Les relations russo-kazakhes vacillent

Politique
20 février 2023, 17:12

Dès le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, le Kazakhstan a adopté une position prudente. Sans renoncer aux relations avec la Russie, le pays tente par tous les moyens de se distancier de la guerre déclenchée par Moscou. Astana envoie de l’aide humanitaire à l’Ukraine, refuse de reconnaître l’occupation russe des territoires ukrainiens et déclare publiquement qu’elle n’aidera pas son voisin du nord à contourner les sanctions internationales. Le gouvernement du Kazakhstan s’en tient à cette ligne, créant parfois des situations qui peuvent sembler ambiguës aux Ukrainiens.

Ambassadeur, interview et yourte

Ces derniers mois, les relations russo-kazakhes ont été marquées par un certain nombre d’affrontements diplomatiques. Fin décembre 2022, dans une interview accordée à l’organe de propagande Spoutnik, l’ambassadeur russe Alexei Borodavkin a évoqué la montée des sentiments nationalistes au Kazakhstan. Il a notamment déclaré que, si nécessaire, la Russie pourrait aider le Kazakhstan à « combattre les nationalistes. » Ces déclarations ont provoqué une levée de boucliers dans la société kazakhe et le ministère des Affaires étrangères du pays a convoqué l’ambassadeur pour des consultations. Dans la déclaration finale, le ministère a souligné que la frontière kazakho-russe est la plus longue frontière terrestre du monde et a souligné qu’elle est aujourd’hui « complètement délimitée. » Le processus de sa démarcation conformément aux normes du droit international est en cours d’achèvement, a ajouté le département. Cette partie de la déclaration indique clairement à la Russie la limite à ne pas franchir.

Puis, en réponse aux critiques de l’ambassadeur, Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, a déclaré que les journalistes avaient attribué au diplomate des propos sur la russophobie et l’extrémisme au Kazakhstan. Dans le même temps, il a lui-même accusé les politiciens kazakhs de tenir des propos virulents contre la Russie.

Cependant, les relations kazakho-ukrainiennes ont aussi connues leurs moments de tension. À l’automne 2022, Petro Vroublevsky, ambassadeur ukrainien à Astana, dans une interview accordée au blogueur kazakh Dias Kuzairov a déclaré, parlant de l’armée russe en Ukraine: « Nous essayons de les tuer autant que possible. Plus nous tuons de Russes maintenant, moins nos enfants auront à en tuer. » Pour cette raison, Vroublevsky a ensuite été convoqué pour des consultations. Les Kazakhs ont opposé un refus à la demande de la Russie de l’expulser, mais quelques mois plus tard, l’ambassadeur a été discrètement démis de ses fonctions. Les diplomates russes et ukrainiens au Kazakhstan reçoivent le même signal : ne pas faire entrer la guerre dans le pays, même en paroles.

Néanmoins, le Kazakhstan est prêt à défendre ses relations amicales avec l’Ukraine face à la Russie. Début janvier, avec l’aide du pays d’Asie centrale, plusieurs « yourtes d’invincibilité » (des lieux où les habitants peuvent venir se réchauffer, charger leurs téléphones etc. – ndlr) ont été montées, dont l’une a été construite à Bucha.  À l’époque, le Kazakhstan avait été critiqué par la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Maria Zakharova, qui avait laissé entendre que l’information au sujet de la yourte était « probablement fausse. » Cependant, Astana a assuré que la yourte avait bien été installée, mais que le Kazakhstan n’y voyait aucun inconvénient. Ainsi, jusqu’à présent, Astana a pu minimiser l’impact des attaques des officiels russes, évitant une escalade des tensions.

Côté économique de la question

Le Kazakhstan doit aussi agir avec prudence en matière économique. En janvier-octobre 2022, Astana a augmenté ses exportations vers la Fédération de Russie de 15 % par rapport à l’année précédente. Étant donné que ses propres importations depuis la Russie n’ont pas changé, le pays a réussi à faire évoluer la balance commerciale en sa faveur, principalement grâce à l’expansion des approvisionnements en uranium, zinc et autres minéraux. Dans le même temps, Astana accorde une grande attention à la limitation des relations économiques avec la Fédération de Russie. Par exemple, début février 2023, le Kazakhstan a fermé sa mission de représentation commerciale en Russie. La déclaration officielle du ministère de l’Industrie et du Commerce du pays indique qu’actuellement, « toutes les conditions institutionnelles ont été réunies pour que les entreprises kazakhes travaillent dans la direction russe et résolvent tous les problèmes opérationnels. Dans le même temps, les personnels ainsi libérés viennent renforcer la présence diplomatique du Kazakhstan dans d’autres pays. »

De plus, au moins en janvier de cette année, plusieurs concessionnaires de marques automobiles bien connues ont cessé de vendre des voitures à des Russes qui ne sont pas enregistrés au Kazakhstan. On peut y voir la crainte de sanctions secondaires de la part des constructeurs automobiles et de l’arrêt des approvisionnements. Les voitures représentaient une part importante des marchandises importées en Russie depuis le Kazakhstan, permettant ainsi grâce à ces « importations parallèles » de contourner les sanctions. Toujours en janvier, le Kazakhstan s’est retiré de l’accord sur la conversion mutuelle du rouble et du tenge (la monnaie du Kazakhstan – ndlr). Bien que l’accord ne soit plus en vigueur depuis un certain temps, le nombre de reportages récents sur les relations économiques russo-kazakhes indique l’importance majeure de cette question pour Astana.

Nouvelles des fronts du pétrole et du gaz

Le Kazakhstan possède ses propres gisements d’hydrocarbures, mais le pays dépend fortement de l’infrastructure pétrolière et gazière russe. À l’été 2022, la Russie a utilisé le pipeline par lequel le pétrole kazakh est exporté pour faire pression sur Astana, provoquant un affrontement économique avec son voisin du sud. A cette époque, Kassym-Jomart Tokayev, président du Kazakhstan, a entrepris de diversifier les routes d’acheminement du pétrole kazakh vers l’Europe. La situation dans les relations énergétiques des deux pays s’est quelque peu améliorée au fil du temps, mais la confiance a été fortement ébranlée. C’est notamment pour cela que le Kazakhstan et l’Ouzbékistan ont réagi avec beaucoup de prudence à la proposition russe de créer une « union du gaz ». Cependant, bien que le projet ait été généralement critiqué, les négociations en ce sens sont toujours en cours. Dans le même temps, le contenu des feuilles de route récemment signées par Gazprom de manière bilatérale avec ces deux États est encore inconnu.

Autre nouvelle inquiétante dans ce domaine : la société russe Lukoil a signé un accord de développement du champ pétrolier de « la Mer de Kalamkas » sur le plateau de la mer Caspienne au large des côtes du Kazakhstan, rapporte KazTAG. Le ministère de l’Énergie du Kazakhstan a indiqué que le développeur du champ doit payer une redevance de 32 millions de dollars, fournir des investissements de 6 milliards de dollars et créer deux mille emplois au stade initial.

Divorce lent

De manière générale, malgré le soutien humanitaire apporté à l’Ukraine, le Kazakhstan reste fortement dépendant de la Fédération de Russie. Le politologue kazakh Akhas Tajoutov explique dans son interview pour Eurasia news, que durant les deux années écoulées, des politiciens, journalistes et experts russes ont parlé de la présence de « complices nazis » au gouvernement du Kazakhstan et ont lancé des accusations contre Askhat Aimagambetov, ministre de l’Éducation et Sciences, et Askar Oumarov, ministre de l’Information et du Développement social. « Les résultats ne se sont pas fait attendre longtemps, » souligne Tajoutov: Oumarov a été démis de ses fonctions en septembre 2022, Aimagambetov – en janvier de cette année. Les ministres ont été renvoyés aussi discrètement que Vroublevsky.

Dans ce pays d’Asie centrale, on observe les exemples de l’Ukraine d’un côté et de la Biélorussie de l’autre, et on tentent de les contourner en se glissant au milieu. On ne sait pas si le Kazakhstan sera en mesure d’éviter à la fois la guerre et la perte de souveraineté sur la voie d’une séparation à part entière de la Fédération de Russie. Mais, pour des raisons de justice, il convient de noter que c’est Astana qui, au cours des trois décennies d’indépendance, a bénéficié le plus de ses relations avec la Russie parmi d’autres États post-soviétiques, tout en ne se laissant pas absorber.