Andriy Golub Correspondant spécialisé dans la politique ukrainienne

États-Unis: Les Républicains et la guerre en Ukraine

Politique
19 mars 2023, 19:11

La campagne des présidentielles a déjà commencé

Le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, s’est prononcé contre la fourniture de matériel militaire à l’Ukraine. En a découlé un vif débat, notamment dans le Parti républicain. The Ukrainian Week s’est intéressé à ses déclarations et aux réactions des membres de son parti. 

Les circonstances

C’est en réponse à une question écrite qu’il a exprimé son opposition à la politique actuelle de la Maison Blanche. Tucker Carlson, présentateur à Fox News, a posé une série de questions aux membres les plus connus du Parti républicain, dont DeSantis. Fox News est une chaîne d’information américaine qui a des positions politiques conservatrices; elle est de ce fait, depuis longtemps, proche des Républicains. L’émission de Carlson est très populaire et bénéficie d’une grande audience. En juillet dernier il a commenté la guerre en Ukraine: « Ce qu’il [Poutine] fait en Ukraine – même si je le considère important historiquement, et crucial pour les Ukrainiens – n’a   pour moi que l’importance du prix du gaz. »

Carlson se voit et se présente en provocateur rebelle, avec de fortes convictions; son audience dépend souvent des positions démagogiques qu’il expose sans nuances. Les thèmes qu’il choisit n’ont de portée que par rapport aux polémiques qu’il engendre. S’adressant avant tout aux électeurs républicains, il est « chouchouté » par les politiques qui se pressent à son émission; ils se hâtent de reprendre ses déclarations et de répéter de façon élogieuse les opinions qu’il professe.

Les questions du Tucker Carlson Show ont été envoyées à 13 notables républicains. Parmi eux, l’ex-Président Donald Trump et son Secrétaire d’État Mike Pompeo. Huit d’entre eux, dont DeSantis, ont répondu. Quatre, à savoir Pompeo, les gouverneurs de Virginie (Glenn Youngkin), du New Hampshire (Chris Sununu) et l’ancien gouverneur de l’Arkansas (Asa Hutchinson) ont ignoré sa sollicitation; l’ancienne ambassadrice auprès des Nations unies Nikki Haley n’a répondu que beaucoup plus tard, après la publication des premières réponses.

Tous ont reçu six questions concernant la politique américaine envers l’Ukraine et la Russie, elles sont très orientées:

– S’opposer à la Russie en Ukraine est-il d’un intérêt stratégique vital pour les États-Unis?

– Quel est exactement l’objectif des USA en Ukraine et comment saurons-nous qu’il  a été atteint?

– Quelle limite mettez-vous au financement et aux ressources matérielles destinées à aider le gouvernement ukrainien?

– Les États-Unis devraient-ils soutenir un changement de régime en Russie?

– Les sanctions internationales envers la Russie ont-t-elles été efficaces?

– Pensez-vous qu’il y a un risque de guerre nucléaire?

N’oublions pas que nous avons en toile de fond la prochaine élection présidentielle américaine, qui aura lieu à la fin de l’année 2024. Bien que la date soit lointaine encore, la course à la présidence a déjà commencé. La première étape est celle des Primaires. À l’heure actuelle, Ron DeSantis se distingue des autres prétendants en raison de ses succès et de sa popularité au sein du Parti, et alors que le soutien à Donald Trump a coûté leur élection à nombre de candidats. Les 13 politiques auxquels Carlson a adressé ses questions sont les probables candidats aux Primaires (les hopefuls). Mais à ce stade, seuls trois Républicains – l’ancien Président Donald Trump, le richissime entrepreneur en biotechnologie Vivek Ramaswamy et Nikki Haley – ont annoncé leur intention d’être candidats. 

Réponse de DeSantis

La réponse de DeSantis que vous pouvez lire ici est en résumé la suivante:– S’opposer à la Russie en Ukraine n’est pas vital pour les États-Unis, l’objectif devrait être plutôt de parvenir à la paix 

– L’Ukraine ne devrait pas recevoir d’armes qui lui permettraient d’opérer hors de ses frontières 

– Le « changement de régime » en Russie n’est pas souhaitable, le successeur de Poutine pourrait bien être pire que lui

– La politique des sanctions a échoué: elle a encouragé une alliance de fait entre la Russie et la Chine, et cela aux dépens des contribuables américains 

– Enfin, cette guerre accroît les risques d’un conflit nucléaire. 

Son point de vue est en fait très semblable à celui de l’aile « Trumpiste » des Républicains. Ce qui, d’ailleurs, vient contredire la position qu’il avait autrefois adoptée en critiquant l’Administration de Barack Obama face à l’occupation de la Crimée par les Russes en 2014; il avait alors appelé à la fourniture d’armes à l’Ukraine. 

Nous pouvons remarquer qu’aussi bien DeSantis que Trump reprennent les déclarations et les jugements qui ont été entendus sur certains sites de Fox News et dans les émissions de Tucker Carlson lui-même. Par exemple, DeSantis appelle la guerre en Ukraine un « conflit territorial » (territorial dispute); Carlson, jusqu’au 24 février 2022, avait baptisé la guerre dans le Donbass de « conflit frontalier » (border dispute). Quant à Trump, il déclare: « la guerre n’aurait jamais eu lieu si j’avais été Président »; c’est la reprise de ce qu’il avait dit sur Fox News dès le début de l’invasion de 2022. Tout cela s’inscrit dans une sorte d’endoctrinement destiné à favoriser le retour au pouvoir des Républicains dès novembre 2024. Et DeSantis a pris d’ores et déjà une considérable avance dans cette course au pouvoir.

Un certain nombre, parmi les Républicains les plus marquants, a réagi aux propos de Ron DeSantis. The New York Times a rassemblé commentaires et réponses :

La fille de l’ex-Vice Président Dick Cheney, Liz Cheney, ancienne parlementaire, a rapidement pris ses distances avec Trump, dès l’attaque du 6 janvier 2019 contre le Capitole: « DeSantis a tort et semble avoir oublié les leçons de Ronald Reagan… Ce n’est pas un ‘conflit territorial’. Le peuple ukrainien se bat pour sa liberté. Capituler devant Poutine et refuser de défendre la liberté rend l’Amérique plus vulnérable… et la rend plus faible. C’est un soutien indirect à Poutine. L’abandon de l’Ukraine augmenterait la probabilité d’un conflit incluant les adversaires des États-Unis en plus grand nombre ».

De son côté, le sénateur de Caroline du Sud, Lindsey Graham, s’est déclaré « fortement en désaccord » avec la position de DeSantis; il a rappelé les conséquences de la « politique d’apaisement » suivie par la Grande-Bretagne et la France dans les années 30 et le résultat des Accords de Munich en 1938: « une position comme celle de Neville Chamberlain face à l’agression allemande ne peut aboutir favorablement », a-t-il ajouté.

« Je ne sais pas ce qu’il [DeSantis] essaie de faire ou quel est son objectif », a déclaré Mark Rubio, ancien candidat républicain à la présidentielle. Et le sénateur du Texas John Cornyn a déclaré qu’il était « troublé » par les commentaires de DeSantis.

Quant à l’ancien gouverneur du New Jersey, Chris Christie, autre candidat potentiel à la prochaine présidentielle, il a confié que les paroles de DeSantis étaient « naïves, qu’elles méconnaissent le contexte historique » et que d’autres puissances s’imposeront si les États-Unis se retirent du leadership mondial.

Charles Kupperman, Conseiller adjoint à la sécurité dans l’administration Trump, a reconnu que DeSantis avait montré « une certaine ignorance de nos intérêts en ce qui concerne la sécurité nationale ». 

Enfin, Nikki Haley a estimé que le soutien à l’Ukraine est d’une grande importance stratégique pour les États-Unis : « L’Amérique se portera beaucoup mieux avec une victoire ukrainienne; elle évitera une guerre plus étendue… Si la Russie gagne, il n’y a aucune raison de penser qu’elle s’arrêtera à l’occupation de l’Ukraine. »