Alla Lazaréva Rédactrice en chef adjointe, correspondente à Paris du journal Tyzhden

L’Azerbaïdjan et l’Arménie tournent le dos à la Russie

Politique
6 juillet 2025, 15:55

La guerre en Ukraine érode la position de la Russie comme arbitre des conflits entre ex-républiques de l’URSS. L’Arménie ne veut pas accueillir davantage de troupes russes sur son sol, tandis que l’Azerbaïdjan n’hésite plus à affirmer son soutien à l’Ukraine.

La Russie accélère l’envoi de renforts sur sa base militaire de Gyumri, en Arménie. Elle accroît ainsi sa pression militaire et politique sur les pays du Caucase du Sud, estime la Direction générale du renseignement ukrainien (GUR). Selon cette source, pour renforcer sa présence à Gyumri, le Kremlin prélève du personnel militaire dans les régions de Rostov et de Volgograd, ainsi qu’en Crimée temporairement occupée.

Moscou recrute également des volontaires « parmi les représentants des peuples opprimés du Caucase, en particulier en Ossétie du Nord et en Adyguie ». Selon le représentant du GUR, Andriy Yusov, le déploiement des troupes russes en Arménie est « un élément de la stratégie globale de déstabilisation du Kremlin ».

« Parallèlement à l’exacerbation des conflits interethniques, Moscou renforce sa présence militaire dans le Caucase. Il est probable que la détérioration des relations entre l’Azerbaïdjan et la Fédération de Russie ait été préparée à l’avance », a ajouté M. Yusov.

Le célèbre journaliste ukrainien Oleg Kryshchopa explique en détail sur la chaîne YouTube « Histoire pour adultes » comment Moscou a alimenté pendant des décennies le conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie en utilisant la « doctrine Gerasimov ».

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L’essence de cette doctrine consiste à attiser les conflits entre États voisins, à exacerber les hostilités par le biais de militaires russes déguisés en civils, puis à prendre le contrôle de la région en invoquant l’envoi de « forces de maintien de la paix ». Le Kremlin a testé pour la première fois la « doctrine Gerasimov » contre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, rendant impossible le rétablissement de la paix entre les deux peuples.

Il y a une dizaine de jours un conflit diplomatique a éclaté entre Moscou et Bakou après l’arrestation et le meurtre d’Azerbaïdjanais par les forces de sécurité russes. Dans le même temps, la Russie s’ingère également dans les affaires intérieures de l’Arménie, où une tentative de coup d’État par des forces liées à la Fédération de Russie a été déjouée.

Aujourd’hui, l’Arménie a réagi aux informations des services de renseignement ukrainiens. Elle a déclaré qu’elle ne permettrait pas que son territoire soit utilisé pour des opérations militaires contre des pays voisins. Ces derniers jours, le président de l’Assemblée nationale, Alain Simonyan, a déclaré que les autorités devaient sérieusement envisager d’interdire la diffusion des chaînes de télévision russes en Arménie.

De son coté, Bakou n’a pardonné ni le crash d’un avion civil azéri au-dessus du territoire tchétchène, ni les récentes rafles d’Azerbaïdjanais dans toute la Russie, accompagnées de violentes agressions et d’arrestations. L’Azerbaïdjan a annulé tous les concerts, festivals et expositions d’artistes russes sur son sol, a fermé le bureau et arrêté le directeur et le rédacteur en chef de la filiale de Bakou de l’agence de presse « Rossiya Segodnya » (« Sputnik Azerbaïdjan »). Peu après, Bakou a fait des déclarations apportant un soutien à l’Ukraine et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a eu une conversation téléphonique avec Volodymyr Zelensky.

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Ilham Aliyev a déclaré qu’il n’était pas nécessaire de recourir à la médiation de Moscou pour conclure un accord de paix avec l’Arménie. Auparavant, grâce à la médiation d’Erdogan, Pashinyan et Aliyev avaient mené des négociations à Tirana. Selon des sources azerbaïdjanaises, la Turquie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie seraient proches d’un accord qui permettrait de régler la question du corridor de transport de Zangezur, excluant ainsi la Russie. Ce corridor fait l’objet d’un contentieux entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Le règlement de ce désaccord pourrait constituer un pas vers le rétablissement des relations diplomatiques de l’Arménie avec l’Azerbaïdjan, tout d’abord, puis avec la Turquie. En même temps, l’ouverture du corridor de Zangezur affaiblirait les positions de l’Iran et de la Russie dans la région du Caucase du Sud.

L’Azerbaïdjan étudie actuellement la possibilité d’accueillir une importante base militaire turque sur son territoire. La déclaration de Shusha, signée en juin 2021 par Erdogan et Aliyev, sert de base juridique à cette initiative. Ce document prévoit une défense commune en cas d’attaque contre l’une des parties. Dans le Caucase, rien n’est jamais fait au hasard. Si Aliyev met Moscou dans une position très inconfortable, c’est qu’il sait très bien ce qu’il fera demain, dans une semaine ou dans un mois.
La brutalité et l’arrogance du Kremlin n’impressionnent plus les anciennes républiques de l’URSS. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan et l’Arménie tentent toutes deux de prendre leurs distances avec la Russie. Cette opportunité leur a été offerte par la guerre prolongée menée par l’armée russe contre l’Ukraine, qui épuise les forces armées et affaiblit la position du Kremlin sur la scène internationale.