Serhii Sumlennyi politologue, directeur du European Resilience Initiative Center à Berlin

Comment la Russie va-t-elle se désintégrer et faut-il s’y attendre?

Politique
24 février 2023, 14:36

L’effondrement des empires est un processus généralement difficile à prévoir, car ils diffusent vers l’extérieur et vers l’intérieur l’idée de leur propre invincibilité. Mais les empires s’effondrent régulièrement, non seulement de manière inattendue, mais aussi extrêmement rapidement. Le même sort attend la Russie.

L’une des questions les plus fréquemment posées dans les discussions sur la désintégration de la Fédération de la Russie est de savoir si cela est possible, car aujourd’hui nous ne voyons pas de mouvements de libération nationale permanents et articulés. En conséquence, beaucoup pensent que s’il n’existe pas en Russie de parti officiellement enregistré pour un Tatarstan libre ou s’il n’y a pas de manifestations séparatistes régulières à Oufa ou à Izhevsk, il n’y a aucune chance que la Russie se désintègre.

Cette évaluation contient une grave erreur. Dans des conditions de forte pression policière et de manque d’opportunités de manifester légalement, les sentiments séparatistes ne peuvent être formalisés ni même ouvertement exprimés. De plus, le saut d’humeur contre l’apathie conditionnelle au soutien actif de l’idée d’indépendance peut être instantané. On se souvient comment le 17 mars 1991, lors du référendum sur la préservation de l’URSS, plus de 70% des Ukrainiens qui y ont participé ont voté pour la préservation de l’Union. Par rapport à la quantité d’habitants, il était de 58 %. Mais déjà en décembre de la même année, 90,3% des participants, soit 75,98% de la population, ont soutenu la déclaration d’indépendance lors du référendum pan-ukrainien. Qu’est-il arrivé à l’humeur du public pendant ces mois ?


PHOTO Affiche de 1991. Source: poltava365.com

Premièrement, le gouvernement quasiment impérial central a montré sa faiblesse en août 1991, lorsque les communistes radicaux ont organisé un putsch et ont échoué. Deuxièmement, la Verkhovna Rada d’Ukraine (le Parlement ukrainien) a adopté l’acte de déclaration d’indépendance, créant le format et la direction du nouveau mouvement. La population, qui ne croyait pas à l’indépendance 9 mois auparavant, s’est retrouvée dans de nouvelles conditions et les a immédiatement acceptées.
Il n’y a aucune raison de penser que la désintégration de la Russie se fera selon d’autres règles. Il est évident que ce processus sera une continuation, un dégel de l’effondrement de l’URSS et suivra ses schémas. Tout comme la Seconde Guerre mondiale était en quelque sorte une continuation de la Première Guerre mondiale après l’armistice de 1918-1939 (???) et a mis fin à la tentative de l’Allemagne de dominer militairement l’Europe, la désintégration de la Russie achèvera les processus qui ont commencé dans les années 1980.

Il ne faut pas oublier qu’en 1990-1991, non seulement les républiques composantes de l’URSS ont déclaré leur indépendance. À partir de juillet 1990, Bachkortostan et Tatarstan, Tchouvachie et Komi, Mari-El et Kalmoukie, Sakha et Bouriatie, Tyva et Oudmourtie ont déclaré leur souveraineté d’État, soit au total quinze régions de la Russie fédérative. La plupart de ces régions ont aujourd’hui des Constitutions dont le premier article stipule qu’elles sont des États souverains qui entretiennent des relations avec la Fédération de Russie sur la base de traités de partage du pouvoir. Évidemment, ces normes sont « dormantes, » mais elles peuvent être activées à tout moment, tel le droit des républiques soviétiques à l’autodétermination qui a été activé en même temps que Moscou a démontré son incapacité à garder l’empire sous contrôle. Les tentatives constantes de Moscou pour hiérarchiser ces constitutions – par exemple, dépouiller les dirigeants des républiques de leur statut présidentiel, ce qui s’est produit ces dernières années – ne feront qu’intensifier ce processus, donnant aux républiques des arguments supplémentaires pour énumérer les griefs résultant de ce que Moscou a infligé à leur peuple.

Qui sera le premier fou ?
En pensant à l’effondrement de la Russie, il ne faut pas craindre de faire des suppositions. Après tout, sans hypothèses audacieuses, nous nous retrouvons dans la logique de George Bush père, qui était sûr de la stabilité de l’existence de l’URSS en août 1991, lorsqu’il s’est rendu à Kyiv et a appelé les députés ukrainiens à demeurer sous l’empire de Moscou. Il est évident que les régions russes sont remplies de conflits internes, qui peuvent jouer le même rôle dans la désintégration de la Russie que les conflits des années 1980 .


PHOTO Le terme « charge 200 » (gruz 200 :transport funéraire – ndlr ) est apparu et est entré en circulation précisément pendant la guerre en Afghanistan

Alors, à quoi pourrait ressembler l’effondrement de la Russie ? Comme nous l’avons rappelé, l’effondrement d’un empire commence généralement par une démonstration de la faiblesse de la métropole. Pour l’URSS, une telle faiblesse était la défaite en Afghanistan, mais plus encore, l’incapacité de reconstruire un système économique fonctionnel ou la possibilité pour les élites du parti de transformer leur pouvoir (et leur propriété semi-clandestine) en un héritage légal pour leur enfants. L’URSS a finalement commencé à s’effondrer lorsque les élites républicaines ont compris qu’il était inutile de s’accrocher à Moscou. Les premiers secrétaires communistes et membres du Politburo du Comité central du PCUS Aliyev, Chevardnadze, Kravtchouk et Nazarbaïev se sont instantanément transformés en dirigeants d’États indépendants. Ils ont donc écarté la vassalité toxique de Moscou. Déjà en 1992, leur ancien patron Mikhaïl Gorbatchev était un retraité politique dépendant des revenus de cours dispensés dans les universités occidentales, et ils ont dirigé les États membres de l’ONU. Certains d’entre eux, comme Nazarbayev, ont reçu le pouvoir presque à vie, tandis que d’autres, comme Aliyev, ont fondé des quasi-monarchies avec transfert du pouvoir à leurs enfants.

Probablement, selon le même scénario, la désintégration de la Russie aura lieu un jour. Les dirigeants du Tatarstan et du Bachkortostan, d’Oudmourtie et de Sakha pourront échapper à la pression de Moscou, obtenir des indulgences pour effacer leur participation à l’édification du régime de Poutine et se garantir une stabilité financière par le commerce international direct. Le seul chef de région pour lequel l’effondrement de la Russie posera un risque important est Ramzan Kadyrov qui devra faire face à une vengeance brutale de la part des Tchétchènes dont il a tué des proches. Tous les autres dirigeants régionaux ne perdront rien à l’effondrement de la Russie, mais en tireront au contraire un avantage considérable.


PHOTO Les plus grands gisements de pétrole russe (jusqu’à présent) sont concentrés dans le district autonome de Yamalo-Nenets

N’oublions pas que la plupart des ressources naturelles de la Russie, qui ont rempli le budget de Moscou, se trouvent précisément dans les entrailles des républiques nationales. L’Okrug autonome de Yamalo-Nenets possède 40. 000 milliards de mètres cubes de gaz, le chiffre le plus élevé, suivi de la région d’Astrakhan avec 4 mille milliards de mètres cubes. Les leaders des champs pétrolifères sont le district de Khanty-Mansiysk, le district de Yamalo-Nenets et le Tatarstan. Dans le même temps, l’économie russe se construit sur la redistribution des ressources des régions vers Moscou. De 2010 à 2019, les projets urbains à Moscou ont coûté 1.500 milliards de roubles, tandis que les autres régions russes ont dépensé 1.700 milliards pour des projets similaires. Le budget de Moscou a atteint 2.800 milliards de roubles en 2019, suivi de Saint-Pétersbourg avec un budget de 665 milliards, et 8 autres villes russes qui avaient des budgets compris entre 10 et 44 milliards de roubles. La possibilité de contrôler son propre argent pourrait devenir l’un des facteurs importants qui encouragerait les élites locales à quitter la Russie.


PHOTO Le palais présidentiel de Grozny, janvier 1995. Source: wikipedia.org

Mais tout séparatisme est associé à de grands risques. Moscou a déjà démontré en 1994-2000 en Tchétchénie à quoi le pouvoir central est prêt pour garder le contrôle des territoires. Par conséquent, la désintégration de la Russie ne pourra commencer qu’après que les régions auront constaté l’incompétence militaire et policière de Moscou.

Les troubles dans le Caucase du Nord ou dans d’autres régions pauvres et socialement vulnérables, avec apparemment une grande partie de la population islamique qui se sentait opprimée en Russie, seront probablement le premier déclencheur de la désintégration. La cause des émeutes peut être n’importe quoi. En décembre 1986, des manifestations de masse ont commencé à Alma-Ata (aujourd’hui Almaty -ndlr) parce que les étudiants étaient offensés par la nomination du représentant de l’ethnie russe Kolbin au poste de premier secrétaire du parti communiste de la RSS du Kazakhstan. En mai 1989, les émeutes de masse à Ferghana en Ouzbékistan ont commencé par des conflits ethniques entre les Ouzbeks et les Turcs meskhètes. Il y a beaucoup de situations conflictuelles similaires en Fédération de Russie qui n’en manque pas. Nous pouvons nous souvenir des manifestations de masse, y compris des confrontations physiques avec la police anti-émeute au Bachkortostan (Bachkirie) où les habitants ont défendu les collines sacrées (les shikhans) contre la destruction par les sociétés minières; ou encore les manifestations dans le Nord-Ouest de la Russie, à savoir dans la région de Mourmansk, où les habitants ont arrêté des camions transportant les ordures en provenance de la riche Moscou.


PHOTO Manifestations à Almaty en décembre 1986

Il est impossible de prédire quelle sera l’impulsion cette fois-ci. Il peut s’agir de protestations dues à la mobilisation forcée de la jeunesse dans les républiques caucasiennes ou à la suppression de la langue et à l’auto-immolation de scientifiques en Oudmourtie, région de l’Oural, ou encore au viol de femmes ou de filles de la population locale par des Russes. De telles protestations sont idéales pour lancer le processus de désintégration, car elles peuvent se développer soudainement, elles sont presque impossibles à prévoir ou à arrêter. Nous ne savons pas ce qui va enflammer la situation cette fois. En fait, ce n’est pas important, ce qui l’est, c’est le nombre de jeunes mécontents, la présence de contacts sociaux horizontaux et la possibilité d’une mobilisation spontanée rapide, par exemple pour des motifs ethniques ou religieux. Si la police de Moscou ne peut contrôler la situation dans aucun village de ces régions, d’autres dirigeants régionaux seront convaincus de l’incapacité de Moscou.

Après cela, la véritable parade des souverainetés peut commencer. Le rôle clé ne sera plus joué par une jeunesse spontanément unie, mais par des dirigeants régionaux cyniques qui étaient fidèles à Poutine jusqu’à hier. Comme en Ukraine le communiste Kravtchouk a utilisé les idées de l’idéologue Viatcheslav Tchornovil (il fut dirigeant du Mouvement populaire ukrainien, Roukh-ndlr) pour la transition du pouvoir. Au Tatarstan et au Bachkortostan, les élites régionales de Poutine adopteront les slogans des militants naïfs qui rêvent d’indépendance, mais n’ont pas de contrôle ni sur l’appareil d’État ni sur les ressources.


PHOTO Début février 2022, le bataillon tatar de Kazan « Alga » a été lancé pour prendre d’assaut les positions ukrainiennes dans le Donbass. Le nombre exact de morts est encore inconnu

Fait intéressant, les élites de la Russie centrale semblent déjà ressentir une menace similaire, c’est pourquoi nous voyons la société d’État Gazprom créer sa propre société militaire privée, apparemment dans le but de garder sous contrôle les gisements de gaz et les infrastructures clés. Mais ici, nous assistons aussi à des processus différents : la création de bataillons nationaux de volontaires par des élites régionales, prétendument aux fins de la guerre en Ukraine, comme le bataillon tatar « Alga, » peut en fait être la première tentative de former des points de cristallisation des armées futures. Comme les fusiliers ukrainiens de la Sitch (Sitchovi Striltsi -ndlr) avaient été formés en 1914 à partir de l’unité nationale de l’armée austro-hongroise, les bataillons nationaux des républiques sous le contrôle de la Russie peuvent rapidement devenir la force de combat des nouveaux États.

Voie des régions russes aux États post-russes

Sera-t-il possible et rapide de reconnaître de nouveaux États ? Paradoxalement, l’un des principaux opposants à ce processus risque d’être l’Occident collectif. Ce sont les craintes occidentales d’un chaos sur le territoire de la Russie qui peuvent se transformer en un frein qui empêchera la reconnaissance des régions. Dans le même temps, le processus de reconnaissance dépendra principalement de la stabilité du contrôle de ces États sur leur propre territoire. S’il est démontré, l’Occident n’aura qu’à reconnaître le nouveau statu quo.

La théorie la plus conservatrice du droit de l’État allemand nous dit que trois choses font un État : la nation étatique (Staatsvolk), le territoire étatique (Staatsgebiet) et le pouvoir étatique (Staatsgewalt). Cela signifie qu’un État a besoin de personnes qui s’identifient à lui et qui peuvent dire qui appartient à leur communauté et qui n’y appartient pas. Il a besoin d’un territoire plus ou moins clairement identifié auquel il prétend. Et il a également besoin d’un système pour exercer un contrôle sur ce territoire.

Il existe plusieurs républiques en Russie qui peuvent déjà remplir ces conditions. C’est précisément le Tatarstan et le Bachkortostan, et peut-être la Kalmoukie (bordant la Caspienne et majoritairement bouddiste -ndlr) et Sakha. Les peuples de ces républiques possèdent une auto-identification claire : de la langue et de la religion au phénotype, qui les distingue des Russes. Dans toutes les régions, à l’exception de Sakha, l’État-nation constitue la majorité de la population. En effet, la République de Sakha ou Yakoutie ne compte formellement que 49,9% de Yakoutes, mais les Russes sont une minorité, car, outre les autochtones, y vivent des Evenks, des Ukrainiens et des Tatars, soit près de 10% au total). Le Tatarstan et le Bachkortostan ont une population de plus de 4 millions d’habitants, similaire à la Slovaquie et deux fois plus grande que la Lettonie.


PHOTO Rassemblement au Tatarstan en 1990

Les frontières des républiques sont clairement définies dans les Constitutions, les républiques ont leurs propres organes étatiques : le président (chef de la république), le parlement, la cour suprême. Certains d’entre eux ont plusieurs siècles d’édification de l’État ou une histoire de résistance nationale. Au 18ème siècle, les Bachkirs se sont révoltés si souvent qu’ils ont finalement été interdits d’être forgerons, pour les empêcher de fabriquer des armes. Bashkir Salavat Yulaev était le bras droit du chef du soulèvement Yemelyan Pugachev et commandait la cavalerie bachkir. Dans la mythologie du régime soviétique, Yulaev a été déclaré combattant contre le tsarisme, donc presque chaque village bachkir a une rue portant son nom, et l’on trouve aussi ses monuments dans les villes. La principale équipe de hockey du Bachkortostan et un certain nombre d’entreprises portent le nom de Yulayev. Il est très commode de construire une idée nationale sur cette histoire lors de la déclaration d’indépendance. Les Bachkirs ont leurs propres symboles, y compris un drapeau, armoiries, hymne et même l’instrument de musique national le kourai, une sorte de flûte. C’est plus que suffisant pour assurer la construction d’un État national avec une idée nationale.


PHOTO Monument à Salavat Yulayev à Oufa

De la même manière, les Tatars pourront construire une nouvelle identité basée sur leur propre histoire grâce à de nombreux poètes et écrivains du début du XXe siècle et à l’histoire de la résistance nationale à l’invasion de Moscou. Ce n’est pas pour rien que les nationalistes tatars célèbrent encore l’anniversaire de la prise de Kazan par Ivan IV le Terrible au XVIe siècle comme un jour de deuil, cela unira la nation autour des souvenirs de son statut d’État perdu.
Bien sûr, de nombreuses régions seront moins chanceuses. Il est difficile d’imaginer que des régions fortement russifiées ou très pauvres comme l’Oudmourtie, la Tchouvachie ou la Bouriatie et l’Altaï pourront rapidement construire leur propre État. Vraisemblablement, leur sort dépendra de la rapidité avec laquelle le Tatarstan, le Bachkortostan et d’autres États situés en Russie centrale déclareront leur indépendance. Si cela se produit rapidement, la Russie sera géographiquement déchirée en deux et perdra son unité logistique. Contrairement à la situation en 1990, de nouveaux États seront créés non pas à la périphérie, mais au milieu de l’empire.

Dans ce cas, même des régions peu puissantes peuvent rejoindre des mouvements séparatistes. Il est tout à fait possible de s’attendre à la création d’une fédération des peuples Volga et Kama : elle réunira des nations asservies avec une population plus petite que celles du Tatarstan ou du Bachkortostan. La Sibérie pourrait créer une autre construction supranationale flexible, apparemment sous le contrôle économique et le protectorat politique de la Chine. Une concurrence d’influence dans l’espace post-russe aura lieu entre la Turquie, l’Azerbaïdjan et, probablement, le Kazakhstan (peuples turcs), la Chine (Sibérie) et l’Ukraine (Caucase du Nord, Kouban, Volga, Russie centrale). Une fois lancé, le mouvement de libération couvrira le maximum de régions, ne laissant au sein de la Russie (Moscovie) que des territoires qui s’associent clairement au récit russe et n’ont pas de stratégies pour échapper à la logique impériale.

Que doit faire l’Ukraine?

L’Ukraine devrait considérer l’effondrement de la Russie exclusivement à travers le prisme de scénarios pour assurer sa propre sécurité stratégique. La sécurité stratégique, c’est la vie en situation de paix pendant au moins 20-30 ans. C’est la présence de 30 ans d’indépendance de l’Ukraine avant l’invasion russe à grande échelle qui a permis à l’Ukraine d’avoir suffisamment de personnes qui s’associent pleinement à l’Ukraine et sont prêtes à se battre pour son existence. Une invasion d’une ampleur similaire en 2010 se serait terminée par un résultat complètement différent. Au cours des 30 prochaines années, l’Ukraine doit exister sans dépenses effrénées liées à la lutte constante contre la menace russe afin de réaliser un bond durable de son influence économique et politique en Europe. C’est pourquoi, après cette guerre, nous devrions parler exclusivement de scénarios de sécurité durable.

En simplifiant, il existe trois scénarios de ce type. Tous prédisent la victoire de l’Ukraine (l’autre format ne mentionne pas du tout la sécurité) et ne diffèrent que par les conséquences d’une victoire ukrainienne pour la Russie.

Premier scénario: la Russie reste dans sa forme moderne, soit Poutine, soit un de ses proches reste au pouvoir. C’est un mauvais scénario, car il implique la poursuite de la subversion russe contre l’Ukraine. La menace d’invasion ne disparaîtra pas. La seule bonne chose pour l’Ukraine dans ce scénario est que la plupart des sanctions resteront en place et que la société ukrainienne et l’UE comprendront que la confrontation avec Moscou se poursuit.

Le deuxième scénario: après la défaite, un changement de régime se produit en Russie, une opposition libérale conditionnelle arrive au pouvoir, ou (plus probablement) des responsables de Poutine qui veulent ressembler à une opposition libérale, par exemple, un responsable local qui a commencé à critiquer Poutine dans le temps, une sorte de nouvel Eltsine. C’est le pire scénario pour l’Ukraine, car l’Occident collectif utilisera ce calendrier pour répéter toutes les erreurs des années 1990 et tentera d’accepter la Russie comme un partenaire sûr sans aucune démilitarisation ni démocratisation. Pour l’Ukraine, cela signifie que la nouvelle guerre viendra de la Russie, qui, comme récemment, sera perçue par l’Occident comme un pays supposé normal.

Le troisième scénario est la désintégration de la Russie, qui conduira à une réduction significative de son potentiel agressif. Même si tous les nouveaux États ont des ambitions impériales et ne sont pas des démocraties libérales, la possibilité de mener une guerre à grande échelle est considérablement réduite lorsqu’un pays a une population de 20 à 50 millions d’habitants au lieu de 140 et ne possède pas d’armes nucléaires. Même la Moscovie la plus agressive, avec une population de 40 à 60 millions d’habitants (moins que la Pologne et l’Ukraine réunies) et sans armes nucléaires, n’oserait pas attaquer l’Ukraine et serait contrainte de restreindre ses ambitions.

Par conséquent, l’intérêt stratégique de l’Ukraine est d’accélérer la désintégration de la Russie en plusieurs États indépendants, qui seront intégrés dans le système de sécurité mondial. Bien sûr, la désintégration de la Russie ne se fera pas rapidement. Mais il dépend de l’Ukraine de veiller à ce que les mouvements nationaux potentiels en Fédération de Russie bénéficient d’un soutien international légal (par exemple, la reconnaissance de leur statut d’État, ce qui est déjà le cas) ou de plates-formes de discussion sûres, y compris scientifiques, sur leur statut d’État.

De plus, aussi séduisante que soit la perspective de punir tous les Russes, y compris les représentants des régions ethniques, après les crimes d’une invasion russe à grande échelle, il est stratégiquement plus intéressant pour l’Ukraine de promouvoir un développement pacifique dans les nouveaux États ethniques voisins, car c’est un moyen plus efficace et moins coûteux de neutraliser définitivement l’idée impériale russe, qui utilise depuis longtemps les groupes ethniques conquis comme chair à canon.