Richard Herzinger chroniqueur politique, Berlin

L’Occident doit cesser de douter de lui-même

Politique
25 mars 2023, 10:34

La thèse selon laquelle l’Occident est en train de perdre dramatiquement son influence mondiale a récemment resurgit dans les débats allemands. Ainsi, le critique littéraire Albrecht Koshorke, dans un essai sensationnel de l’hebdomadaire Die Zeit, a prédit qu’à la fin de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, quelle que soit la manière dont elle se terminera, non seulement la Russie sera perdante, mais aussi l’Ukraine et l’Occident.

Les démocraties occidentales seraient discréditées aux yeux des pays du nouveau «Sud global » en raison de leur passé colonial et de leurs doubles standards en matière de droits de l’homme. C’est la raison profonde pour laquelle de nombreux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine ne se joignent pas aux sanctions occidentales contre la Russie agressive. Selon Koschorke, le fait que l’Occident se soit « à nouveau engagé dans une opération militaire probablement sans issue » en Ukraine « est perçu dans l’ancien tiers-monde comme un symptôme de la fin prochaine de l’ordre international dominé par les États-Unis ». L’ « engagement moral de l’Occident envers l’Ukraine » alimente également les soupçons selon lesquels « la souffrance des Blancs est plus importante que la misère des régions du sud de la planète ».

Ce courant de pensée révèle des doutes croissants sur la coopération étroite de l’Allemagne avec l’Occident parmi une grande partie non seulement de l’élite intellectuelle allemande, mais aussi de la société dans son ensemble. Selon un sondage récemment publié, seuls 45% des Allemands sont favorables à ce que la République fédérale fournisse une assistance militaire à d’autres pays de l’OTAN s’ils sont attaqués. 35% s’y opposent, 20% sont indécis. Dans les États fédéraux de l’Est, 49 % rejettent le soutien militaire des partenaires de l’OTAN en cas d’attaque contre eux. Ce faisant, ils nient l’obligation de fournir un soutien dans le cadre de l’alliance atlantique, niant du même coup le fondement sur lequel repose la sécurité de l’Allemagne.

Le concept d‘un « Sud global » unique, créé en opposition à l’Occident autrefois colonial, sert de projection qui devrait fournir une base apparemment « objective » à son propre discours anti-occidental. Puisque l’Occident les a maltraités et continue de le faire, il est compréhensible que les gouvernements des pays du « Sud global » refusent de faire clairement la distinction entre l’agresseur et la victime de l’agression dans la guerre en Ukraine et, comme le président brésilien Loula da Silva, affirment que les deux parties sont d’une certaine manière à blâmer pour la guerre.

Cependant, ni l’injustice commise par le colonialisme européen, ni les erreurs et omissions actuelles de l’Occident ne peuvent justifier la relativisation des normes élémentaires du droit international. Après tout, non seulement l’Occident, mais aussi tous les autres membres de la communauté internationale sont responsables du fonctionnement de l’ordre mondial fondé sur des règles. Se réfugiant derrière le mythe du « Sud mondial » perpétuellement défavorisé, de nombreux gouvernements qui lui sont attribués évitent de se charger de cette responsabilité.

En même temps, leur « anticolonialisme » est majoritairement faux : alors que l’Occident continue d’être blâmé pour son ancien impérialisme, alors même que les empires coloniaux européens sont depuis longtemps passés à l’histoire, les «anticolonialistes » du « Sud global » ignorent pour la plupart le fait que la Fédération de Russie d’aujourd’hui est une entité impériale née à la suite de siècles de colonisation brutale de peuples non russes, et que la guerre russe contre l’Ukraine est une guerre impérialiste contre un peuple qui veut se libérer de l’oppression coloniale.

La République populaire de Chine occupe le Tibet depuis plus de soixante-dix ans, en violation du droit international, a soumis Hong Kong contre les accords internationaux et persécute les Ouïghours en utilisant des méthodes génocidaires. L’Inde, toujours officiellement considérée comme une démocratie, sous la direction autoritaire du nationaliste hindou radical Modi, a ses propres ambitions mondiales, soutenues par des armements militaires. Néanmoins, les idéologues du « Sud global » considèrent toujours lesdits États comme des alliés naturels dans la « lutte anticoloniale ».

L’Occident n’a aucune raison de céder à ces forces, remettant en cause la validité de ses valeurs et sa puissance objective. Ensemble, les démocraties occidentales sont encore plusieurs fois plus puissantes économiquement que leur concurrent le plus puissant, la République populaire de Chine. Bien que les nouvelles autocraties soient parvenues ces dernières années à mettre sur la défensive un Occident qui doutait de lui-même, leurs systèmes de gouvernement criminels ne pourront pas, à long terme, rivaliser avec le dynamisme économique et social et la flexibilité des sociétés démocratiques. Mais c’est précisément ce qui rend les États autoritaires, comme la Russie et la Chine, extrêmement dangereux : ils cherchent à empêcher leur propre faillite en détruisant non seulement les démocraties occidentales, mais aussi en éradiquant l’idée libérale elle-même.

Parce que l’existence même de la démocratie est mortellement dangereuse pour eux. Quel que soit le nombre de soulèvements en faveur de la liberté et des droits de l’homme que l’autoritarisme a réprimés, du Venezuela à Hong Kong en passant par le Bélarus, les sociétés qui cherchent la lumière des valeurs libérales de liberté se relèvent toujours quelque part, comme récemment en Iran et plus récemment en Géorgie.

C’est avec ce capital d’idées que la communauté des démocraties de tous les continents doit nourrir son avenir. Si le monde démocratique associe l’unité, la détermination politique et la puissance militaire à une défense cohérente des libertés dans le monde, il continuera à être la force politique mondiale déterminante.