EDWARD LUCAS Premier vice-président, Centre for European Policy Analysis (CEPA, Varsovie et Washington)

Comme des champignons après la pluie : les armes nucléaires russes au Belarus

Politique
9 avril 2023, 13:10

Une fête sans fleurs ni gâteaux. Pour marquer le 105e anniversaire de la brève période d’existence de l’État biélorusse après la Première Guerre mondiale, Vladimir Poutine a annoncé son intention de déployer des armes nucléaires tactiques dans le pays. Les exercices commenceront en avril et les installations de stockage seront prêtes pour le 1er juillet, a déclaré le dirigeant russe. Cela semble peu probable, étant donné qu’il n’y a aucun signe de travaux de construction pourtant nécessaire. Pour comparer, la construction de ce type de stockage dans la ville voisine de Kaliningrad a duré sept ans.

Quoi qu’il en soit, d’un point de vue militaire, ces plans n’ont pas beaucoup d’importance. Le Kremlin répète régulièrement qu’il va déployer une partie de ses 2 000 armes nucléaires à courte portée dans l’ouest de la Russie. La symbolique est plus importante ici : Poutine prétend agir à la demande du dirigeant biélorusse Alyaksandr Lukashenka (qui préfère la version russe de son nom : Aleksander Lukashenko). Il importe peu de savoir si le dirigeant autocratique de Minsk souhaite réellement disposer d’armes nucléaires. Le déploiement promis montre l’emprise croissante de la Russie sur un petit État voisin à l’ouest.

Cette décision montre également que les tentatives répétées de la Chine pour mettre fin aux menaces nucléaires de la Russie ont échoué. Quelques jours avant l’annonce de M. Poutine, les dirigeants chinois et russes avaient signé une déclaration commune lors de la visite de Xi Jinping à Moscou, stipulant qu’aucune arme nucléaire ne devait être déployée en dehors de leurs frontières et que les systèmes déjà déployés devaient être retirés. Il s’agit d’une allusion claire aux actions des États-Unis, qui conservent environ la moitié de leur arsenal de 200 armes nucléaires non stratégiques en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Italie et en Turquie. Toutefois, étant donné que le Belarus est toujours un État indépendant (et il pourrait bientôt s’avérer que cela n’aurait pas dû être considéré comme acquis), Poutine a violé la règle nouvellement introduite. La Russie enfreint également le traité de non-prolifération nucléaire : les armes américaines en Europe ne sont pas soumises au traité, car elles ont été déployées avant son entrée en vigueur en 1970.

La Russie cherchait apparemment à répondre à la fourniture par le Royaume-Uni d’obus antichars à l’uranium appauvri à l’Ukraine. Ces obus perforants laissent des déchets toxiques, mais n’ont rien à voir avec une réaction nucléaire. Poutine a peut-être aussi été incité par l’anniversaire de la déclaration d’indépendance du Belarus avant la guerre, le 25 mars. Cette date est célébrée par les Biélorusses dans le monde entier, mais pas dans leur pays, où elle est interdite. A cette occasion, les États-Unis ont imposé des sanctions supplémentaires et des interdictions de visa pour quelques hauts fonctionnaires biélorusses.

Ceux qui s’attendent à ce que les mesures prennent effet rapidement, voire pas du tout, devraient se rappeler les enseignements du passé. L’Union européenne a imposé ses premières sanctions au Belarus en 2004, et les États-Unis ont suivi deux ans plus tard. Ces sanctions n’ont pas été totalement inefficaces : par exemple, plusieurs prisonniers politiques ont été libérés. Cependant, d’un point de vue stratégique, elles ont échoué. Loukachenko est toujours à la tête de l’État et utilise des moyens répressifs sans précédent pour se maintenir au pouvoir. Le Belarus est encore plus sous l’emprise du Kremlin. L’opposition est fragmentée et ses leaders sont derrière les barreaux ou en exil. Selon certains, le seul espoir de renverser le régime réside dans une intégration plus étroite de la société bélarussienne avec l’Occident ; or, les sanctions ont l’effet inverse.

Toutefois, la guerre ratée de Poutine en Ukraine offre un nouvel espoir au Belarus. L’impérialisme et le militarisme russes ont renforcé le sentiment d’identité nationale au Belarus, tout comme en Ukraine. Les tentatives d’utiliser l’armée biélorusse en Ukraine risquent de se heurter à la rébellion et à la désertion, tandis que des volontaires biélorusses se battent aux côtés de l’Ukraine.

Le monde extérieur s’inquiète à juste titre pour la reconstruction de l’Ukraine après la guerre. Mais il conviendrait également d’accorder une certaine attention à la question biélorusse. Une défaite russe priverait Loukachenko de son seul protecteur. Une offre rapide d’adhésion à l’Union européenne pourrait conduire à une scission ou au renversement du régime. Après 106 ans de déception, 2024 pourrait devenir l’année où les Biélorusses auront enfin une raison de se réjouir.