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[post_content] => Le 1er avril, la Russie a pris la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU. C'est la « goutte d’eau qui fait déborder le vase » de l'argument selon lequel l'Ukraine a besoin de nouveaux mécanismes de sécurité internationale. À la mi-mars, la Cour pénale internationale a placé le président russe Vladimir Poutine sur la liste des personnes recherchées, l'accusant de crimes de guerre. Dans le même temps, les Nations unies ont déclaré que la Russie avait apparemment déporté de force au moins plusieurs centaines d'enfants d'Ukraine, ce qui correspond à la définition du génocide en vertu de la convention des Nations unies. Mais deux semaines plus tard, la Russie - un pays accusé de génocide, dont le dirigeant et le peuple bien-aimé sont sur la liste internationale des personnes recherchées - a pris la présidence du Conseil de sécurité des Nations unies, l'organe suprême de toutes les institutions internationales. Bien entendu, cette transition temporaire de la présidence du Conseil de sécurité est une formalité. Chaque pays membre du Conseil de sécurité, qu'il s'agisse de membres permanents ou temporaires, occupe la présidence pendant un mois dans l'ordre alphabétique des noms de pays. Cependant, dans le contexte de la guerre génocidaire de la Russie contre l'Ukraine, ce formalisme est devenu un signe clair que le système de sécurité international n'a pas réussi à répondre aux menaces réelles. Si l'Ukraine, mais aussi l'Europe, veulent que notre système de sécurité et de coopération ne se transforme pas en un mauvais poisson d'avril, des changements s'imposent. Conséquences des vieux compromis Avant de lutter pour le changement, il est nécessaire de comprendre exactement ce que nous voulons changer, ainsi que pourquoi et comment nous nous sommes retrouvés dans un monde où un État terroriste occupe la place principale dans le système de sécurité mondial. De nombreuses règles de l'ordre mondial moderne ont été conclues comme des compromis temporaires entre le monde démocratique occidental et l'empire soviétique totalitaire. L'ONU n'a pas été créée en tant qu'organisation recherchant un monde juste - elle a été créée par l'URSS criminelle autant que par les États-Unis démocratiques. Les objectifs de l'ONU étaient totalement différents. Premièrement, elle a été conçue comme un mécanisme pour la destruction finale du militarisme allemand et japonais, et pour l'assujettissement d'un certain nombre d'autres pays. C'est pourquoi la Charte des Nations Unies contient l'article 53, qui parle d' « États ennemis » contre lesquels la force peut être utilisée même sans résolution du Conseil de sécurité, ainsi que l'article 77, qui fait référence à l'annexion de territoires d' « États ennemis ». Deuxièmement, l'ONU a été mise en place en tant que mécanisme de restructuration du monde en faveur des États victorieux de la seconde guerre mondiale. Par conséquent, tout État ayant combattu pendant la seconde guerre mondiale contre l'une des puissances fondatrices de l'ONU devient un « État ennemi » (article 53, paragraphe 2), et de nombreux peuples asservis en quête de liberté deviennent des nations sous la « tutelle » des anciennes métropoles. Enfin, à long terme, l'ONU aurait dû établir l'hégémonie de quelques-uns des plus grands États gagnants - car ils se sont assurés un avantage à grande échelle sur tous les autres en devenant membres permanents du Conseil de sécurité.


PHOTO Affiche de 1991. Source: poltava365.com Premièrement, le gouvernement quasiment impérial central a montré sa faiblesse en août 1991, lorsque les communistes radicaux ont organisé un putsch et ont échoué. Deuxièmement, la Verkhovna Rada d'Ukraine (le Parlement ukrainien) a adopté l'acte de déclaration d'indépendance, créant le format et la direction du nouveau mouvement. La population, qui ne croyait pas à l'indépendance 9 mois auparavant, s'est retrouvée dans de nouvelles conditions et les a immédiatement acceptées.
Il n'y a aucune raison de penser que la désintégration de la Russie se fera selon d'autres règles. Il est évident que ce processus sera une continuation, un dégel de l'effondrement de l'URSS et suivra ses schémas. Tout comme la Seconde Guerre mondiale était en quelque sorte une continuation de la Première Guerre mondiale après l'armistice de 1918-1939 (???) et a mis fin à la tentative de l'Allemagne de dominer militairement l'Europe, la désintégration de la Russie achèvera les processus qui ont commencé dans les années 1980. Il ne faut pas oublier qu'en 1990-1991, non seulement les républiques composantes de l'URSS ont déclaré leur indépendance. À partir de juillet 1990, Bachkortostan et Tatarstan, Tchouvachie et Komi, Mari-El et Kalmoukie, Sakha et Bouriatie, Tyva et Oudmourtie ont déclaré leur souveraineté d'État, soit au total quinze régions de la Russie fédérative. La plupart de ces régions ont aujourd'hui des Constitutions dont le premier article stipule qu'elles sont des États souverains qui entretiennent des relations avec la Fédération de Russie sur la base de traités de partage du pouvoir. Évidemment, ces normes sont « dormantes, » mais elles peuvent être activées à tout moment, tel le droit des républiques soviétiques à l'autodétermination qui a été activé en même temps que Moscou a démontré son incapacité à garder l'empire sous contrôle. Les tentatives constantes de Moscou pour hiérarchiser ces constitutions - par exemple, dépouiller les dirigeants des républiques de leur statut présidentiel, ce qui s'est produit ces dernières années - ne feront qu'intensifier ce processus, donnant aux républiques des arguments supplémentaires pour énumérer les griefs résultant de ce que Moscou a infligé à leur peuple. Qui sera le premier fou ? En pensant à l'effondrement de la Russie, il ne faut pas craindre de faire des suppositions. Après tout, sans hypothèses audacieuses, nous nous retrouvons dans la logique de George Bush père, qui était sûr de la stabilité de l'existence de l'URSS en août 1991, lorsqu'il s'est rendu à Kyiv et a appelé les députés ukrainiens à demeurer sous l'empire de Moscou. Il est évident que les régions russes sont remplies de conflits internes, qui peuvent jouer le même rôle dans la désintégration de la Russie que les conflits des années 1980 .
PHOTO Le terme "charge 200" (gruz 200 :transport funéraire - ndlr ) est apparu et est entré en circulation précisément pendant la guerre en Afghanistan Alors, à quoi pourrait ressembler l'effondrement de la Russie ? Comme nous l'avons rappelé, l'effondrement d'un empire commence généralement par une démonstration de la faiblesse de la métropole. Pour l'URSS, une telle faiblesse était la défaite en Afghanistan, mais plus encore, l'incapacité de reconstruire un système économique fonctionnel ou la possibilité pour les élites du parti de transformer leur pouvoir (et leur propriété semi-clandestine) en un héritage légal pour leur enfants. L'URSS a finalement commencé à s'effondrer lorsque les élites républicaines ont compris qu'il était inutile de s'accrocher à Moscou. Les premiers secrétaires communistes et membres du Politburo du Comité central du PCUS Aliyev, Chevardnadze, Kravtchouk et Nazarbaïev se sont instantanément transformés en dirigeants d'États indépendants. Ils ont donc écarté la vassalité toxique de Moscou. Déjà en 1992, leur ancien patron Mikhaïl Gorbatchev était un retraité politique dépendant des revenus de cours dispensés dans les universités occidentales, et ils ont dirigé les États membres de l'ONU. Certains d'entre eux, comme Nazarbayev, ont reçu le pouvoir presque à vie, tandis que d'autres, comme Aliyev, ont fondé des quasi-monarchies avec transfert du pouvoir à leurs enfants. Probablement, selon le même scénario, la désintégration de la Russie aura lieu un jour. Les dirigeants du Tatarstan et du Bachkortostan, d'Oudmourtie et de Sakha pourront échapper à la pression de Moscou, obtenir des indulgences pour effacer leur participation à l'édification du régime de Poutine et se garantir une stabilité financière par le commerce international direct. Le seul chef de région pour lequel l'effondrement de la Russie posera un risque important est Ramzan Kadyrov qui devra faire face à une vengeance brutale de la part des Tchétchènes dont il a tué des proches. Tous les autres dirigeants régionaux ne perdront rien à l'effondrement de la Russie, mais en tireront au contraire un avantage considérable.
PHOTO Les plus grands gisements de pétrole russe (jusqu'à présent) sont concentrés dans le district autonome de Yamalo-Nenets N'oublions pas que la plupart des ressources naturelles de la Russie, qui ont rempli le budget de Moscou, se trouvent précisément dans les entrailles des républiques nationales. L'Okrug autonome de Yamalo-Nenets possède 40. 000 milliards de mètres cubes de gaz, le chiffre le plus élevé, suivi de la région d'Astrakhan avec 4 mille milliards de mètres cubes. Les leaders des champs pétrolifères sont le district de Khanty-Mansiysk, le district de Yamalo-Nenets et le Tatarstan. Dans le même temps, l'économie russe se construit sur la redistribution des ressources des régions vers Moscou. De 2010 à 2019, les projets urbains à Moscou ont coûté 1.500 milliards de roubles, tandis que les autres régions russes ont dépensé 1.700 milliards pour des projets similaires. Le budget de Moscou a atteint 2.800 milliards de roubles en 2019, suivi de Saint-Pétersbourg avec un budget de 665 milliards, et 8 autres villes russes qui avaient des budgets compris entre 10 et 44 milliards de roubles. La possibilité de contrôler son propre argent pourrait devenir l'un des facteurs importants qui encouragerait les élites locales à quitter la Russie.
PHOTO Le palais présidentiel de Grozny, janvier 1995. Source: wikipedia.org Mais tout séparatisme est associé à de grands risques. Moscou a déjà démontré en 1994-2000 en Tchétchénie à quoi le pouvoir central est prêt pour garder le contrôle des territoires. Par conséquent, la désintégration de la Russie ne pourra commencer qu'après que les régions auront constaté l'incompétence militaire et policière de Moscou. Les troubles dans le Caucase du Nord ou dans d'autres régions pauvres et socialement vulnérables, avec apparemment une grande partie de la population islamique qui se sentait opprimée en Russie, seront probablement le premier déclencheur de la désintégration. La cause des émeutes peut être n'importe quoi. En décembre 1986, des manifestations de masse ont commencé à Alma-Ata (aujourd’hui Almaty -ndlr) parce que les étudiants étaient offensés par la nomination du représentant de l'ethnie russe Kolbin au poste de premier secrétaire du parti communiste de la RSS du Kazakhstan. En mai 1989, les émeutes de masse à Ferghana en Ouzbékistan ont commencé par des conflits ethniques entre les Ouzbeks et les Turcs meskhètes. Il y a beaucoup de situations conflictuelles similaires en Fédération de Russie qui n’en manque pas. Nous pouvons nous souvenir des manifestations de masse, y compris des confrontations physiques avec la police anti-émeute au Bachkortostan (Bachkirie) où les habitants ont défendu les collines sacrées (les shikhans) contre la destruction par les sociétés minières; ou encore les manifestations dans le Nord-Ouest de la Russie, à savoir dans la région de Mourmansk, où les habitants ont arrêté des camions transportant les ordures en provenance de la riche Moscou.
PHOTO Manifestations à Almaty en décembre 1986 Il est impossible de prédire quelle sera l'impulsion cette fois-ci. Il peut s'agir de protestations dues à la mobilisation forcée de la jeunesse dans les républiques caucasiennes ou à la suppression de la langue et à l'auto-immolation de scientifiques en Oudmourtie, région de l’Oural, ou encore au viol de femmes ou de filles de la population locale par des Russes. De telles protestations sont idéales pour lancer le processus de désintégration, car elles peuvent se développer soudainement, elles sont presque impossibles à prévoir ou à arrêter. Nous ne savons pas ce qui va enflammer la situation cette fois. En fait, ce n'est pas important, ce qui l’est, c'est le nombre de jeunes mécontents, la présence de contacts sociaux horizontaux et la possibilité d'une mobilisation spontanée rapide, par exemple pour des motifs ethniques ou religieux. Si la police de Moscou ne peut contrôler la situation dans aucun village de ces régions, d'autres dirigeants régionaux seront convaincus de l'incapacité de Moscou. Après cela, la véritable parade des souverainetés peut commencer. Le rôle clé ne sera plus joué par une jeunesse spontanément unie, mais par des dirigeants régionaux cyniques qui étaient fidèles à Poutine jusqu'à hier. Comme en Ukraine le communiste Kravtchouk a utilisé les idées de l'idéologue Viatcheslav Tchornovil (il fut dirigeant du Mouvement populaire ukrainien, Roukh-ndlr) pour la transition du pouvoir. Au Tatarstan et au Bachkortostan, les élites régionales de Poutine adopteront les slogans des militants naïfs qui rêvent d'indépendance, mais n'ont pas de contrôle ni sur l'appareil d'État ni sur les ressources.
PHOTO Début février 2022, le bataillon tatar de Kazan « Alga » a été lancé pour prendre d'assaut les positions ukrainiennes dans le Donbass. Le nombre exact de morts est encore inconnu Fait intéressant, les élites de la Russie centrale semblent déjà ressentir une menace similaire, c'est pourquoi nous voyons la société d'État Gazprom créer sa propre société militaire privée, apparemment dans le but de garder sous contrôle les gisements de gaz et les infrastructures clés. Mais ici, nous assistons aussi à des processus différents : la création de bataillons nationaux de volontaires par des élites régionales, prétendument aux fins de la guerre en Ukraine, comme le bataillon tatar « Alga, » peut en fait être la première tentative de former des points de cristallisation des armées futures. Comme les fusiliers ukrainiens de la Sitch (Sitchovi Striltsi -ndlr) avaient été formés en 1914 à partir de l'unité nationale de l'armée austro-hongroise, les bataillons nationaux des républiques sous le contrôle de la Russie peuvent rapidement devenir la force de combat des nouveaux États. Voie des régions russes aux États post-russes Sera-t-il possible et rapide de reconnaître de nouveaux États ? Paradoxalement, l'un des principaux opposants à ce processus risque d'être l'Occident collectif. Ce sont les craintes occidentales d'un chaos sur le territoire de la Russie qui peuvent se transformer en un frein qui empêchera la reconnaissance des régions. Dans le même temps, le processus de reconnaissance dépendra principalement de la stabilité du contrôle de ces États sur leur propre territoire. S'il est démontré, l'Occident n'aura qu’à reconnaître le nouveau statu quo. La théorie la plus conservatrice du droit de l'État allemand nous dit que trois choses font un État : la nation étatique (Staatsvolk), le territoire étatique (Staatsgebiet) et le pouvoir étatique (Staatsgewalt). Cela signifie qu'un État a besoin de personnes qui s'identifient à lui et qui peuvent dire qui appartient à leur communauté et qui n’y appartient pas. Il a besoin d'un territoire plus ou moins clairement identifié auquel il prétend. Et il a également besoin d'un système pour exercer un contrôle sur ce territoire. Il existe plusieurs républiques en Russie qui peuvent déjà remplir ces conditions. C'est précisément le Tatarstan et le Bachkortostan, et peut-être la Kalmoukie (bordant la Caspienne et majoritairement bouddiste -ndlr) et Sakha. Les peuples de ces républiques possèdent une auto-identification claire : de la langue et de la religion au phénotype, qui les distingue des Russes. Dans toutes les régions, à l'exception de Sakha, l'État-nation constitue la majorité de la population. En effet, la République de Sakha ou Yakoutie ne compte formellement que 49,9% de Yakoutes, mais les Russes sont une minorité, car, outre les autochtones, y vivent des Evenks, des Ukrainiens et des Tatars, soit près de 10% au total). Le Tatarstan et le Bachkortostan ont une population de plus de 4 millions d'habitants, similaire à la Slovaquie et deux fois plus grande que la Lettonie.
PHOTO Rassemblement au Tatarstan en 1990 Les frontières des républiques sont clairement définies dans les Constitutions, les républiques ont leurs propres organes étatiques : le président (chef de la république), le parlement, la cour suprême. Certains d'entre eux ont plusieurs siècles d'édification de l'État ou une histoire de résistance nationale. Au 18ème siècle, les Bachkirs se sont révoltés si souvent qu'ils ont finalement été interdits d'être forgerons, pour les empêcher de fabriquer des armes. Bashkir Salavat Yulaev était le bras droit du chef du soulèvement Yemelyan Pugachev et commandait la cavalerie bachkir. Dans la mythologie du régime soviétique, Yulaev a été déclaré combattant contre le tsarisme, donc presque chaque village bachkir a une rue portant son nom, et l’on trouve aussi ses monuments dans les villes. La principale équipe de hockey du Bachkortostan et un certain nombre d'entreprises portent le nom de Yulayev. Il est très commode de construire une idée nationale sur cette histoire lors de la déclaration d'indépendance. Les Bachkirs ont leurs propres symboles, y compris un drapeau, armoiries, hymne et même l'instrument de musique national le kourai, une sorte de flûte. C'est plus que suffisant pour assurer la construction d'un État national avec une idée nationale.
PHOTO Monument à Salavat Yulayev à Oufa De la même manière, les Tatars pourront construire une nouvelle identité basée sur leur propre histoire grâce à de nombreux poètes et écrivains du début du XXe siècle et à l'histoire de la résistance nationale à l'invasion de Moscou. Ce n'est pas pour rien que les nationalistes tatars célèbrent encore l'anniversaire de la prise de Kazan par Ivan IV le Terrible au XVIe siècle comme un jour de deuil, cela unira la nation autour des souvenirs de son statut d'État perdu.
Bien sûr, de nombreuses régions seront moins chanceuses. Il est difficile d'imaginer que des régions fortement russifiées ou très pauvres comme l'Oudmourtie, la Tchouvachie ou la Bouriatie et l'Altaï pourront rapidement construire leur propre État. Vraisemblablement, leur sort dépendra de la rapidité avec laquelle le Tatarstan, le Bachkortostan et d'autres États situés en Russie centrale déclareront leur indépendance. Si cela se produit rapidement, la Russie sera géographiquement déchirée en deux et perdra son unité logistique. Contrairement à la situation en 1990, de nouveaux États seront créés non pas à la périphérie, mais au milieu de l'empire. Dans ce cas, même des régions peu puissantes peuvent rejoindre des mouvements séparatistes. Il est tout à fait possible de s'attendre à la création d'une fédération des peuples Volga et Kama : elle réunira des nations asservies avec une population plus petite que celles du Tatarstan ou du Bachkortostan. La Sibérie pourrait créer une autre construction supranationale flexible, apparemment sous le contrôle économique et le protectorat politique de la Chine. Une concurrence d'influence dans l'espace post-russe aura lieu entre la Turquie, l'Azerbaïdjan et, probablement, le Kazakhstan (peuples turcs), la Chine (Sibérie) et l'Ukraine (Caucase du Nord, Kouban, Volga, Russie centrale). Une fois lancé, le mouvement de libération couvrira le maximum de régions, ne laissant au sein de la Russie (Moscovie) que des territoires qui s'associent clairement au récit russe et n'ont pas de stratégies pour échapper à la logique impériale. Que doit faire l'Ukraine? L'Ukraine devrait considérer l'effondrement de la Russie exclusivement à travers le prisme de scénarios pour assurer sa propre sécurité stratégique. La sécurité stratégique, c'est la vie en situation de paix pendant au moins 20-30 ans. C'est la présence de 30 ans d'indépendance de l'Ukraine avant l'invasion russe à grande échelle qui a permis à l'Ukraine d'avoir suffisamment de personnes qui s'associent pleinement à l'Ukraine et sont prêtes à se battre pour son existence. Une invasion d'une ampleur similaire en 2010 se serait terminée par un résultat complètement différent. Au cours des 30 prochaines années, l'Ukraine doit exister sans dépenses effrénées liées à la lutte constante contre la menace russe afin de réaliser un bond durable de son influence économique et politique en Europe. C'est pourquoi, après cette guerre, nous devrions parler exclusivement de scénarios de sécurité durable. En simplifiant, il existe trois scénarios de ce type. Tous prédisent la victoire de l'Ukraine (l'autre format ne mentionne pas du tout la sécurité) et ne diffèrent que par les conséquences d'une victoire ukrainienne pour la Russie. Premier scénario: la Russie reste dans sa forme moderne, soit Poutine, soit un de ses proches reste au pouvoir. C'est un mauvais scénario, car il implique la poursuite de la subversion russe contre l'Ukraine. La menace d'invasion ne disparaîtra pas. La seule bonne chose pour l'Ukraine dans ce scénario est que la plupart des sanctions resteront en place et que la société ukrainienne et l'UE comprendront que la confrontation avec Moscou se poursuit. Le deuxième scénario: après la défaite, un changement de régime se produit en Russie, une opposition libérale conditionnelle arrive au pouvoir, ou (plus probablement) des responsables de Poutine qui veulent ressembler à une opposition libérale, par exemple, un responsable local qui a commencé à critiquer Poutine dans le temps, une sorte de nouvel Eltsine. C'est le pire scénario pour l'Ukraine, car l'Occident collectif utilisera ce calendrier pour répéter toutes les erreurs des années 1990 et tentera d'accepter la Russie comme un partenaire sûr sans aucune démilitarisation ni démocratisation. Pour l'Ukraine, cela signifie que la nouvelle guerre viendra de la Russie, qui, comme récemment, sera perçue par l'Occident comme un pays supposé normal. Le troisième scénario est la désintégration de la Russie, qui conduira à une réduction significative de son potentiel agressif. Même si tous les nouveaux États ont des ambitions impériales et ne sont pas des démocraties libérales, la possibilité de mener une guerre à grande échelle est considérablement réduite lorsqu'un pays a une population de 20 à 50 millions d'habitants au lieu de 140 et ne possède pas d'armes nucléaires. Même la Moscovie la plus agressive, avec une population de 40 à 60 millions d'habitants (moins que la Pologne et l'Ukraine réunies) et sans armes nucléaires, n'oserait pas attaquer l'Ukraine et serait contrainte de restreindre ses ambitions. Par conséquent, l'intérêt stratégique de l'Ukraine est d'accélérer la désintégration de la Russie en plusieurs États indépendants, qui seront intégrés dans le système de sécurité mondial. Bien sûr, la désintégration de la Russie ne se fera pas rapidement. Mais il dépend de l'Ukraine de veiller à ce que les mouvements nationaux potentiels en Fédération de Russie bénéficient d'un soutien international légal (par exemple, la reconnaissance de leur statut d'État, ce qui est déjà le cas) ou de plates-formes de discussion sûres, y compris scientifiques, sur leur statut d'État. De plus, aussi séduisante que soit la perspective de punir tous les Russes, y compris les représentants des régions ethniques, après les crimes d'une invasion russe à grande échelle, il est stratégiquement plus intéressant pour l'Ukraine de promouvoir un développement pacifique dans les nouveaux États ethniques voisins, car c'est un moyen plus efficace et moins coûteux de neutraliser définitivement l'idée impériale russe, qui utilise depuis longtemps les groupes ethniques conquis comme chair à canon. [post_title] => Comment la Russie va-t-elle se désintégrer et faut-il s'y attendre?
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[post_content] => La période de Noël inspire traditionnellement des pensées d'émerveillement. Apparemment, tout problème peut être résolu par lui-même. Tout peut s'améliorer, il suffit d'y croire - et de faire certains pas vers celui que vous considérez comme un ennemi. C'est sur fond de Noël que se déroulent les péripéties de nombreux films plutôt banals sur l'importance de trouver la réconciliation, car « le temps même de Noël nous y encourage. » Le président russe Vladimir Poutine est évidemment très conscient de cette perspective de la société occidentale - juste avant Noël, il a annoncé sa prochaine initiative de négociations avec l'Ukraine concernant une soi-disant paix. Dans son discours, il a mentionné que la Russie était apparemment prête pour les négociations, mais que seule l'Ukraine refusait de les rejoindre pour une raison quelconque. Bien sûr, il s'est déclaré ouvert à parler avec le « peuple frère ». Pour l'Ukraine, qui à la veille de Noël, le 24 décembre, a subi une nouvelle attaque terroriste par des missiles russes, qui a fait dix morts et plus de soixante blessés rien qu'à Kherson, les paroles de Poutine ressemblent à une autre moquerie. Il est difficile d'imaginer que quelqu'un en Ukraine croit en une volonté sérieuse du Kremlin d'entamer des négociations proposé par Poutine - sans conditions de base, sans garanties, sans format clair. En général, lorsqu'on parle de propositions russes, il faut toujours comprendre que les Russes donnent un sens complètement différent à des mots bien connus, et le mot « négociations » ne fait pas exception. Les négociations pour les Russes sont un moyen d'atteindre l'un des deux objectifs. Le premier a été bien décrit par la présidente de l'Estonie, Kaia Kallas : les Russes exigent d'abord des concessions incroyablement importantes (et exigent ce qui n'a jamais été le leur) puis menacent d'ultimatums. Et si les négociations ont commencé, ils ne font aucun compromis, s'attendant à ce que des "colombes de la paix" apparaissent toujours de l'autre côté, qui offriront de donner au moins quelque chose à la Russie. En conséquence, la Russie quitte les négociations avec quelque chose de nouveau qui ne lui a jamais appartenu. C'est une tactique standard que Moscou a tenté d'utiliser avant une invasion à grande échelle en février, lorsqu'elle a exigé des « garanties de sécurité » fantaisistes de la part de Washington, Berlin et Paris. Mais il y a aussi une deuxième stratégie de Moscou, qu'elle utilise sous couvert de « négociations. » Il s'agit d'une tentative d'organiser une pause pour elle-même quand ses affaires vont mal. Chaque fois que la Russie a besoin de regrouper son armée, ou d'accumuler du matériel, ou simplement de faire une pause pour développer une nouvelle stratégie, elle demande des négociations. Bien sûr, sans le retrait de ses propres troupes et sans aucune condition. Précisément pour pouvoir frapper à nouveau, mais dans de meilleures conditions. Cette tactique est parfaitement décrite par le héros lyrique du poème de Kipling « La trêve de l'ours. » Dans ce poème, Kipling décrit un mendiant Hindou qui a été une fois attaqué par un ours. Un Hindou était un chasseur qui accompagnait les Britanniques à la chasse. Une fois, alors que l'Hindou était prêt à tirer sur l'ours, il se leva sur ses pattes de derrière et, « comme un être humain,» regarda pitoyablement le chasseur, comme s'il lui offrait la paix. Le chasseur n'a pas tiré, mais en une seconde l'ours lui a déchiré le visage avec ses pattes. Des années plus tard, un mendiant estropié se rend chez les Anglais et les avertit que « la paix avec l'ours » est impossible - même si l'ours "marche comme un être humain" et offre la paix aux gens. Mais les Anglais n'écoutent pas l'Hindou, tout comme lui-même ne croyait pas qu'un ours ressemblant à un humain puisse être aussi rusé. Ni les critiques du passé ni les experts modernes ne doutent que le poème de Kipling ait été écrit sous l'influence des négociations avec la Russie. L'idée qu'on ne pouvait pas faire confiance à la Russie et que son expansion illimitée, éhontée et militaire avec des menaces et du chantage était l'état naturel de la Russie, dominait la société britannique dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cette vision n’était seulement celle de Kipling, impérialiste et raciste (il faut le dire franchement). Un homme totalement différent dans ses convictions - à savoir, Karl Marx - a dit la même chose dans ses articles près de 50 ans avant Kipling. « Il n'y a qu'une seule façon de faire des affaires avec un État tel que la Russie et c'est de ne pas en avoir peur,» écrit Karl Marx dans les colonnes du New York Tribune le 7 avril 1853. « L'ours russe est évidemment prêt à tout, tant qu'il sait que les autres animaux ne sont pas prêts à tout, » plaisantait-il dans la même publication déjà le 14 juillet et poursuivait : « Depuis 1815, les grandes puissances européennes ne craignent rien de plus qu'un changement au statu quo. Mais toute guerre entre ces États sape déjà implicitement le statu quo. C'est la raison pour laquelle l'expansion de la Russie à l'Est est tolérée et pour laquelle on n'a jamais demandé à la Russie pourquoi l'Occident devrait rester neutre – il suffit d'entendre de sa bouche certaines de ses explications, complètement absurdes. Mais (ces explications toutes seules) ont déjà sauvé la Russie de la réaction de l'Occident à l'agression. » Si vous regardez ces deux points de vue, vous pourriez même penser que Kipling et Marx étaient au courant de l'annexion de la Crimée et de l'invasion de février 2022. Ils ont écrit sur la façon dont la Russie joue sur les peurs de l'Europe, comment elle ment et viole les accords, comment l'impunité engendre de nouveaux crimes. L'Ukraine, heureusement (ou malheureusement - parce que cette compréhension a coûté très cher), le sait mieux que quiconque. Par conséquent, il est très difficile d'imaginer que quelqu'un en Ukraine promeuve sérieusement l'idée de négociations avec la Russie comme alternative à une action militaire. Il est évident que la volonté de la Russie de demander des négociations est uniquement due au fait qu'elle est en train de perdre sur le champ de bataille. Par conséquent, cette volonté de la Russie de commencer des négociations ne durera pas plus longtemps qu'elle n'est obligée de battre en retraite près de Kherson ou dans le Donbass. Cependant, la clairvoyance ukrainienne ne signifie pas qu'une telle idée ne pourra pas trouver ses apologistes en Occident. On peut dire que le message de Poutine s'adresse avant tout aux politiciens et intellectuels occidentaux, qui préfèrent un monde fictif dans lequel on peut s'entendre avec le violeur (surtout s'il ne vous viole pas), simplement en convainquant sa victime qu'elle vaut mieux qu'elle accepte de « faire des compromis ». Bien sûr, après Boutcha, Irpin et Borodyanka - ainsi qu'après Marioupol et les attaques massives à la roquette sur toutes les villes d'Ukraine - de telles opinions sont exprimées plutôt prudemment. Mais cela ne signifie pas qu'ils ont complètement disparu de l'espace informationnel occidental. De plus, il ne s'agit pas seulement d'ambassadeurs aussi fidèles à Poutine que l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder. D'ailleurs, début décembre, il a de nouveau appelé « ceux qui portent la responsabilité politique à trouver la volonté et à s'asseoir à la table des négociations. » Le retraité politique, qui travaillait auparavant à temps partiel en Russie, n'a pas surpris beaucoup de monde avec ses déclarations. Mais il n'est pas le seul à appeler à une paix imaginaire par la négociation. Des opinions similaires sont exprimées par des personnes très différentes. Le 21 décembre, Xi Jinping, président de la République populaire de Chine a souligné lors d'une rencontre avec l'ancien président et Premier ministre russe Dmitri Medvedev qu'il jugeait nécessaires des négociations entre la Russie et l'Ukraine. Le 25 décembre, Mukhtar Tleuberdi, ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan, a déclaré dans une interview à la NHK japonaise que la position du Kazakhstan (en particulier la position du président Tokayev) est un soutien aux négociations entre les présidents de la Russie et de l'Ukraine. Des personnes aussi diverses que le pape François et le milliardaire Elon Musk se sont prononcées en faveur des négociations. Et même l'administration du président américain Joe Biden, selon CNN, au début du mois de novembre, a constamment proposé au président Zelensky d'annoncer qu'il était prêt à négocier. Bien sûr, malgré la grande sympathie de l'opinion publique pour l'Ukraine, il y en a encore beaucoup de gens dans le monde qui souhaitent sa défaite - même sous couvert d'un « accord de paix.» Il y a un certain nombre de raisons à cela. Quelqu'un a des intérêts commerciaux ou politiques en Russie. Quelqu'un a peur que l'Ukraine victorieuse devienne un acteur puissant en Europe. Quelqu'un ne veut pas le renforcement de l'Union des États d'Europe de l'Est. Quelqu'un a peur que la défaite ne conduise à l'effondrement de la Russie et à des changements inattendus sur la carte politique du monde (rappelons-nous la remarque de Marx il y a près de deux cents ans selon laquelle les grandes puissances ont le plus peur de changer le statu quo). Quelqu'un veut simplement utiliser le soutien actuel de l'Ukraine par les gouvernements occidentaux comme argument dans sa propre lutte politique - soi-disant trop d'argent est dépensé pour l'Ukraine de manière insensée. Comment l'Ukraine peut-elle répondre à ces appels « pacifiques » - étant donné que sa capacité de combat dépend de manière significative des armes et du soutien économique occidentaux ? Il est évident qu'il est impossible de définir chaque politicien étranger, homme d'affaires ou personnalité culturelle comme un imbécile qui ne comprend pas la nature de la guerre russo-ukrainienne (même s'il la comprend). De cette manière, il est possible d'obtenir uniquement une détérioration de l'image de l'Ukraine et de fournir des arguments à ceux qui exigent l'arrêt du soutien militaire de l'Ukraine sous prétexte qu'il serait « trop coûteux » et « inutile. » Une autre chose est d'imposer son propre ordre du jour dans la discussion concernant d'éventuelles négociations. De ce point de vue, l'interview de Dmytro Kuleba, ministre des Affaires étrangères de l'Ukraine, à l'agence AP est très intéressante, dans la mesure où le ministre a défait les arguments politiques des partisans de la « paix. » « Oui, chaque guerre se termine par la diplomatie, » a déclaré Kuleba, répétant efficacement ce que l'ancienne chancelière allemande Angela Merkel avait déclaré il y a un mois. L'expression "chaque guerre se terminant par la diplomatie » est une formule presque magique des partisans allemands des négociations de paix avec Moscou, mais elle est en fait fausse - toutes les guerres ne se sont pas terminées par des négociations et toutes les paix formelles n'ont pas mis fin à la guerre. Mais la ministre Kuleba a décidé de ne pas contredire à la chancelière, mais de faire mieux - d'intercepter ses arguments. Comme s'il était d'accord avec la fausse thèse, il poursuivit : la fin de la guerre est déterminée par les résultats, obtenus sur le champ de bataille et leur combinaison avec la diplomatie. Et c'est un cas de figures complètement différent. De plus, le chef du ministère des Affaires étrangères a annoncé que l'Ukraine était prête à participer au « sommet de la paix » en février, démontrant que l'Ukraine préfère les solutions diplomatiques aux solutions militaires. Mais là encore, les armes des adversaires se sont retournées contre les Ukrainiens. A propos du sommet, le ministre Kuleba a souligné que la Russie ne pourra y participer qu'après avoir subi un tribunal international sur les criminels de guerre. En fait, cela signifie que c'est l'Ukraine qui fixe les conditions des négociations directes entre Kyiv et Moscou. Mais ces conditions sont telles que le régime de Poutine ne les acceptera jamais - et la Russie ne pourra rejoindre le sommet qu'après son propre effondrement militaire, seule garantie de la tenue du tribunal. En d'autres termes, le ministre ukrainien a clairement exposé la position de l'Ukraine : une victoire militaire, un tribunal sur les criminels russes, puis la possibilité de discussions diplomatiques, mais avec une Russie considérablement affaiblie et partiellement punie. Cependant, il semble que presque aucun des partisans des « pourparlers de paix immédiatement et sans conditions préalables » ne puisse exprimer des arguments qui contredisent l'idée de Kouleba. Et c'est cela, la victoire de la diplomatie.
[post_title] => Négociations avec l'ours. Qui sont ceux qui attendent la défaite de l'Ukraine et comment les affronter sur le terrain diplomatique
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La première session du Conseil de sécurité de l'ONU en janvier 1946 à Londres. Source : Photo ONU/Marcel Bolomey
C'est dans ce contexte que la structure de l'ONU et de son Conseil de sécurité doit être considérée. La Charte des Nations Unies est le traité international le plus strict, qui limite le droit des États à faire la guerre. L'article 1 de la Charte déclare que la préservation de la paix est l'objectif principal de l'ONU. L'article 2 interdit aux membres de l'ONU d'utiliser la force dans les relations internationales et, en même temps, oblige les membres à soutenir pleinement les mesures préventives de l'ONU contre les contrevenants. Le Conseil de sécurité de l'ONU est le seul organe qui peut prendre des décisions sur les mesures préventives obligatoires. Puisque presque tous les pays du monde sont membres de l'ONU, deux conclusions en découlent. Premièrement, aucun pays au monde n'a le droit de déclarer la guerre. Malgré la légende répandue, du point de vue du droit moderne, la « guerre » ne peut être déclarée. On peut déclencher une agression (ce qui serait une violation grave de la Charte des Nations Unies) et on peut y répondre par des mesures d’auto-défense (à la fois par un État et de nature collective) – l’auto-défense est autorisée par la Charte des Nations Unies, mais elle est réalisée sans aucune « annonce ». Deuxièmement, le Conseil de sécurité est le seul organe qui peut déclencher les hostilités dans les limites des mesures préventives sans violer le droit international, alors tous les membres de l'ONU devraient participer à ces mesures de toutes les manières possibles. Par conséquent, le Conseil de sécurité est une institution unique qui seule a le droit d'utiliser la violence contre les membres de l'ONU, et plus encore de forcer d'autres pays à se joindre à de telles actions. Il n'est pas surprenant que les plus grands États gagnants se soient non seulement garantis une adhésion permanente au Conseil de sécurité de l'ONU, mais aient également combiné cette adhésion avec le droit de veto, sans inclure dans la Charte de l'ONU un mécanisme permettant de priver un membre permanent de l'ONU de ce mandat au Conseil de sécurité. Un tel système est-il injuste ? De toute évidence, il l’est. Non seulement il contredit les principes d'égalité entre les États souverains en les divisant en États de première et de seconde catégorie, mais il met également les cinq États à l'abri de toute mesure de prévention de l'ONU, puisque les mesures de prévention ne peuvent être déclarées que par le Conseil de sécurité des Nations unies, où un membre permanent peut opposer son veto à toute décision. Cela est contraire au principe juridique de Nemo judex in propria causa - nul ne peut être juge dans son propre procès. Erreurs des solutions simples Mais si ce système est injuste, existe-t-il des moyens simples et efficaces de l'améliorer ? Il semble qu'il n'y en ait pas beaucoup. Même si la Russie est chassée du Conseil de sécurité (ce à quoi personne ne pensait il y a un an, mais aujourd'hui cette perspective devient de plus en plus réaliste), il est difficile d'imaginer que d'autres membres permanents accepteront de modifier la Charte des Nations Unies et de voter pour la perte de leur droit de veto. De plus, si le Conseil de sécurité de l'ONU adopte des décisions à la majorité simple, sans droit de veto des membres permanents, cela le rendra encore plus dangereux. Un tel Conseil de Sécurité conclurait facilement une décision sur des mesures préventives contre Israël (la majorité absolue des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU sont dirigées contre Israël), et même contre l'Ukraine.Salle de réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. Source : Gazouillement | @ONU
Le fait est que la composition du Conseil de sécurité de l'ONU comprend, outre les membres permanents, cinq pays d'Afrique et d'Asie, un pays d'Europe orientale, deux pays d'Amérique latine et deux pays d'Europe occidentale ou d'autres régions. Un tel ensemble de pays peut-il former une coalition anti-ukrainienne ? Si elle inclut la Chine, le Venezuela, la Syrie, le Nicaragua et la Hongrie, ce serait facile. Certes, le Conseil de sécurité de l'ONU ne peut pas prendre de décision contre la Russie aujourd'hui en raison du veto russe. Mais ce système a été construit pour bloquer les décisions, pas pour les rendre faciles. Le renforcement formellement injuste de certains membres de l'ONU par rapport à d'autres dans les affaires décisionnelles du Conseil de sécurité de l'ONU n'était pas quelque chose de très mauvais en soit. Au contraire, jusqu'à ce qu'un État qui figure parmi les membres permanents du Conseil de sécurité prenne l'allure d'un état-terroriste, ce système fonctionnait, en fin de compte, encore mieux qu'un modèle formellement « équitable », où, par exemple, la voix d'une Syrie d'Assad ou d'une Corée du Nord de Kim aurait le même poids que la voix du Canada, des États-Unis ou du Royaume-Uni. Par conséquent, si on veut priver la Russie du poste de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, il faut comprendre qu'une réforme radicale des pouvoirs de l'ONU dans le sens d'un renforcement des mécanismes d'intervention, et d'un affaiblissement des barrières à cette intervention, n'est pas souhaitable pour l'Ukraine. Il est probable que le nouveau système de sécurité internationale (plus confortable pour l'Ukraine et plus sûr pour l'Europe) ne devrait pas ressembler à une réforme de l'ONU, mais plutôt à un renforcement des alliances militaires régionales, auxquelles l'Ukraine appartiendra avec d'autres pays démocratiques et déterminés. Le problème de l'ONU moderne n'est pas tant qu'il y a 70 ans, elle a été construite sur des principes autres que l'égalité formelle des États ou l'équité dans la répartition des pouvoirs. Le problème est que la politique internationale est tôt ou tard confrontée à la question du juste usage de la force et à la nécessité de l'utiliser rapidement et de manière décisive. Comment freiner la guerre L'histoire du droit international connaît deux millénaires de tentatives pour considérer les règles de la violence, la limiter et aboutir à au moins certaines règles. Au premier siècle avant la naissance du Christ, Cicéron a formulé les conditions nécessaires à une guerre légitime dans le traité « Des devoirs », notamment : la guerre doit être provoquée par une violation de la loi, avant le début de la guerre il faut essayer de résoudre le conflit par la diplomatie, la guerre ne peut être menée que par le pouvoir politique central, qui s'appuie sur l'autorité religieuse sacrée, et le but de la guerre devrait être de rétablir la justice. Ce sont ces réflexions qui ont façonné l'orientation du débat sur la justice (et les limites) de la guerre jusqu'au début du XXe siècle.
Thomas d'Aquin. Carlo Crivelli, 1475
Au XIIIe siècle, le philosophe catholique Thomas d'Aquin a développé le concept de guerre juste : elle n'est déclarée que par le souverain, elle a une cause juste et son but est d'accroître la paix dans le monde, c'est-à-dire de parvenir à un juste système. Au XVIIe siècle, le philosophe hollandais protestant Hugo Grotius a repensé ces règles, déclarant que tous les États doivent obéir au droit international, qui déterminerait la justice de la guerre. Parallèlement, au niveau informel, il existait des règles limitant la conduite des hostilités : notamment le traitement des blessés, des prisonniers ou l'utilisation d'armes diverses. Au tournant des XIXe et XXe siècles, les principaux États ont conclu les premières conventions sur la conduite de la guerre : les Conventions de La Haye sur les lois et coutumes de la guerre de 1899 et 1907, censées limiter la brutalité de la guerre. Déjà la première guerre mondiale, avec l'utilisation de gaz toxiques, d'armes automatiques, d'artillerie lourde et même de chars, a démontré l'insuffisance de cette approche. Réglementer les règles de la guerre ne contribuait pas à la paix : les progrès technologiques allaient plus vite que les restrictions des traités (par exemple, les Conventions de La Haye interdisaient les tirs depuis une montgolfière, mais ne disaient rien de l'aviation motorisée ou des gaz toxiques). Une tentative pour surmonter ce paradoxe a été la création de la Société des Nations : un système de sécurité internationale, censé devenir un mécanisme pour empêcher le tout début des guerres. La Société des Nations a obligé ses membres à mener des négociations, obligatoires en cas de conflits, et a créé des mécanismes de règlement des différends. Bien qu'il ne s'agisse pas exactement d'une interdiction de guerre, l'opinion internationale semble aller dans ce sens : en 1928, plusieurs nations signent le pacte Bryan-Kellogg, rejetant la guerre comme instrument des relations internationales. Mais ces tentatives n'ont pas pu empêcher une série d'agressions - à commencer par l'invasion italienne de l'Abyssinie, la guerre en Mandchourie et d'autres conflits. Enfin, la Société des Nations n'a pas réussi à empêcher le Reich nazi d'attaquer la Pologne en 1939 ou l'URSS d'attaquer la Finlande en 1939.
Un incendie à Helsinki après le bombardement aérien soviétique du 30 novembre 1939. Source : Wikimédia Commons
Ainsi, l'ONU était une tentative non seulement d'établir la paix entre les grandes puissances, mais aussi de mettre fin aux guerres pour la première fois dans l'histoire. Cette tentative n'a pas complètement échoué (le nombre de guerres a considérablement diminué dans la seconde moitié du XXe siècle), mais elle n'a pas non plus atteint son objectif. De plus, les actions militaires les plus réussies des dernières décennies - par exemple, l'intervention de l'OTAN contre la Serbie, qui a mis fin au génocide au Kosovo - ont été menées sans le consentement formel du Conseil de sécurité de l'ONU, la décision réelle d'une grande puissance ou d'un certain nombre d’États sur une intervention humanitaire. Après tout, comme Cicéron il y a deux mille ans ou Thomas d'Aquin il y a huit cents ans, il était évident pour Bill Clinton, qui a pris la décision de bombarder Belgrade, que cette intervention avait une justification morale et le but de rétablir la justice. C'est une évidence pour nous aussi, parce que nous appartenons à un système de valeurs morales proches, sinon au même. Ces valeurs sont-elles partagées, par exemple, par les pays du Sud ? Pas certainement. Le fait qu'une grande partie des pays d'Afrique ou d'Amérique du Sud, malgré les preuves évidentes du génocide et de l'agression russes, ne soutiennent pas l'Ukraine dans sa lutte contre l'invasion russe, et que le président brésilien Lula accuse l'Ukraine d'avoir déclenché cette guerre, ne témoigne pas que du succès de la propagande russe, mais aussi de l'existence des systèmes de valeurs et de sympathies vraiment différents. L'idée de justice dans l'esprit des gauchistes brésiliens, qui ne portent pas la responsabilité de leurs décisions, peut tellement entrer en conflit avec les intérêts vitaux des habitants d'Irpin, en Ukraine, que la garantie de la sécurité de ces derniers n'est peut-être pas une ONU forte (avec la voix du Brésil), mais au contraire, la capacité de l'Ukraine, grâce à de fortes alliances militaires, à ne pas se focaliser sur les sentiments de l'Assemblée générale des Nations Unies. Après tout, une réforme à grande échelle de l'ONU est-elle même possible ? Aujourd'hui, le droit et les institutions des Nations unies sont à la base d'un nombre incroyable de structures et de traités internationaux, allant de l'énergie nucléaire aux questions sociales. La Charte des Nations Unies est intégrée dans la législation des unions régionales, en particulier de l'UE. Même un domaine tel que la législation sur les sanctions de l'UE dépend entièrement du droit de l'ONU et s'y réfère directement. Le nombre de traités internationaux qui composent le système de droit international a augmenté plusieurs fois au cours des dernières décennies. Le plus grand nombre de traités jamais conclus par l'humanité a été signé au cours des deux dernières décennies et, dans de nombreux cas, ils sont directement ou indirectement liés au droit des Nations Unies. L'abolition ou la réforme radicale de l'ONU dans de telles conditions n'aura probablement pas de perspectives sérieuses. Mécanismes supplémentaires Cependant, l'inactivité de l'ONU dans certaines sphères des intérêts vitaux de l'Europe en tant que contre-mesure à l'agression russe est un fait, cela ne signifie pas qu’il soit nécessaire d'abolir l'ONU, mais qu’il faut trouver une réponse efficace aux défis qui affectent directement les intérêts vitaux de la région. De plus, je dirais franchement que les pays de la région aimeraient prendre eux-mêmes des décisions sur ces questions, sans l'implication du président Lula ou du président Xi sur les plates-formes même de l'ONU réformée. Et pour cela, il faut des structures régionales qui placent l'ONU devant une décision et profitent en quelque sorte de son incapacité et de sa paresse. L'OTAN deviendra-t-elle une telle structure pour l'Ukraine ? Ce serait plutôt bien, mais ce n'est pas la seule option possible. De plus, l'Ukraine peut appartenir à un certain nombre d'alliances militaires qui prendront des décisions à différents niveaux. Par exemple, une alliance militaire régionale avec la Pologne, les États baltes, la République tchèque et la Slovaquie pourrait donner à l'Ukraine la flexibilité nécessaire pour un certain nombre de conflits, pendant que la question est examinée à l'OTAN ; un système avec plus de ressources mais aussi différents niveaux de solidarité avec l'Ukraine. Pendant le conflit frontalier avec la Bélarus et (indirectement) la Russie, dans le contexte où Minsk et Moscou utilisent des pseudo-réfugiés comme armes, la Pologne n'a demandé l'aide ni de l'ONU ni de l'OTAN, mais a coordonné ses actions avec la Lituanie. De même, l'Ukraine peut utiliser de telles alliances pour accroître ses capacités de manœuvres militaires et diplomatiques. Dans le même temps, le système des Nations Unies a montré que, s'il n'est pas très capable de prévenir les guerres, il travaille néanmoins assez efficacement sur les conséquences juridiques de ces guerres. C'est le Conseil de sécurité de l'ONU qui n'a pas réussi à arrêter le génocide au Rwanda et n'est pas intervenu militairement dans le génocide qui avait commencé au Kosovo, qui a créé des tribunaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Ces lacunes de l'ONU qui l'empêchent de répondre rapidement et de manière décisive aux défis militaires, à savoir : la nécessité de parvenir à des décisions consensuelles, la présence de nombreux mécanismes de blocage, les intérêts trop différents des membres, la présence, entre autres, de régimes non démocratiques, rendent ces tribunaux plus légitimes du point de vue même des membres de l'ONU, qui n'auraient jamais approuvé une intervention militaire de l'ONU. Paradoxalement, c'est pourquoi il faut s'attendre à ce qu'après la victoire de l'Ukraine, ce soit l'ONU, qui n'est pratiquement pas intervenue dans la guerre par des actions actives, qui n'aura aucun problème à créer un mécanisme juridique pour poursuivre les criminels de guerre coupables d'avoir violé l’intégrité territoriale de l'Ukraine. Par conséquent : le système mondial moderne de sécurité et de coopération internationale n'est ni efficace ni équitable, cela vaut la peine de le critiquer, et cela vaut encore plus la peine d'essayer de compenser ses lacunes, mais en même temps, il ne faut pas penser qu'il puisse ou doive être radicalement modifié. Même l'ONU, qui a été fondée en réponse aux horreurs de la Seconde Guerre mondiale, n'était pas un rejet des idées de la Ligue des Nations, qui avaient déjà disparu à cette époque. Au contraire, il s'agissait d'un renforcement de certaines caractéristiques de la Ligue, l'amenant à un nouveau niveau d'autorité. Par conséquent, nous ne considérons pas comme tâche prioritaire objective le fait d’expulser la Russie du Conseil de sécurité de l'ONU ; l'Ukraine doit d'abord accroître son influence dans les institutions actuelles de l'ONU, puis atteindre la capacité de prendre des mesures concrètes, ce que le l'ONU sera obligée d'accepter. Ce n'est qu'après cela que nous devrions nous efforcer d'apporter des changements radicaux à la structure de l'ONU, en nous préparant au fait que de tels changements nécessiteront beaucoup d'efforts et de temps. [post_title] => Faut-il dissoudre les Nations unis ? 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L'une des questions les plus fréquemment posées dans les discussions sur la désintégration de la Fédération de la Russie est de savoir si cela est possible, car aujourd'hui nous ne voyons pas de mouvements de libération nationale permanents et articulés. En conséquence, beaucoup pensent que s'il n'existe pas en Russie de parti officiellement enregistré pour un Tatarstan libre ou s'il n'y a pas de manifestations séparatistes régulières à Oufa ou à Izhevsk, il n'y a aucune chance que la Russie se désintègre. Cette évaluation contient une grave erreur. Dans des conditions de forte pression policière et de manque d'opportunités de manifester légalement, les sentiments séparatistes ne peuvent être formalisés ni même ouvertement exprimés. De plus, le saut d'humeur contre l'apathie conditionnelle au soutien actif de l'idée d'indépendance peut être instantané. On se souvient comment le 17 mars 1991, lors du référendum sur la préservation de l'URSS, plus de 70% des Ukrainiens qui y ont participé ont voté pour la préservation de l'Union. Par rapport à la quantité d'habitants, il était de 58 %. Mais déjà en décembre de la même année, 90,3% des participants, soit 75,98% de la population, ont soutenu la déclaration d'indépendance lors du référendum pan-ukrainien. Qu'est-il arrivé à l'humeur du public pendant ces mois ?






