Il ne faisait aucun doute que les unités ukrainiennes devraient tôt ou tard quitter Severodonetsk. Pendant des semaines, les Russes rasaient la ville, utilisant tous les moyens de destruction à leur disposition. Le martèlement de l’artillerie, des mortiers, des tirs de chars et des bombardements ne s’arrêtait pas. Le moment où il n’y aurait plus rien à protéger et nulle part où aller s’approchait à grands pas… Mais cette histoire, c’est sur autre chose. La guerre n’est pas seulement sale, effrayante et cruelle. C’est aussi un test qui montre qui est qui. Parfois, il se produit des choses étonnantes, et même incroyables.
Lorsque nos soldats défendaient héroïquement Severodonetsk, une autre partie de l’effectif se préparait déjà au combat aux confins de Lyssychansk, la ville jumelle de l’autre coté de la rivière. En suivant toutes les règles de “l’étiquette” de la mort, à Lyssytchansk, les militaires aménageaient des bases avancées et des cachettes pour les unités qui devaient se retirer progressivement de leurs positions de l’autre côté de la rivière Siverskyi Donets, ainsi que pour les nouvelles forces qui devaient participer à la défense de la ville. Lyssytchansk, qui se transformait en forteresse, accueillait des réserves d’armes, de nourriture, de médicaments… tout ce qui est nécessaire pour une longue lutte. Il était alors impossible de prédire combien de temps durerait l’affrontement sur cette parcelle de terre ukrainienne.
« Nous cherchions des salles pour installer un nouveau poste de contrôle arrière en cas de retrait du personnel du front de Severodonetsk vers Lyssytchansk », expliquait Vassyl Hryvnak, officier supérieur de la 6e compagnie d’affectation opérationnelle de la 4e brigade de la Garde nationale ukrainienne. Les militaires faisaient le tour de la ville, mais tous les espaces susceptibles de convenir (principalement les sous-sols, où il y a une possibilité d’hébergement militaire), étaient déjà occupés. «Tout à coup, à l’entrée d’un bâtiment, nous avons vu un panneau avec l’inscription « Eglise gréco-catholique, Exarchat de Donetsk, Paroisse de l’Intercession de la Sainte Mère de Dieu, Lyssytchansk », raconte Vassyl.
« La porte était ouverte et les soldats sont entrés. La pièce haute, où se trouvait le lieu de culte, avait été gravement endommagée. Les vitres étaient brisées, de nombreux linges brodés et des photocopies d’icônes éparpillés sur le sol,” raconte Serhiy Demchyshyn, combattant du bataillon « Liberté » de la 4e brigade de la Garde nationale unkrainienne. « Ce n’était pas une église classique. Nous avons compris que le bâtiment avait été adapté pour les offices religieux. »
Plus tard, les soldats ont appris que cette église, fondée en 2018, n’était pas encore achevée au début de la guerre à grande échelle. Auparavant, les fidèles se réunissaient pour les offices dans la chapelle de l’Intercession de la Sainte Vierge, aménagée dans l’une des salles qui appartenaient à la Fédération de boxe de Lyssytchansk. En collaboration avec la paroisse, le centre de bénévolat « De cœur à cœur » s’y était également installé, et une école du dimanche pour les enfants y a fonctionné.
En descendant au sous-sol, les soldats ont vu les icônes soigneusement emballées dans du papier et prêtes à être transportées. Elles étaient inhabituelles, brodées selon une technique peu courante (au point de croix), mais dans un style très évocateur de la couture monastique médiévale. Chacune d’elles était signée. Apparemment, quelqu’un se préparait à les sauver, mais quelque chose l’a empêché. Les soldats supposaient que c’étaient les bombardements, qui ont précipité la fuite des des personnes qui les avaient emballées et les empêchant de les emmener avec elles.
« Nous avons décidé de prendre les objets de valeur que nous avons trouvés et de les remettre à leur propriétaire – la communauté ecclésiale », explique Serhii Demchyshyn, « mais il n’était pas possible de tout prendre en même temps. La première fois, seules les icônes ont été cachées. » Quand les militaires sont venus la deuxième fois, les bombardements se sont intensifiés. À la hâte, sous le feu, ils ont ramassé les chasubles, les linges et les bannières. Une fois les objets de valeur placés en lieu sûr, les sauveteurs ont commencé à rechercher les propriétaires.
« Nous avons découvert que la communauté avait été fondée en 2015 par un prêtre-aumônier de Ternopil, Ivan Guney », explique Serhiy Demchyshyn. Nous l’avons contacté via les réseaux sociaux et lui avons demandé ce qu’il fallait faire des icônes et autres biens de l’église. Aujourd’hui, le père n’a plus de relation avec la paroisse, il sert ailleurs sur les lignes de front, mais il a conseillé de transporter tout ce qui avait été trouvé à Ternopil et de le remettre au métropolite Vasyl Semenyuk pour qu’il le garde jusqu’à la fin des combats, car c’était la métropolie de Ternopil-Zboriv qui était le principal fondateur de l’église de Lysychansk. C’est ce qu’ils ont fait. À la première occasion, les objets sacrés sauvés sont allés à Ternopil et l’un des participants à l’opération les a personnellement remis aux représentants de l’église.
Pour le moment, Lyssytchansk reste sous occupation russe, et l’église en question n’existe peut-être plus. Même lors de l’évacuation des icônes, la salle de prière était déjà assez endommagée. Habituellement, les églises sont construites pour servir de lieu où les âmes humaines peuvent être sauvées. Mais il arrive que les sanctuaires eux-mêmes doivent être sauvés. Surtout en période d’invasion ennemie, lorsque non seulement l’État et la souveraineté, mais aussi la langue, la foi et l’âme même du peuple se retrouvent menacés de disparition.