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[post_content] => Les étrangers n'avaient presque aucune idée des réalités de la vie en URSS stalinienne et en Ukraine soviétique. Cela était lié non seulement à la fermeture du régime, mais aussi à la promotion réussie faite par des «idiots utiles» et des agents rémunérés de récits réécrits à Moscou. Les fugitifs de l'URSS ont tenté de détruire l'image idéalisée du Kremlin, mais pour diverses raisons, leur voix restait inaudible. En 1946, l'effet de bombe dans le domaine de l'information a été provoqué par le livre de l’auteur ayant opté pour le non-retour, Viktor Kravchenko : "J'ai choisi la liberté", où il a raconté le fonctionnement du système soviétique sur la base de sa propre expérience.
Celui qui a choisi la liberté. Grâce à sa critique publique de l'URSS, Viktor Kravchenko est devenu l'un des fugitifs les plus célèbres du "pays des Soviets", les ainsi nommés "sans-retour".[/caption] En janvier 1943, Kravchenko est envoyé aux États-Unis pour un travail permanent. Lors de diverses inspections, que Kravchenko lui-même a appelées les "sept cercles de l'enfer", il a travaillé comme fonctionnaire au trust Glavmetal pendant six mois. En juillet 1943, sa candidature a été approuvée et il fut transféré à l'Administration pansyndicale de l'importation des matières premières du Commissariat du peuple au commerce extérieur. Le fonctionnaire a rendu sa carte d'identité militaire et sa carte de parti communiste, recevant en échange un passeport étranger puis est parti en train à Vladivostok, d'où il a traversé l'océan Pacifique sur un cargo vers le Canada. Le 19 août 1943, il est arrivé à Washington, où il devint employé de la mission d'approvisionnement du gouvernement soviétique aux États-Unis. Kravchenko était chargé d’évaluer la qualité du métal, mais en fait, le travail de la mission visait l'espionnage industriel. C'est à cette époque que l'ingénieur a commencé à planifier son évasion du "pays des Soviets". Dans ce but, il s'est rapproché de la traductrice de la mission, l'Américaine Rita Holiday, qui l'a mis en relation avec David Dalin, un représentant de l'émigration russe. Le 3 avril 1944, Kravchenko a commencé à mettre en œuvre son plan. Le lendemain, sa déclaration est apparue en première page du New York Times, dans laquelle il qualifiait la politique du Kremlin d’hypocrite envers les alliés occidentaux et demandait l'asile politique aux États-Unis. Finalement, il refusera une offre de travail pour le FBI.
La couverture de la première édition du livre de Victor Kravchenko "J'ai choisi la liberté". Vie personnelle et politique d'un fonctionnaire soviétique" de 1946[/caption] Le livre "J'ai choisi la liberté" est devenu une publication anti-soviétique à succès commercial, le tirage aux États-Unis ayant atteint 5 millions d'exemplaires. Après la sortie du best-seller, le directeur adjoint du FBI, Daniel Milton Ladd, a noté dans un rapport au chef qu'il s'agissait de l'outil de contre-propagande le plus efficace jamais publié. En 1949, la publication est entrée dans la bibliothèque de la Maison Blanche comme l'un des 200 livres les plus importants publiés pendant le premier mandat de Harry Truman. Le titre du livre est devenu l'un des symboles de la guerre froide pendant de nombreuses années, c'est ce qui a motivé le choix des fugitifs à rejoindre l'Ouest. Malgré le succès mondial, ce livre n'a jamais été édité en russe. En revanche, la traduction ukrainienne est sortie rapidement en 1948, à Toronto, de l'imprimerie "Ukrainian Worker" avec une traduction de Mykhailo Hetman. L'auteur a autorisé la distribution gratuite de 3.000 exemplaires au sein de la communauté ukrainienne du Canada. Et quand Kravchenko a découvert que son livre était vendu et pas offert, il a légalement interdit sa distribution. Au cours des trois années suivantes, le livre a été traduit dans deux douzaines de langues: l'allemand, l'espagnol, l'italien, le portugais, le chinois, le japonais, le turc, l'arabe, le suédois, l'estonien, le néerlandais et d'autres encore. En France, les éditeurs ont accueilli le livre avec prudence. Le patron de la petite maison d'édition Self, Jean de Kerdelan, a repris l'ouvrage, l’a lu du jour au lendemain et s'est envolé pour les USA pour rencontrer l'auteur. En mai 1947, une version française du livre a été publiée, dont le tirage dépassait les 500.000 exemplaires, et déjà en juin Viktor Kravchenko recevait le prix littéraire français Saint-Beau. Cependant, sous la pression de l’élite intellectuelle de gauche, le comité qui avait pris une telle décision a été dissous et dès l'automne, Moscou s'est chargé de discréditer le livre de Kravchenko. Les vitrines des librairies où il était vendu étaient peintes de croix gammées et l'éditeur commençait à recevoir des menaces. En novembre 1947, dans les colonnes du journal Les Lettres françaises, sous la signature d'un certain Sim Thomas, parut une critique au titre éloquent "Comment Kravchenko a été fabriqué". Thomas a relayé des "informations prétendument exclusives", qu'il aurait reçues d'un agent de renseignement américain anonyme. Kravchenko a été accusé de ne pas avoir écrit ce livre du tout, de mener une vie immorale, de boire, de tricher, d'être un traître criblé de dettes, ce qui l'a forcé à devenir un désinformateur rémunéré pour les services spéciaux américains. Rappelons que la publication Les Lettres françaises avait été fondée en 1942 par la résistance française, mais cinq ans plus tard, elle a commencé à être financée par Moscou et elle a joué le rôle de porte-parole du Kremlin. Les colonnes du journal, qui tirait entre 65.000 et 100.000 exemplaires, ont fait l'éloge des modèles de propagandistes tel Jdanov et de l’anti-scientifique Lysenko et appelèrent régulièrement à suivre l`exemple de l'URSS en toute chose.
Technocrate réfugié
La fuite de Viktor Kravchenko vers l'Ouest en avril 1944 n'est pas moins sensationnelle. Il pouvait être considéré comme un fonctionnaire soviétique de rang intermédiaire et, jusqu'à un certain temps, comme un communiste convaincu. Il est né le 11 octobre 1905 à Katerynoslav (aujourd'hui Dnipro). Son père a participé à la révolution de 1905, ce qui a causé son exil plus tard, il a accueilli la révolution bolchevique avec prudence, et plus tard dans le cercle familial, il en voulait au régime du parti unique, aux répressions et à la vie luxueuse de la bureaucratie du parti. À l'âge de 17 ans, Viktor Kravchenko s'est rendu dans le Donbass, où il a trouvé un emploi dans l'une des mines de charbon près d'Alchevsk. Plus tard, il s’est retrouvé sous un tas de décombres mais est demeuré en vie. Tout en travaillant dans la mine, il s'est activement engagé dans l'auto-éducation, a rejoint le Komsomol. En 1925, il retourna dans sa ville natale et obtint un emploi d'ouvrier à l'usine métallurgique Hryhoriy Petrovskyi. En 1927-1928, il a servi dans l'Armée rouge et a participé à la "lutte contre les Basmachs" (soulèvement musulman contre l’empire russe – Red.) à la frontière soviéto-persane dans la République turkmène et n'a réalisé que plus tard qu'il avait été un occupant sur une terre étrangère et s'était battu contre le mouvement de libération nationale. Après une malheureuse chute de cheval, Kravchenko a été démobilisé prématurément et il est retourné à son ancien lieu de travail. C'est à l'usine métallurgique de Dnipropetrovsk qu'il a entrepris ses premiers essais de plume : il a édité le journal de l'usine et écrit des articles pour des publications ukrainiennes de Kharkiv. En 1929, Kravchenko rejoint les rangs du parti communiste ukrainien (bolchevique). A ce moment-là, en URSS le pouvoir s'est mis à persécuter des spécialistes qui avaient été formés avant 1917, et que les Bolcheviks ont remplacés par des jeunes fidèles au régime. Dans le cadre de cette campagne, le Parti communiste a envoyé Kravchenko étudier à Kharkiv. En l’espace d’une année, l'Institut polytechnique en hommage à Lénine de Kharkiv a été divisé en plusieurs universités, et Kravchenko a été transféré à l'Institut métallurgique de Dnipropetrovsk. Il existe une rumeur répandue selon laquelle à cette époque il aurait fait la connaissance de Leonid Brejnev, mais ceci n'a pas de confirmation valable. Lorsque Viktor Kravchenko a été diplômé de l'université, il a commencé à travailler comme ingénieur à l'usine métallurgique de Nikopol, où il est devenu rapidement chef de l'atelier de laminage. En raison de son travail, Kravchenko a rencontré des communistes connus tels que Nikolai Boukharine et Lazar Kaganovitch. Dès les premiers temps de son activité à l'usine, il s'est fait remarquer et apprécier par le commissaire Sergo Ordzhonikidze, qui lui a ensuite accordé à plusieurs reprises sa protection. Après la mort d'Ordzhonikidze, Kravchenko a subi la pression du NKVD. Afin de mettre un terme à cette persécution, il s'est rendu à Moscou, où il a réussi à être transféré d'abord à l'aciérie de Taganrog, puis à Pervouralsk dans un établissement qui était le plus grand producteur de tuyaux en Europe. En février 1939, Kravchenko est nommé directeur de la future usine métallurgique de Stalinsk, mais le projet a été gelé et il fut nommé ingénieur en chef-adjoint de l'usine métallurgique Filsky à Moscou. Sa progression de carrière s'est effondrée car être transféré à un poste inférieur dans le système soviétique était un mauvais signe. A Moscou, il a été condamné à deux ans et demi de prison pour détournement de fonds. Après un recours, au lieu d'une peine d'emprisonnement, l'ingénieur a été condamné à déduire 20 % de son salaire au profit du NKVD. En septembre 1941, Kravchenko fut mobilisé dans l'armée avec le grade de capitaine. Il a suivi des cours d'ingénierie militaire dans un centre de formation à Bolshevo près de Moscou, mais un mois plus tard, en raison d'une maladie, il a été évacué vers un hôpital de Menzelinsk. Par la suite, en tant que spécialiste possédant une formation technique supérieure, Kravchenko a été complètement démobilisé de l'armée. Il est devenu ingénieur en chef de Promtrest et s'est mis à superviser les travaux de neuf usines de réparation d'équipements militaires et de production de grenades à main. Durant la guerre, il a participé à plusieurs reprises à des réunions gouvernementales au Kremlin. Le travail de Kravchenko a été noté, et en mai 1942, la plus haute ascension de sa carrière s’est produite : il a été nommé chef du département d'approvisionnement militaire du Comité populaire soviétique de l'URSS. À ce poste, il a coordonné le travail des usines militaires, dont la plupart ont été évacuées vers l'Oural. Grâce à ses fonctions, il a croisé des communistes influents au Kremlin : un proche de Brejnev, Aleksey Kosygin, l'amiral Lev Gallier et d’autres encore. [caption id="attachment_763" align="aligncenter" width="509"]
LE LIVRE "J'AI CHOISI LA LIBERTÉ" EST DEVENU UNE PUBLICATION ANTI-SOVIÉTIQUE A GRAND SUCCÈS COMMERCIAL. LE TIRAGE AUX ÉTATS-UNIS A ATTEINT 5 MILLIONS D'EXEMPLAIRES. LE DIRECTEUR ADJOINT DU FBI, DANIEL MILTON LADD, A NOTÉ QU'IL S'AGISSAIT DE L'OUTIL DE CONTRE-PROPAGANDE LE PLUS EFFICACE JAMAIS PUBLIÉ.La réaction du Kremlin s'est révélée sans surprise. Au début, ils ont annoncé qu'ils ne connaissaient aucun Kravchenko, puis ils ont admis son existence, mais l'ont traité d'escroc qui occupait un emploi temporaire et s'était enfui à cause de dettes. Plus tard, le transfuge sera accusé de désertion (et cela dans un pays aux frontières fermées !) et Moscou a entrepris de demander son extradition aux autorités américaines. En août 1944, le troisième secrétaire de l'ambassade (en fait le résident) Vasiliy Zubilin a été rappelé à Moscou. Les Soviétiques ont essayé d'intimider Kravchenko pour qu'il renonce à son projet d'écrire un livre sur l'URSS. L'ancien ambassadeur américain à Moscou, Joseph Davis, a appelé à la remise de Kravchenko à la partie soviétique. Par conséquent, jusqu'au milieu de 1945, Viktor devait se comporter avec prudence : il n'apparaissait plus en public et vivait sous un nom d'emprunt. Un jour, il a même reçu une lettre contenant une balle. Il a été aidé par de nouveaux amis : les mencheviks émigrés russes. Au bout de deux ans, afin d'éviter des persécutions probables, il a témoigné au Congrès et durant un certain temps a bénéficié de la protection de l'État.
Best-seller anti-stalinien
Dans le même temps, Viktor Kravchenko a commencé à écrire activement des articles pour des publications nationales américaines (Cosmopolitan, American Mercury, Reader's Digest, The Saturday Evening Post, The New York Herald Tribune) et russes pour les émigrés. Cela lui a fourni un moyen de subsistance : par exemple, il a été payé 15.000 $ pour trois publications dans Cosmopolitan. Toutefois, le fugitif s’est concentré sur la préparation et la publication d'un livre sur l'Union soviétique. L'éditeur Charles Scribner III a accepté de le publier. Il n'a pas aimé la première traduction faite par Charles Malamud (gendre de Jack London). Le journaliste Eugene Lyons a été amené à adapter le texte aux goûts du lecteur américain. Il a d'abord sympathisé avec la révolution bolchevique et, en 1930, a même interviewé Staline, mais est rapidement devenu un critique du stalinisme et a introduit le terme "homo sovieticus" dans le langage courant. Afin que le traducteur ne déforme pas le contenu du livre, Kravchenko a fait venir deux autres experts pour des consultations et s'est disputé avec Lyons à propos de presque chaque virgule. L'ouvrage s'achève le 11 février 1946, et le livre est intitulé « J'ai choisi la liberté. La vie personnelle et politique d'un fonctionnaire soviétique » a été publié. Son succès a été facilité non seulement par l'adaptation réussie du texte, mais aussi par des informations uniques non accessibles au grand public. Dans le contexte des événements de sa propre biographie, Viktor Kravchenko a dépeint les réalités de la vie en URSS stalinienne. Il a qualifié le régime de "socialisme policier" sous lequel les gens n'avaient pas le droit de circuler librement et étaient attachés à leur lieu de travail. Il a décrit aussi les pratiques quotidiennes du peuple soviétique : camouflage verbal, purges politiques et répressions partisanes, image déformée de l'Occident, atmosphère de surveillance totale, dénonciations et suspicion. Kravchenko a également prêté attention à l'Ukraine. Il a écrit que les autorités n'imitaient l'ukrainisation que pour identifier et détruire l'intelligentsia à orientation nationale. L'Holodomor, dont il a vu les horreurs de ses propres yeux, a été défini par lui comme organisé. Kravchenko a rappelé que Vyacheslav Molotov avait plaidé pour la lutte contre les paysans propriétaires en raison de leur probable coopération avec l'ennemi en cas de conflit militaire. Kravchenko pensait également que le mouvement Stakhanov et l'intervention du NKVD avaient largement désorganisé la production industrielle. Il a également mentionné l'utilisation généralisée du travail forcé par des millions d’«esclaves excédentaires», à savoir les prisonniers du Goulag. Dans les chapitres sur les années de guerre, il a décrit la panique qui régnait à Moscou le 16 octobre 1941. Kravchenko a souligné que l'URSS ne faisait que se préparer à une offensive et a dénoncé les spécificités de la coopération technique avec l'Allemagne en 1939-1941. La raison du tournant de la guerre était la relance de l'industrie dans l'évacuation et l'aide des États-Unis. Kravchenko a assuré qu'en cas de conflit avec un pays démocratique, le peuple soviétique ne se battrait pas pour supporter les communistes, et a souligné que l'URSS n'avait pas renoncé à ses intentions de révolution mondiale, qui n'ont été arrêtées que par l'apparition de la bombe atomique aux États-Unis. Kravchenko considérait la propagande comme le plus grand triomphe soviétique, car non seulement les étrangers demeuraient indifférents à la souffrance des habitants de l'URSS, mais certains se sont même prononcés en faveur de Moscou. Le fugitif a qualifié la dictature du Kremlin de problème mondial de l'humanité, mais il pensait qu'un jour les habitants de l'URSS deviendraient libres. [caption id="attachment_764" align="aligncenter" width="443"]