avoir l’opportunité d’être ici avec des gars comme ça, avec qui je remplis toutes les tâches nécessaires pour combattre l’ennemi au quotidien. Ces gens sont les plus grands patriotes, dont le cœur s’enflamme pour ce qu’ils font eux-mêmes et ce qu’ils enseignent aux nouveaux combattants qui sont jeunes et sans expérience. La résilience et la vaillance que je vois tous les jours ne peuvent qu’inspirer. Je vois la flamme dans les yeux des gars, ils essaient d’accomplir la tâche qui leur est confiée au mieux. Les gens ici comprennent que le plus important pendant la guerre, c’est d’accomplir sa mission et de rester en vie. 

Je me réjouis que depuis 2014 il y ait des choses qui ont beaucoup changé, l’approche même a changé. Et aujourd’hui, je n’ai aucun doute qu’ensemble nous vaincrons l’ennemi et le repousserons hors des frontières de l’Ukraine.

– Pourquoi, à votre avis, cette guerre a-t-elle commencé ? Après la Seconde Guerre mondiale, l’Occident a tenté de créer un certain système de sécurité pour que cela ne se reproduise plus. Il s’avère que quelque chose n’a pas marché, à un moment des menaces ont été sous-estimées, à un autre, des choses ont été ignorées. Que faire pour que cela n’arrive pas une nouvelle fois ?

Ici, probablement, il y a eu de nombreux facteurs. Pour certains d’entre eux, l’Europe aurait pu avoir une influence, et d’autres… ils sont comme ils sont, tout simplement. Pour l’essentiel, les causes de la guerre sont dues à l’État agresseur lui-même. Nous voyons tous ces atteintes impérialistes et le véritable fascisme qui fleurit maintenant en Russie. Et je ne suis pas sûr qu’il soit possible – surtout de l’extérieur – de forcer 140 millions d’habitants de Russie à se transformer très rapidement. Si nous regardons l’histoire, alors pratiquement rien n’a changé en Russie. C’est un État qui s’est principalement enrichi non par le travail : grâce à l’industrie, l’agriculture et des percées scientifiques qui créent le bien-être. Pendant des siècles, cet ennemi s’est habitué à simplement s’accaparer des choses qui étaient chez d’autres. Et maintenant, en ce moment, il agit en Ukraine de manière très similaire. Ils se montrent tels qu’ils sont.

Ce que l’Europe et le monde peuvent faire, c’est d’empêcher la Russie de mettre ses projets à exécution. Ce que nous voyons se passer aujourd’hui est le résultat du système qui n’a pas fonctionné : la Russie n’a pas eu peur, n’a pas craint d’entreprendre cette invasion. Mais nous pouvons déjà le dire: la Russie a perdu cette guerre à cause de la résilience, du courage et de l’unité du peuple ukrainien. Et c’est pour cette raison que maintenant le système qui existait auparavant, et qui était censé contenir l’agresseur, doit être révisé. Il est nécessaire de comprendre quels changements doivent être apportés pour que cela ne se reproduise plus. Quiconque a l’intention d’attaquer quelqu’un, doit être désormais conscient des conséquences auxquelles il devrai faire face: les conséquences qui dissuadent d’avoir l’idée même de mener une agression.

Mais, comme je l’ai déjà dit, il est difficile de changer la façon de penser et la nature de la Russie. Oui, il y a un très petit pourcentage de la population qui réalise, comprend, essaie de changer. Mais nous voyons ce qui lui arrive : ceux-là sont opprimés, ils sont emprisonnés, ils sont tués. Parce que le régime du Kremlin est simplement un régime criminel, et quand on parle ailleurs de certains gangs, de groupes criminels, là il y a un groupe criminel au cœur de l’État. Tout ce qui se passe en Russie est clairement structuré comme dans une mafia classique.

Oui, la mafia règne à Moscou.

Les dirigeants de la Russie ont compris : pour qu’ils continuent à pouvoir voler leur peuple, ils cherchent sans cesse à renforcer leur position. Nous l’avons vu à maintes reprises : dès qu’il faut relever la cote de popularité de Poutine et du parti « Russie unie », une guerre est déclenchée immédiatement. Un groupe de criminels au pouvoir prend et élimine non seulement une autre nation, mais aussi la sienne. Et tout ça pour quoi ? Pour avoir toutes ces villas, ces yachts, cette influence. Et maintenant, le pouvoir leur est nécessaire non pas pour s’enrichir davantage, mais pour éviter de faire face à la responsabilité pour leurs actes. Ils se battent maintenant pour rester en vie. Et c’est pourquoi tout le reste n’a tout simplement pas d’importance pour cette petite poignée de personnes.

Faut-il détruire la Russie, pour arrêter l’expansion de l’empire ?

— Ce que j’ai vécu et vu en Ukraine, et ce que nous savons de l’histoire, montre que l’agresseur ne changera pas. S’il est repoussé, il peut battre en retraite, reprendre des forces et peut-être faire encore plus de dégâts en attaquant… on ne sait pas même qui. Par conséquent, tous ceux qui sont voisins de la Russie, y compris nous, les pays baltes, se sentent constamment menacés. Parce que la Russie est imprévisible. Pour elle, les autres États et nations n’existent tout simplement pas.

 Le monde a compris ce qu’est la menace russe. Le simple bénéfice économique ne peut pas valoir davantage que les valeurs humaines fondamentales. Pendant longtemps, nous avons vu comment certains États fermaient les yeux et faisaient passer au second plan les valeurs démocratiques, au nom d’un avantage économique. Maintenant, c’est l’heure pour chacun de choisir ce que nous serons par la suite. Si on va s’agenouiller, ramper, se laisser intimider pour obtenir du pétrole et du gaz au prix le moins cher ? Si on est prêt à défendre nos valeurs, nos principes, nos idées ? Oui, il se peut que certaines choses nous coûtent plus cher. Mais payons ce prix-là, et on pourra se regarder droit dans les yeux et de vivre en paix avec notre conscience, et c’est le plus important ! Que tout soit plus cher, mais qu’on ne renie pas nos valeurs, nos principes, tout simplement pour qu’une société civilisée puisse exister. C’est donc avant tout une question de valeurs.

Au début de cette guerre, certains ont essayé de rester entre deux chaises. Mais cela ne marche pas comme ça: : soit vous êtes du côté de l’agresseur et vous calculez encore la façon dont vous gagnerez de l’argent à l’avenir, soit vous êtes du côté du monde civilisé. Et nous sommes prêts à dire que les choses ne seront plus jamais ce qu’elles étaient. Et si Dieu le veut, la Russie n’aura plus jamais les mêmes frontières que celles qu’elle a aujourd’hui.

Auteur:
Roman Malko