L’Organisation du Traité d’indifférence collective. Comment le bloc de Tachkent qui se voulait une « alternative à l’OTAN » s’est avéré être un village Potemkine

Politique
10 octobre 2022, 07:38

L’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) existe depuis 30 ans. Pendant ce temps, il a changé à plusieurs reprises de composition, a connu des changements structurels. Et pendant tout ce temps, l’organisation a réussi à faire semblant d’avoir une activité, servant comme une sorte de « branche militaire » de l’Union économique eurasienne. A plusieurs reprises, les pays participants ont mené des opérations communes, ont combattu le trafic de drogue et ont simulé des activités conjointes sérieuses sans grande tension. A Moscou, on rêvait que l’OTSC devienne un analogue post-soviétique de l’OTAN. Mais dès que l’organisation a été confrontée à de véritables défis, son échec est devenu évident.

Le Pacte de Tachkent sans Tachkent

Les choses ont bien commencé dans les années 1990. L’autorité de la Russie dans l’espace post-soviétique était alors grande et les liens entre les élites des anciennes républiques de l’URSS étaient assez forts. Grâce à cela, huit États se sont laissé entraîner à rentrer dans le jeux : l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Ouzbékistan.

L’objectif principal du Pacte de Tachkent était de préserver la sécurité et la stabilité régionales. Il s’agissait de lutter de façon coordonnée contre les menaces internes et externes, y compris par une résistance conjointe aux États tiers qui menaceraient l’intégrité territoriale et la souveraineté des États membres. Cependant, la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Ouzbékistan se sont progressivement retirés du Pacte pour diverses raisons, et des contradictions entre les membres restants ont rendu le développement de l’organisation extrêmement difficile.

En 2003, une réforme de l’organisation a été conduite: un appareil central est apparu, puis un contingent de maintien de la paix, qui compte aujourd’hui environ 3 000 militaires. Malgré le fait que l’OTSC était extrêmement limitée en ressources et présentait de nombreuses lacunes en tant que bloc militaire (manque de coopération au niveau du renseignement, faible centralisation), elle a en quelque sorte uni les États membres dans une alliance de défense. Et en l’absence d’une opportunité de tester son potentiel dans la pratique, cette alliance semblait sinon puissante, du moins pas sans perspectives. Puis des occasions pour passer à l’acte sont apparues.

Haut-Karabakh

Le premier défi vraiment sérieux pour l’OTSC a été la deuxième guerre du Haut-Karabakh, qui a eu lieu en 2020. A cette époque, des actions hostiles ont été menées entre deux Etats membres de l’organisation : l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Cette fois, Moscou a refusé d’aider les Arméniens, invoquant le fait que les hostilités se déroulaient sur le territoire d’un autre État, au Haut-Karabakh, un territoire n’appartenant pas juridiquement à l’Arménie.

Le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan a récemment déclaré qu’il avait reçu des assurances qu’en cas d’attaque à la frontière arménienne, l’OTSC agirait. Toutefois, selon lui, lorsque les villages frontaliers arméniens ont été attaqués, l’organisation a déclaré que la frontière n’avait pas encore été délimitée, et a refusé sous ce prétexte de fournir une assistance.

Étant donné que des affrontements au Karabagh se produisent presque tous les mois, l’OTSC avait de nombreuses raisons d’intervenir. Cependant, Pashinyan essuyait des refus à chaque fois. C’est ainsi que le 30 septembre, il a vivement critiqué l’OTSC en faisant allusion au retrait de l’Arménie de cette organisation. Selon lui, « dire qu’il n’y a pas de frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, c’est dire qu’il n’y a pas non plus d’OTSC ». En effet, l’organisation n’a même pas essayé de maîtriser le conflit. Et ils n’essaieront probablement pas, étant donné que maintenant les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ne se tiennent plus à Moscou, comme avant, mais à Bruxelles.

Frontière kirghize-tadjike

L’Asie centrale a également connu de nombreux bouleversements, tant internes qu’externes, au cours des 30 dernières années. Le conflit kirghize-tadjik reste l’un des conflits régionaux les plus récurent. Les frontières laissées par l’URSS en Asie centrale ne correspondent pas toujours à la carte ethnique de la région, elles comportent un certain nombre d’enclaves, c’est-à-dire de territoires d’un État complètement entourés par le territoire d’un autre. La propriété des infrastructures, des pâturages et des sources d’eau est également une question. La frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizistan est longue de plus de 900 km, dont environ 300 km ne sont pas délimités. Cela est une cause constante de conflits, qui se transforment parfois en bagarres et en affrontements armés. Des escarmouches ont eu lieu en 2021, puis en 2022. Dans le même temps, le nombre de victimes a augmenté : si l’année dernière environ 30 personnes sont mortes des deux côtés, cette année il y a déjà eu une centaine de morts.

Or les deux États sont aussi membres de l’OTSC. En même temps, contrairement à Erevan, ni Douchanbé, ni Bichkek, ne se font d’illusions sur l’alliance. Après que l’OTSC a « exprimé sa préoccupation face à la situation » lors des affrontements de septembre 2022, le Kirghizistan a engagé le processus d’expulsion du Tadjikistan de l’organisation. L’affaire ne s’est pas encore poursuivie, mais cette situation est extrêmement révélatrice et en dit long sur l’OTSC.

Tout était compris au Kazakhstan

Le seul cas d’utilisation de soldats de la paix de l’OTSC concerne le Kazakhstan. Cela s’est produit en janvier 2022 pendant des manifestations de masse dans le pays. Le contingent est alors entré et sorti sans tirer un seul coup de feu. Mais aujourd’hui, le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, n’éprouve pas beaucoup de sympathie pour Vladimir Poutine. Le 3 octobre, le représentant officiel du ministère des Affaires étrangères du pays, Aibek Smadiyarov, a déclaré que l’OTSC ne participerait pas au conflit russo-ukrainien. De cette façon, le Kazakhstan a agi préventivement. L’annexion des territoires ukrainiens, annoncée par Vladimir Poutine le 30 septembre, pourrait théoriquement inciter Moscou à appeler les partenaires de l’OTSC à se joindre à la défense des territoires « russes » dans le cadre de la défense collective de l’alliance. Mais Smadiyarov a souligné que « la zone de responsabilité de l’OTSC est clairement définie par les territoires internationalement reconnus des États membres des organisations, et la sécurité collective est assurée à l’intérieur de ces territoires. » Et de cette manière, le Kazakhstan a une fois de plus souligné sa position de non-reconnaissance de l’annexion des territoires ukrainiens par la Russie.

Il est donc très difficile de croire que l’OTSC a un avenir. Et la raison pour cela n’est pas le conflit en cours entre les États membres de l’organisation. La Grèce et la Turquie, membres de l’OTAN, se sont également battues pour Chypre en 1974. Cependant, l’alliance a pu survivre à la crise et conserver la confiance des États membres. Mais l’OTSC perd rapidement cette confiance. Depuis sa fondation, un tiers (!) des pays membres a quitté l’organisation, et parmi ceux qui restent, deux sont en état de conflit armé entre eux, et un de plus crie au secours et ne le reçoit pas d’aide à chaque fois. Et la perspective d’être entraîné dans la guerre sans espoir de Poutine en Ukraine n’inspire personne. Même les autorités du Kazakhstan, qui ont pourtant profité de l’aide de l’OTSC, jettent de plus en plus des regards intéressés en direction de Pékin, plutôt que de Moscou.

Bien sûr, il est encore trop tôt pour parler de la désintégration formelle de l’OTSC. Mais il est déjà évident que la tentative de la Russie de créer une « alternative à l’OTAN » a échoué. Et plus les choses vont aller mal à Moscou, moins les pays membres de l’organisation auront de raison de rester dans ce village Potemkine.